samedi 9 septembre 2017

L’Orchestre de Paris et Daniel Harding ouvrent leur saison 2017-2018 avec une virtuose VIe Symphonie de Mahler

Paris. Philharmonie, Salle Boulez. Mercredi 6 septembre 2017

Daniel Harding et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour l’ouverture de sa seconde saison de directeur musical de l’Orchestre de Paris, un an après son concert inaugural avec les Scènes du Faust de Goethe de Robert Schumann, Daniel Harding a porté son dévolu sur la VIe Symphonie en la mineur de Gustav Mahler. Une œuvre de forme classique en quatre mouvements avec un finale de forme sonate, mais à l’orchestration pléthorique, notamment côté percussion (cloches de vache, célesta, xylophones, deux timbaliers, marteau, trois cymbaliers, etc.) et d’une force poignante trahissant une âme tourmentée. Le compositeur avait d’ailleurs dans un premier temps décidé de lui donner le titre « Tragique », avant d’y renoncer, préférant s’abstenir de toute suggestion de programme, échaudé qu’il était par ses précédentes expériences. Selon le témoignage de son épouse Alma, le finale de cette partition composée entre 1903 et 1906, évoque le « héros frappé par les trois coups du destin, dont le dernier l’abat tel un arbre ». Un an après la symphonie achevée, les « trois coups du destin » frappaient Mahler de plein fouet : la démission contrainte de la direction de l’Opéra de Vienne, la mort à l’âge de quatre ans de sa fille Maria des suites d’une scarlatine, la découverte d’une insuffisance cardiaque qui allait l’emporter quatre ans plus tard…

Daniel Harding. Photo : DR

Gustav Mahler hésita longuement à fixer l’ordre des mouvements, plaçant tout d’abord l’Andante moderato avant le Scherzo, tandis que le finale, apocalyptique, dépasse la demi-heure d’exécution. Daniel Harding a choisi de placer l’Andante en troisième position, entre le Scherzo et le finale. Cette œuvre ouvre en fait le XXe siècle musical, avec l’anéantissement de la tonalité et de la forme sonate à laquelle Mahler fait ses adieux dans le quatrième mouvement. Un mouvement qui allait notamment inspirer Alban Berg dans la dernière de ses Trois pièces pour orchestre op. 6 et dans l’interlude en ré mineur du troisième acte de l’opéra Wozzeck op. 7. Berg écrira à son condisciple Anton Webern que cette symphonie est « la seule Sixième, malgré la Pastorale » de Beethoven.

Daniel Harding et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

L’interprétation qu’a donnée Daniel Harding de la Symphonie n° 6 en la mineur a surtout porté sur la virtuosité de l’écriture instrumentale et la puissance sonore, ce qui est loin d’être un contresens, puisque l’œuvre se situe aussi dans l’exaltation, au détriment de la douleur, de la tension poignante, de l’angoisse qui emplissent les deux mouvements extrêmes. Dans le Scherzo, la violence prend un tour grotesque, qui n’apparaît pas suffisamment dans la vision de Harding, mais l’Orchestre de Paris et tous ses pupitres, qu’ils soient solistes ou tuttistes, sont d’une dextérité à toute épreuve, même si les sonorités du violon de Philippe Aïche paraissent un peu grasses dans ses solos. Le havre de paix qu’est l’Andante manque légèrement de vigueur et d’amertume, insistant à l’excès sur la douceur. Malgré l’élan de la geste instillée par Harding, le finale n’est pas la course infernale vers l’abime que l’on y attend, et l’on reste de marbre devant la douleur pourtant fébrile contenue dans ces pages, qui sont plus proches d’une cavalcade que de l’expression implacable du désespoir mêlé d’héroïsme et de détermination, jusqu’à l’évanouissement final d’un orchestre entrant dans le néant. Il convient de nouveau de saluer l’exploit de tous les instrumentistes de l’Orchestre de Paris, des premiers violons aux cymbales, en passant par les seconds violons, les altos, les violoncelles, les contrebasses, harpes, flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tuba, timbales, percussionnistes…

En guise d’introduction avant d’enchaîner sans pause la Symphonie n° VI de Mahler, et afin de faire participer le Chœur de l’Orchestre de Paris au premier concert de la saison, Daniel Harding avait programmé la Musique pour les funérailles de la reine Mary de Henry Purcell, réunissant ainsi chœur et formation instrumentale dominée ici par les cuivres. Une association entre musique funèbre du XVIIe siècle et élan tragique du début du XXe qui situe les deux œuvres dans un même cadre d’angoisse et de ténèbres d’une troublante humanité. Le Chœur et l’Orchestre de l’Orchestre de Paris ont donné aux sept parties de cette partition une densité toute en retenue et en intériorité, tandis que les cuivres ont ajouté en solennité et en affliction. Cette musique funèbre de Purcell conforte l’excellente impression que l’on ressent pour Daniel Harding à l’écoute des œuvres pour chœur et orchestre qu’il dirige à la tête de l’Orchestre de Paris.

Bruno Serrou

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