dimanche 19 mars 2017

Trompe-la-Mort de Luca Francesconi, remarquable création mondiale à l’Opéra Garnier

Paris. Opéra national de Paris. Opéra Garnier. Jeudi 16 mars 2017

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Laurent Naouri (Trompe-la-Mort). Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

Fasciné par Balzac depuis son enfance, le compositeur italien Luca Francesconi a porté son dévolu sur La Comédie humaine pour son huitième opéra, Trompe-la-Mort. Sa création jeudi l’Opéra Garnier a connu un accueil triomphal.

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

Premier avatar d’une série de commandes de l’Opéra de Paris d’œuvres lyriques tirées de la littérature française, Trompe-la-Mort (1) est la figure centrale de la Comédie humaine d’Honoré de Balzac. Il s’agit en effet de Vautrin, alias Jacques Collin, alias l’abbé Carlos Herrera. Le livret est un concentré du roman réalisé par le compositeur, qui rêvait de composer depuis longtemps un opéra inspiré de Balzac qui l’accompagne depuis l’adolescence. « Quand Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris déjà commanditaire de Quartett (2) d’après Heiner Müller mon précédent opéra, à La Scala de Milan rappelle Luca Francesconi, m’a proposé d’écrire un nouvel opéra cette fois sur un texte français, je lui ai immédiatement suggéré le personnage de Vautrin. Mais il m’a fallu effectuer un travail monstrueux pour synthétiser les rapports de Jacques Collin et son âme visible Lucien de Rubempré, tout en respectant le moindre mot de Balzac. »

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris


Né en 1956, formé à l’aune de Stockhausen et de Berio, Luca Francesconi est un remarquable musicien mais aussi un fin connaisseur de l’électronique en temps réel. Cette technologie est avec lui non pas un outil mais un instrument de musique à part entière dont il a largement participé à l’élaboration de l’organologie depuis 1975, année où il a fondé son propre studio de recherche électroacoustique, puis, en 1990 à Milan, l’institut AGON, centre de recherche et de composition assistée par ordinateur qu’il a dirigé jusqu’en 2006. Mais ici, à la différence de Ballata (1996-1999) et de Quartett (2010-2012) (2), ses deux précédents opéras, dans Trompe-la-Mort, son huitième ouvrage lyrique, point d’électronique. 

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

Cet ouvrage conte les aventures de Lucien de Rubempré, de ses tendances suicidaires contrecarrées par l’abbé Herrera alias Trompe-la-Mort jusqu’à ce qu’il se pende dans sa cellule de prison après un parcours de deux heures. « Je conte cette histoire en la mettant quatre fois en abîme sur autant de niveaux, précise Francesconi : le monde de l’apparence que sont la vie sociale et les salons ; la vie cachée des rapports intimes, des machinations inavouables ; le voyage en calèche initial d’Herrera et de Lucien, fil conducteur de l’opéra ; les dessous du théâtre, matière incandescente respirant la vie et la haine. »

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

A chaque strate du texte, une musique idoine fusionne les quatre niveaux du texte. Une musique qui coule à jet continu somptueusement avivée par le geste précis, passionné, maîtrisé de Susanna Mälkki, ex-directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain que les grande scènes et formations internationales se disputent désormais, à la tête d’un étincelant Orchestre de l’Opéra de Paris particulièrement fourni (bois et cuivres par trois ou quatre, six percussionnistes, cordes en proportion). La mise en scène de Guy Cassiers est au diapason de la pensée de Francesconi, avec son décor unique et mouvant, passant naturellement d’un monde à l’autre magnifié par les lumières de Caty Olive. 

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

La distribution est à la hauteur de l’événement. Laurent Naouri est un Trompe-la-Mort exceptionnel de coloration vocale, de puissance qui réalise une impressionnante performance d’acteur. Julie Fuchs surmonte les difficultés du rôle d’Esther de ses aigus rayonnants mais ses graves sont couverts par l’orchestre, à l’instar de ceux de Cyrille Dubois qui incarne néanmoins un Rubempré à la voix somptueuse, et du Rastignac de Philippe Talbot, à la voix pourtant généreuse. L’ensemble de la distribution (douze rôles) ainsi que le chœur sont d’une grande homogénéité et s’expriment en un français clair, à l’exception d’Ildikó Komlósi dans le rôle d’Asie.  

Luca Francesconi (né en 1956), Trompe-la-Mort. Laurent Naouri (Trompe-la-Mort). Photo : (c) Kurt Van den Elst / Opéra de Paris

Après Ballata créé en 2002 à Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, et Quartett en 2012 à Vienne, dans le cadre des Wiener Festwochen, Luca Francesconi s’impose définitivement avec Trompe-la-Mort comme l’un des grands compositeurs d’opéra de notre temps, aux côtés de Péter Eötvös.

Bruno Serrou


1) Opéra Garnier, jusqu’au 5 avril. Rés. : 08.92.89.90.90. www.operadeparis.fr. 2) Quartett est donné à l’Opéra de Rouen les 25 et 27 avril. Let me Bleed pour triple chœur a capella par Les Cris de Paris vient de paraître en CD chez NoMad Music

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