jeudi 15 décembre 2016

La Monnaie de Bruxelles présente un ubuesque Coq d’or de Rimski-Korsakov, conte facétieux d’une effroyable actualité

Bruxelles (Belgique). Palais de La Monnaie Tour & Taxis. Mardi 13 décembre 2016

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Le coq d'or. Pavlo Hunka (le tsar Dodon), Sheva Tehoval (le Coq), Venera Gimadieva (la tsarine de Chemakhane). Photo : (c) Baus / La Monnaie

Farce politique, Le coq d’or de Nikolaï Rimski-Korsakov est d’une terrible actualité. Le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles a remarquablement mis en valeur cette caractéristique de cet ouvrage centenaire en le confiant à une équipe française, le metteur en scène Laurent Pelly et le chef Alain Altinoglu.

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Le coq d'or. Alexey Dolgov (tsarevitch Guildon), Konstantin Shushakov (tsarevitch Aphrone), Pavlo Hunka (le tsar Dodon), Alexander Kravets (l'Astrologue), Sheva Tehoval (le Coq), Alexander Vassiliev (le voïvode Polkane). Photo : (c) Baus / La Monnaie

Voilà trente-deux ans, le Théâtre du Châtelet présentait une splendide production reprise en 2002 du Coq d’or confiée à une équipe japonaise, l’acteur-metteur en scène Ennosuke Ichikawa III, maître du kabuki moderne, et le couturier Tomio Mohri. Ultime opéra du compositeur russe, Le coq d’or est placé sous le signe de l’humour corrosif de la farce politique. Ce qui a valu à l’ouvrage l’interdit de la censure impériale qui y a décelé une charge contre le tsar Nicolas II. Tant et si bien que Le coq d’or ne fut créé qu'un an après la mort de son auteur, en 1909.

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Le coq d'or. Venera Gimadieva (la tsarine de Chemakhane), Pavlo Hunka (le tsar Dodon), Alexander Kravets (l'Astrologue). Photo : (c) Baus / La Monnaie

Ce conte fantastique, à la fois drôle, subversif et noir, mêle politique, absurde et féerie : le tsar fainéant Dodon tient à se protéger de ses ennemis afin de dormir continellement. Un Astrologue lui donne la solution, en lui présentant un coq en or aux pouvoirs magiques qui l’alertera dès la première menace. Conquis, Dodon est néanmoins contraint de prendre les armes, qu’il finit par déposer aux pieds de l’ensorcelante reine de Chemakhane. Cette dernière le mène par le bout du nez. Il s’apprête à l’épouser mais l’Astrologue la réclame pour prix du coq. Furieux, Dodon frappe mortellement l’Astrologue. La reine maudit le tsar que le coq exécute d’un coup de bec. Désemparé, le peuple se lamente sur son propre sort. Le coq d’or n’est peut-être pas l’opéra le plus réussi de Rimski-Korsakov. Côté instrumentation, ce n’est pas Antar, et côté orientalisme, ce n’est pas Schéhérazade… Et, malgré la brièveté de l’œuvre - prologue, trois actes, épilogue, le tout en quatre vingt dix minutes -, il s’y trouve des longueurs, particulièrement au milieu des deux premiers actes : thématique besogneuse harmonisée à la va-vite et orchestrée de façon relâchée, ce qui étonne de la part de celui qui fut le maître d’Igor Stravinski. Mais l’ouvrage possède nombre d’atouts pour séduire…

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Le coq d'or. Pavlo Hunka (le tsar Dodon), Venera Gimadieva (la tsarine de Chemakhane). Photo : (c) Baus / La Monnaie

… Surtout lorsqu’il est abordé de façon aussi convaincante qu’à Bruxelles. Dans une ingénieuse scénographie de Barbara de Limburg faite de ruines noircies sur lesquelles circule un immense lit blanc qui finit en char d’assaut, Laurent Pelly signe une mise en scène - et des costumes - à l’onirisme loufoque, à la fois folle et profonde avec un humour fin vivifié par une direction d’acteur au cordeau qui lui insuffle un rythme effréné. Pour sa première prestation de directeur musical de La Monnaie de Bruxelles, Alain Altinoglu exalte la partition de Rimski-Korsakov, lui instillant des couleurs étincelantes et des textures cristallines, l’Orchestre de La Monnaie apparaissant comme transcendé. La distribution est d’une totale homogène. Voix pleine au timbre flatteur, le baryton basse anglais Pavlo Hunka campe un Dodon parfaitement abject et monstrueux de fainéantise. La soprano russe Venera Gimadieva est une tsarine de Chemakhane facétieuse qui enchaîne les colorature avec une confondante facilité et s’épanouit dans son air magnifique, la mezzo-soprano polonaise Agnes Zwierko est une Amelfa aux graves abyssaux, l’Astrologue est tenu par un excellent ténor de caractère ukrainien, Alexander Kravets, impressionnant d’assurance. Les légers décalages du chœur ne nuisent en rien à ce réjouissant spectacle. 

Bruno Serrou

Jusqu’au 30/12/16. Rés : (+32) 2.229.12.11. www.lamonnaie.be. Production reprise à l’Opéra de Nancy 12-21/03/17. Rés. : 03.83.85.33.11. www.opera-national-lorraine.fr

Compte-rendu paru dans le quotidien La Croix 

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