vendredi 12 février 2016

Triste prestation de l’Orchestre National d’Ile-de-France au Festival Présences de Radio France

Paris. Festival Présences de Radio France. Auditorium. Jeudi 11 février 2016

L'Auditorium de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Comme la soirée d’hier à Radio France a été longue... Pourtant, sur le papier, elle paraissait courte : moins de quatre vingt dix minutes... Mais le temps est souvent question de relativité. Surtout en matière musicale ! Réunissant uniquement des compositeurs italiens de renom, à l’exception d’un inconnu, du moins pour moi, il m’était apparu attractif, avec rien moins que Ivan Fedele, Stefano Gervasoni, Marco Stroppa et, surtout, un grand aîné mort trop tôt, Bruno Maderna... Ce pour quoi j’avais relevé le défi de la SNCF-Ile-de-France amplifié par l’éloignement de la Maison de la Radio dans un XVIe arrondissement mal desservi, soit deux heures de transports aller (il est plus long de rallier le Quai John F. Kennedy depuis la gare de Lyon que cette dernière et Fontainebleau), et trois heures de galère retour (les travaux nocturnes sur la ligne perdurent depuis deux ans, et obligent à emprunter un bus depuis Melun jusqu’à Fontainebleau).

Enrique Mazzola et l''Orchestre National d'Ile-de-France. Photo : (c) Orchestre National d'Ile-de-France

Arrivé à Radio France jusqu’à la Porte D, qui est à l’exact opposé de la Porte A, et une fois les contrôles sécurité dédoublés franchis, la surprise d’une salle peu garnie m’arrendait. Les rangs de fauteuils étaient quasi désertés… Seuls les passionnés de création musicale étaient en relativement forte délégation, même s’ils ont été loin d’être tous au rendez-vous. Certes, me suis-je dit, les absents ayant toujours tort, le nombre de sièges vides n’est pas un critère…

Marco Stroppa (né en 1959). Photo : DR

Mais j’ai rapidement déchanté, car, dès la toute première œuvre, la déception a été au rendez-vous. A cause essentiellement d’un orchestre sans cohésion aux sonorités acides, auteur de décalages rédhibitoires. Ainsi, le premier opus du catalogue de Marco Stroppa (né en 1959), Metabolai, composé en 1982 par un créateur prometteur de 23 ans où le piano tient une place quasi concertante bien que placé en retrait, isolé de l’orchestre côté jardin. Ses accords en creux résonnant pénètrent l’auditeur dans sa chair, mais la formation Mozart (bois et cuivres par deux - sans trombones -, timbales et cordes) a mis à nu d’entrée les carences d’un orchestre dirigé de façon relâchée par son directeur musical, le chef espagnol Enrique Mazzola, disciple de Daniele Gatti. 

Stefano Gervasoni (né en 1962). Photo : DR

Autre grand de la musique italienne de la même génération que Stroppa, Stefano Gervasoni (né en 1962), dont le Un leggero ritorno di cielo composé en 2003 pour vingt-deux instruments à cordes (six premiers et six seconds violons, quatre altos, quatre violoncelles et deux contrebasses à cinq cordes) s’est avéré ne pas être la pièce la plus représentative, malgré un travail exigeant en divisi, à la façon des Métamorphoses pour vingt-trois cordes de Richard Strauss, mais en moins raffiné. Là aussi, les cordes de l’ONDIF sont apparues rêches et atones.

Ivan Fedele (né en 1953), Valentina Coladonato (soprano), Enrique Mazzola et l'Orchestre National d'Ile-de-France. Photo : (c) Bruno Serrou

L’œuvre la plus forte et originale de la soirée a été celle d’Ivan Fedele (né en 1953), Time like that. Ce grand cri pour la paix s’achevant dans la mélancolie, écrit en 2012 pour soprano amplifiée et un orchestre fourni (trois flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, trois bassons, quatre cors, deux trompettes, trois trombones, timbales, percussion, quatorze premiers et douze seconds violons, dix altos, huit violoncelles, six contrebasses), repose sur des discours de trois lauréats du Prix Nobel de la Paix, Lech Walesa (1983), Barack Obama (2009) et Aung San Suu Kyi (1991). Incapable de nuancer en-deçà du mezzo-forte, malgré l’insistance de son chef, l’Orchestre National d’Ile-de-France a été en outre sujet à décalages prononcés, et n’a pu rendre l’aspect solaire de l’écriture de Fedele. 

Alberto Colla (né en 1968). Photo : (c) Alberto Colla

La seconde partie du concert a été ouverte sur une pièce interminable - quoique courte - d’Alberto Colla (né en 1968). Présenté par Enrique Mazzola comme un compositeur de grand talent dont il dit être son protégé depuis qu’il l’a remarqué en 2001 durant un concours organisé par la Scala de Milan pour le centenaire de la mort de Giuseppe Verdi, concours dont il était membre du jury, Colla nous a ramenés aux pires moments de Présences, à l’époque ou René Bosc en était le directeur artistique, programmant les Jean-Jacques Di Tucci, Richard Dubugnon et autres. On trouve de tout (Ravel - lever du jour de Daphnis et Chloé -, Mahler, Richard Strauss - la Femme sans ombre -, Richard Wagner - Lohengrin -, etc.) dans cette Sérénade sur la modulation des vents (sont-ce les instruments à vent de l’orchestre - trois flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, trois bassons, quatre cors, deux trompettes, trois trombones -, ou ceux de la nature ? Je n’ai pas la réponse), commande de Radio France donnée hier soir en création mondiale… Cela dit, repérer les sources fait passer plus vite la pilule…

Bruno Maderna (1920-1973) avec son fils Andreas en 1973. Photo : (c) Pit Ludwig

Les deux dernières œuvres du programme étaient signées Bruno Maderna (1920-1973), magnifique compositeur mort trop jeune pour avoir brûlé la vie par les deux bouts, membre actif de l’Ecole de Darmstadt, éminent chef d’orchestre au répertoire plus éclectique que celui de son ami Pierre Boulez, qui écrivit à la suite de son décès son admirable requiem qu’est Rituel in Memoriam Bruno Maderna. La première pièce de Maderna donnée hier soir, Serenata per un Satellite, date de 1969 et est dédiée à Umberto Montalenti, alors directeur du Centre européen de Recherche spatiale de Darmstadt. Œuvre d’essence aléatoire, sa partition est constituée de trames de modules indiquant le parcours de l’œuvre constitué de croix, de courbes et de croisements à combiner librement à chaque exécution, offrant ainsi une infinité de possibles, tandis que la représentation graphique de la partition imprimée suggère des trajets orbitaux d’un satellite dans l’espace, à l’instar de l’orchestre (piccolo, hautbois d’amour, clarinette, percussion, et, côtés cordes, les seuls premiers et seconds violons) disposé d’originale façon sur le plateau. Mazzola s’est plu à montrer la partition au public, rappelant que le chef peut faire ce qu’il veut pourvu que les notes écrites soient toutes jouées. Mais une fois la partition sur son pupitre, il s’est empressé d’y coller des antisèches… La seconde œuvre de Maderna, Music of Gaiety (1971), est un concerto pour violon et hautbois sur des thèmes baroques orchestrés par Maderna pour cordes, trois hautbois et deux bassons. Au terme de l’exécution de cette dernière œuvre, je n’ai pu que me dire « quel gâchis ! », alors que l’on est dans un festival de musique contemporaine, de ne pas en avoir profité pour jouer une seconde pièce originale de Maderna, qui est si peu joué alors qu'il est l’un des compositeurs italiens les plus doués de la génération des années 1920… 

Autre sujet d’exaspération, la productrice de France Musique, Anne Montaron, qui présentera sans doute le concert le jour de sa diffusion, n’en finissait pas, dans ses préambules aux œuvres jouées devant un public qui avait toutes les explications souhaitables dans le livre-programme, avec ses questions posées à trois des compositeurs de la soirée (Stroppa, Fedele, et surtout, Colla, dont les propos étaient traduits par le chef, qui, avant de laisser son poulain s’exprimer, a raconté les circonstances de leur rencontre). Un chef bavard, de noir vêtu portant chaussures fermées par des lacets rouges, qui est revenu à la charge pour présenter fièrement la Sérénade pour un Satellite de Maderna…

Bruno Serrou


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