lundi 8 février 2016

Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France ont brillamment ouvert le Festival Présences de Radio France 2016

Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 5 février 2016

Mikko Franck. Photo : DR

Pour la première fois depuis la création du Festival Présences en 1991, un directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France a ouvert la manifestation que Radio France consacre à la création musicale à la tête de son orchestre. Ne serait-ce que pour cette raison, il convient de féliciter Mikko Franck pour s’être engagé dans l’aventure de la musique contemporaine en ce qu’elle a de plus novateur.

Orchestre Philharmonique et Choeur de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Comme de coutume, le concert d’ouverture a attiré le ban et l’arrière-ban de la musique contemporaine, compositeurs en tête. Le programme s’est bien évidemment présenté comme une synthèse de la totalité de l’édition 2016 consacrée à la musique italienne contemporaine sous le titre Oggi l’Italia (Aujourd’hui l’Italie). Ainsi, deux compositeurs italiens ont été mis en regard avec autant de compositeurs français, chaque nationalité ayant un référent, l’un ouvrant et l’autre fermant le programme, les deux vivants étant placés au centre de la soirée.

Fausto Romitelli (1963-2004). Photo : DR

Mort prématurément à l’âge de quarante ans, le compositeur italien Fausto Romitelli (1963-2004) est « le révélateur qui met en lumière le passage entre spectral et saturation », selon la formule de Yan Robin. Malgré la brièveté de son existence, Romitelli restera comme un pionnier de la radicalité du son, dont s’inspireront notamment les « saturationnistes », bien que Romitelli n’ait jamais été son initiateur. Composé en 1999, créé à la Biennale de Venise le 21 octobre 1999, The Poppy in the Cloud (Le coquelicot dans le nuage) pour chœur de voix blanches et ensemble compte neuf parties qui illustrent des vers déchirants de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) extraits de Great Streets of Silence Led Away publié en 1870. Cette œuvre de douze minutes fait appel à un ensemble instrumental de quinze musiciens (flûte/flûte basse, hautbois, clarinette/clarinette basse, cor, trombone, quatre percussionnistes, piano/clavier MIDI/Synthétiseur, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) et à un chœur d’enfants. Dans l’esprit des trois poèmes sélectionnés, Romitelli signe ici une musique hallucinée, agressive, faite d’ombre et de lumière. Les « voix blanches » auxquelles se réfère le compositeur renvoient à la couleur des vêtements qu’avait choisi de porter la poétesse alors qu’elle écrivait son recueil de poèmes. Aussi brillante que soit la Maîtrise de Radio France, la surreprésentation des jeunes filles par rapport aux garçons ne peut rendre palpable la fragilité des voix blanches que le titre réclame, l’intonation et l’attaque des notes apparaissant trop parfaites et solides, tandis que les membres du Philharmonique de Radio France, sous l’impulsion de Mikko Franck, qui dirigera assis la totalité du concert, a donné toute la saveur de l’admirable partie instrumentale.

Thierry Pécou (né en 1965),  Håkan Hardenberger (trompette), Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

La deuxième œuvre était une création mondiale. Commande de Radio France et de l’Opéra de Rouen, composé en 2015, Soleil rouge pour trompette et orchestre de Thierry Pécou (né en 1965) se place dans la continuité des œuvres dans lesquelles le compositeur s’inspire des traditions indiennes d’Amérique du Nord, particulièrement de la tribu des Navajos. L’orchestre de ce long chant cérémoniel (bois et cuivres par deux [quatre cors] auxquels s’ajoutent saxophone et tuba, timbales, deux percussionnistes, harpe et cordes) puise sa source dans le son du tambour et sa frappe inflexible, et se prolonge dans l’instrument soliste. La première partie de la partition est dense et chamarrée, mais à partir de la cadence elle devient trop systématique et se fait un peu redondante. Le trompettiste suédois Håkan Hardenberger, familier de la musique contemporaine (il a notamment enregistré avec brio Jet Stream de Péter Eötvös et Mysteries of the Macabre de György Ligeti), a donné toute la mesure de la partie soliste, à l’instar du Philharmonique de Radio France, qui s’est avéré le partenaire idoine, brillant de tous ses feux…

Mikko Franck, Luca Francesconi (né en 1956), Sofi Jeannin (chef de choeur) et Pumeza Matshikiza (soprano). Photo : (c) Bruno Serrou

… Tout comme dans le remarquable Bread, Water and Salt (Pain, eau et sel) de Luca Francesconi (né en 1956), dont c’était vendredi la première audition en France. Commande de la Fondation Santa Cecilia et de Radio France, créée le 3 octobre 2015 à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, écrite pour soprano, chœur mixte et orchestre, cette œuvre confirme combien le compositeur italien a la verve lyrique. Non seulement l’italianita est bien ancrée dans sa création, mais, depuis son opéra radiophonique Ballata del rovescio del mondo en 1994 jusqu’à celui en écriture, Trompe la mort d’après Honoré de Balzac pour l’Opéra de Paris en 2017, en passant par Ballata créé en 2002 à La Monnaie de Bruxelles et Quartett en 2011 à la Scala de Milan, Francesconi s’impose comme un grand lyrique. Richement orchestré (piccolo, deux flûtes, flûte en sol, deux hautbois, cor anglais, quatre clarinettes, deux bassons, contrebasson, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, timbales, quatre percussionnistes, harpe, synthétiseur, piano, cordes), et harmonisé pour chœur à quatre voix, cet oratorio reprend des appels de Nelson Mandela (1918-2013) dont il entremêle les deux langues que parlait le premier président noir de la République sud-africaine, l’anglais et le xhosa. Commençant sur des chuchotements pour se conclure dans un immense ensemble au tour mystique, les vingt minutes de l’œuvre se déploient sans que l’on y prenne garde, tant l’œuvre emporte l’auditeur pour ne plus le lâcher jusqu’à son terme. Emplie de sortilèges, tant vocaux (la beauté des lignes réservées autant à la soprano soliste comme l’écriture somptueuse d’un chœur aux caractères multiples) qu’instrumentaux, cette cantate est d’une force dramatique et d’une humanité saisissante qui la situent dans la lignée de l’hymne à la fraternité qu’est la Neuvième Symphonie de Beethoven. Sous la direction sensible et expressive de Mikko Franck et en présence du compositeur, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France ont servi cette partition avec élan et diligence, sertissant un tapis liquide et soyeux à la soprano sud-africaine Puleza Matshikiza, qui avait participé à la création de l’œuvre voilà quatre mois sous la direction d’Antonio Pappano.

Henri Dutilleux (1916-2013). Photo : (c) Jean-Pierre Muller / AFP

Centenaire oblige, c’est sur une œuvre d’Henri Dutilleux (1916-2013) que s’est conclu ce premier rendez-vous de Présences 2016. La partition choisie pour cet hommage, Timbres, Espace, Mouvement, est l’une des plus puissantes du compositeur français. Le sous-titre La Nuit étoilée de cette partition commandée par Mstislav Rostropovitch qui dirigea la création de sa première mouture à Washington le 7 janvier 1978, renvoie au tableau éponyme peint en 1889 par Vincent van Gogh (1853-1890) dont Dutilleux, qui révisa l’œuvre en 1990 pour y ajouter un interlude destiné aux seuls violoncelles, a cherché à rendre musicalement l’effet tournoyant quasi cosmique qui émane du tableau qui l’a inspiré. Les timbres sont marqués par l’absence des cordes aiguës, violons et altos, laissant ainsi la primauté aux couleurs sombres éclairées par des saillies de flûtes, de hautbois, de trompettes, de harpe et de célesta et de la riche percussion, tandis que l’espace est établi par une répartition de l’orchestre peu usitée, avec les douze violoncelles disposés en arc de cercle autour du chef, et le mouvement représenté par le tourbillon rythmique et l’alternance de tempi entre quasi statiques et flamboiement. Peut-être est-ce dû à une attention particulière portée à la préparation des trois premières œuvres de la soirée, mais l’Orchestre Philharmonique de Radio France et son directeur musical sont apparus contractés et timorés dans la première partie de Timbres, Espace, Mouvement, Nébuleuse, les sonorités et la métriques étant trop serrées, pour se libérer dans l’Interlude ou les violoncelles ont brillé de leurs sonorités profondes et veloutées, préludant avec bonheur à Constellations, où l’orchestre a scintillé sans retenue, Mikko Franck déverrouillant enfin ses musiciens d’un pesant carcan.  

Bruno Serrou    

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire