jeudi 29 octobre 2015

Un Orchestre de Paris festif, avec Esa-Pekka Salonen puis l’inauguration de l’orgue symphonique de la Philharmonie de Paris avec Paavo Järvi

Paris, Philharmonie 1, jeudi 22 et mercredi 28 octobre 2015

Photo : (c) Orchestre de Paris

Deux semaines de fête, tel est le sort enviable de l’Orchestre de Paris dans sa salle de la Philharmonie. La semaine dernière avec la venue du compositeur chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen ; cette semaine avec l’inauguration de l’orgue symphonique de la Philharmonie mais aussi une brillante création mondiale par l'altiste Antoine Tamestit d’un concerto pour alto de très haute tenue signé Jörg Widmann…

Buffet et tuyaux. Photo : (c) Bruno Serrou

Naissance de l’orgue de la Philharmonie

La première prestation de l’orgue de la Philharmonie a attiré hier la foule des grands soirs. Il faut dire que le petit bois de tuyaux longilignes et argentés pointant au-dessus du plateau côté cour devant un mur blanc apostrophait le public depuis déjà neuf mois. Ledit public qui s’installait à sa place hier avait le regard attiré par une énorme console type Airbus A380 ou d’un OVNI intergalactique que le bricoleur Jean-Michel Jarre ne renierait pas. Une fois le noir-salle établi, l’ombre de Thierry Escaich, compositeur-organiste titulaire de la tribune parisienne de Saint-Etienne-du-Mont-membre de l’Institut de France-professeur d’écriture et d’improvisation au CNSMDP voisin que d’aucun considère de par ses fonctions et titres comme le successeur d’Olivier Messiaen, se glisser subrepticement jusqu’à la console, qui, dès le premier son émis, déclencha l’ouverture d’ouïes à l’arrière du bois de grands tuyaux d’où est sortie une lumière rutilante quasi-divine qui fit la même sensation qu’une apparition mariale dans la grotte de Lourdes. 

Claviers. Photo : (c) Bruno Serrou

Une mise en scène impressionnante apte à faire oublier au public français, réputé plus sensible à la lumière qu’au son, les aptitudes de l’instrument lui-même. Il serait ingrat de juger des qualités de l’improvisation de Thierry Escaich. En effet, sa mission était de tirer tout ce qu’il pouvait des soixante pour cent du potentiel de l’orgue, qui ne sera complet qu’en février prochain, pour son inauguration officielle (1). De ce fait, le musicien a cherché à faire entendre la diversité sonore et technique de l’instrument, qui s’avère indubitablement prometteur et qui, dans cette salle pour laquelle il a été expressément conçu, sonne avec une transparence et une diversité de timbres impressionnante. Il lui manque cependant encore rondeur et relief, ce qui ne sera assurément plus le cas dès que l’instrument sera complet, d’ici moins de quatre mois.

Paavo Järvi, Thierry Escaich et l'Orchestre de Paris. A gauche, le prifil blanc du clavier de l'orgue de la Philharmonie. Photo : (c) Bruno Serrou

L’orgue a été remis à contribution dans la seconde partie du concert, dans la configuration pour laquelle il a été conçu, celle de sa participation à un concert symphonique, fondu ou dialoguant avec l’orchestre. L’œuvre choisie pour cette première a été la plus emblématique de ce répertoire, la Symphonie n° 3 en ut mineur avec orgue op. 78 de Camille Saint-Saëns. Cette fois, la console blanc-émail rutilant de l’orgue était placée de profil, côté jardin derrière les violons et cachant le piano, révélant un profil digne du design des produits Jacob Delafon, comme me l’a soufflé un espiègle soliste de l’Orchestre de Paris. Sous l’impulsion de Paavo Järvi, qui a semblé se délecter de cette œuvre scintillante dont il a su souligner la diversité des atmosphères tout en suscitant une transparence et une fluidité des pupitres et des voix, sans en affecter les climax funèbres dont la symphonie est toute imprégnée avec le leitmotiv du Dies Irae - œuvre sans doute choisie indépendamment de la proximité de la Fête des Morts, le 2 novembre -, exacerbant les contrastes et les vagues de sons qui parcourent l’orchestre tout au long de l’œuvre, rivalisant de puissance avec l’orgue, qui n’a jamais écrasé l’orchestre même dans les moments où les plein-jeux s’expriment.

Jörg Widmann (né en 1973), Viola Concerto, disposition de l''orchestre. Photo : (c) Bruno Serrou

Antoine Tamestit crée Viola Concerto de Jörg Widmann

Mais l’autre grand moment de la soirée, parallèlement à la première participation de l’orgue de la Philharmonie à un concert symphonique, a été la création mondiale du Concerto pour alto - Viola Concerto de Jörg Widmann (né en 1973). Egalement clarinettiste et chef d’orchestre, l'artiste bavarois disciple de Hans Werner Henze est l’un des compositeurs les plus créatifs et talentueux de sa génération. En février 2014, il avait joué lui-même son Concerto pour clarinette « Elégie » avec l’Orchestre National de France dirigé par Ilan Volkov dans le cadre du festival Présences. En 2009, pour le vingtième anniversaire de l’Opéra Bastille et l’ultime spectacle de l’ère Gérard Mortier, il avait donné en création Am Anfang (Au commencement), sorte d’Ovni qu’il avait réalisé avec le plasticien Anselm Kiefer et qui avait suscité de violentes réactions. Cette fois, c’est au remarquable altiste français Antoine Tamestit qu’il a dédié son Concerto pour alto, commande conjointe des Orchestres de Paris, de la Radio suédoise et Symphonique de la Radio bavaroise. Ce concerto d’un peu plus d’une vingtaine de minutes est en fait un grand chant virtuose imbriquant étroitement humour, onirisme et nostalgie. Widmann a le sens de la couleur et des alliages de timbres instrumentaux qui lui permettent d’instaurer entre les pupitres et le soliste des coloris et des fondus sonores époustouflants. Sa maîtrise du micro-intervalle, la palette de timbres et la virtuosité qu’il met magnifiquement en valeur lui permettent de mêler subtilement les sonorités immatérielles d’instruments comme la harpe et le célesta ainsi que de l’alto, et la richesse de couleurs de l’orchestre et de chacun de ses instruments. La formation qu’il met en jeu, sans hautbois (quatre flûtes (dont flûte basse et flûte en sol), quatre clarinettes (dont clarinette basse et clarinette contrebasse), trois bassons (dont un contrebasson), quatre cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, trois percussionnistes, timbales, célesta, piano, deux harpes, quatre violons, trois altos, trois violoncelles, huit contrebasses), est disposé en arc de cercle de façon peu commune, les pupitres étant positionnés dans l’espace de telle sorte que la perception spatiale des instruments soit amplifiée et que suffisamment de place soit laissée aux pérégrinations du soliste à travers l’orchestre. 

Jörg Widmann (né en 1973), Viola Concerto. De gauche à droite : Paavo Järvi, Jörg Widmann, Antoine Tamestit devant l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

L’alto solo donne discrètement le signal du début de l’œuvre dont il est le soliste, debout entre harpes et célesta tapant sur le corps de son instrument et sur le cordier, lançant des regards de défit rigolards et moqueurs au chef d’orchestre tandis que lui répondent les toms en imitation, avant de commencer une longue série de pizzicati et de traverser l’orchestre jusqu’en son centre, les contrebasses le soutenant avec toutes sortes de pizzicati parcourus de pizz. Bartók secs et sonores, jusqu’à ce que l’orchestre retentisse violemment. A l’instant de ce premier climax, une corde de l’alto solo choisit de rendre l’âme dans un grand claquement frappant contre le corps de l'instrument et qui contraint Antoine Tamestit à se retirer dans la coulisse pour changer de corde et la régler, laissant orchestre, chef et public dans le silence de l’attente. Pour la reprise, Paavo Järvi fait reprendre au climax, sur le cri des trompettes et du tuba. Cette fois, la corde rebelle résiste. Soudain, Tamestit tend le bras et l’archet pointant vers le plafond, signifiant qu’il cesse de jouer pizzicato pour jouer enfin con l’arco, qu’il va utiliser de toutes les façons imaginables, y compris col legno. Puis il s’accorde, tandis que les pupitres de cordes jouent pizzicato. A l’alto répond l’écho velouté de la flûte basse et de la flûte alto vers lesquelles il se dirige. Survient un moment exceptionnel lorsque l’alto use de ses harmoniques face aux graves des clarinettes et du tam-tam auxquels il répond sur la corde de do. Suit un très beau solo sur une, puis plusieurs cordes, soutenu par les seules contrebasses bientôt rejointes par les trombones qui le submergent bientôt, puis les clarinettes grondantes sur une longue tenue tandis que l’altiste se déplace tout en jouant jusqu’au centre du plateau, se plaçant cette fois entre les trompettes et les contrebasses, alors qu’un immense cri perçant s’élève de l’orchestre, le soliste s’exprimant sur un mode de plus en plus exacerbé. Mais alors qu’il se dirige vers le côté cour du plateau, Tamestit perd l’épaulière de son alto, incident qui devait fatalement arriver tant l’œuvre exige un jeu singulièrement énergique et virtuose. Enfin, sur une montée vers l’aigu, le soliste s’installe à la place habituellement dévolue au soliste, entre violons et chef et se lance dans le finale, lyrique et d’essence tonale, où il est soutenu par les cordes seules, finale qui s’éteint doucement, après que l’alto ait réalisé une scordatura de la corde do, relayé tandis qu’il s’efface par les graves des contrebasses. Véritable poème symphonique pour alto et orchestre, cette œuvre pourrait rapidement devenir l’une des plus courues par les altistes en quête de répertoire concertant.

Esa-Pekka Salonen et l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Esa-Pekka Salonen et Béla Bartók

Une semaine plus tôt, l’Orchestre de Paris s’est illustré sous la direction d’Esa-Pekka Salonen dans un programme monographique consacré à Béla Bartók. Toujours jeune, svelte, élégant et plein d'énergie, le chef finlandais a semblé chanter dans son jardin, tant l’alliance chef/orchestre a semblé couler de source. Je n’ai pu ce soir-là m’empêcher de songer à Pierre Boulez, qui a si souvent fréquenté la musique de Bartók, notamment avec l’Orchestre de Paris et dans les mêmes œuvres. Je ne fais ici qu’évoquer ici en passant la triste et déconcertante prestation des sœurs Labèque dans la version avec orchestre de la Sonate pour deux pianos et percussion dans lequel l’Orchestre de Paris a eu peu à faire, et les deux percussionnistes, Camille Baslé et Eric Sammut, tous deux solistes de l’Orchestre de Paris, respectivement aux timbales et à la percussion, sont apparus circonspects, pour célébrer l’extraordinaire prestation de l’Orchestre de Paris et de tous ses pupitres solistes autant dans la Suite de danses pour grand orchestre Sz. 77, qui est apparue plus brûlante qu’avec Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra cinq jours plus tôt dans la même salle, que dans le Concerto pour orchestre Sz. 116 auquel Esa-Pekka Salonen a donné à la fois tout son éclat grâce à l’assurance des musiciens de l’Orchestre de Paris, sa rigueur rythmique et sa diversité poétique.

Bruno Serrou

1) Les 6 et 7 février 2016

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