samedi 22 août 2015

Le Festival Berlioz a réuni Théâtre antique de Vienne près de 1000 exécutants pour un Te Deum tel que rêvé par Berlioz

Festival Berlioz, Vienne (Isère), Théâtre antique, vendredi 21 août 2015

Vienne, Théâtre antique. Le Te Deum d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou

Hector Berlioz l’avait rêvé, Bruno Messina l’a fait. Et de belle façon. Même si les « puristes » n’ont pas manqué de relever l’usage d’une amplification qui a dénaturé timbres et sources sonores, le Te Deum que Berlioz  a été proprement « babylonien ».

Le Théâtre antique de Vienne. Photo : (c) Bruno Serrou

Le lieu choisi était assez emblématique, puisque c’est à Vienne, sous-préfecture de l’Isère plantée sur la rive gauche du Rhône à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de La Côte-Saint-André, que vécut la sœur cadette d’Hector Berlioz, Adèle, la préférée d’Hector, une « amie intime » qui s’y était installée en 1845 après avoir épousé le notaire Marc Suat. Berlioz se rendit à Vienne plusieurs fois, jusqu’en septembre 1864, soit quatre ans après le décès d’Adèle… En outre, l’enceinte du Théâtre antique choisie pour ce premier concert de l’édition 2015 du Festival Berlioz ramène à la passion du compositeur pour la mythologie gréco-romaine, et marque la fusion des musiques populaires et considérées « savantes » - élitiste pour certains édiles -, puisque ce théâtre où seuls les gradins subsistent ainsi que quelques bribes de colonnes, doit faire appel à l’amplification pour éviter que le son se disperse dans toutes les directions, notamment vers la ville de Vienne, puisque les gradins du Théâtre antique sont à flanc de montagne. Ce qui explique son exploitation essentiellement destinée aux musiques amplifiées, qu’elles soient « actuelles » ou plus encore au jazz. Ce lieu est en effet le siège du festival Jazz à Vienne dont la trente-cinquième édition s’est achevée le 11  juillet dernier.

Photo : (c) Bruno Serrou

Pour célébrer l’union exceptionnelle mais qui pourrait perdurer des deux manifestations estivales majeures de l’Isère que son Jazz à Vienne et le Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, ce dernier a intitulé cette journée « Berliozz à Vienne », avec deux « z », le second acrostiche renvoyant au jazz, qui finira par apprivoiser le matériau thématique de la Symphonie fantastique du premier.

Orchestre Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou

Les trois orchestres Demos de l’Isère

Devant quelques six mille spectateurs, ce sont produits plus de mille musiciens, chanteurs, choristes, maîtrisiens, professionnels et amateurs de 7 à 50 ans, pour quelques huit heures de musiques de tout genre, de l’improvisation jusqu’à la plus « savante », en passant par le jazz, les « musiques actuelles » et la musique de film, chaque genre se succédant, fusionnant ou se répondant avec le plus grand naturel.

Bruno Messina, directeur de Demos et du Festival Berlioz interviewé par Manuel Houssais et l'un des Orchestre Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou

Précédée d’une courte et sans consistance présentation des œuvres par Frédéric Lodéon, animée avec à-propos par Manuel Houssais, animateur spectacle et culture de France-Bleu Isère, la première partie du marathon musical du Théâtre antique de Vienne étaient entièrement dévolue aux jeunes musiciens de l’association Demos-Isère. Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) dirigé par Bruno Messina et dont le siège social est à la Philharmonie de Paris, est placé en Isère sous l’autorité de l’Aida (Agence iséroise de diffusion artistique). Dans ce département de la Région Rhône-Alpes, Demos concerne trois-cents enfants répartis en vingt groupes de quinze jeunes de 7 à 12 ans. Caque groupe est porté par une structure sociale (CCAS, MJC, Maison de l’enfance, Centre de loisirs, Service jeunesse, Centre social, etc.) partenaire du projet. Ces jeunes forment trois orchestres symphoniques répartis sur le territoire isérois, entre zones urbaine, rurale et montagnarde : l’Orchestre Nord-Isère (qui regroupe les communes des Abrets, Bourgoin-Jallieu, L’Isle d’Abeau, La Tour-du-Pin, les communautés de communes de la Vallée de l’Hien et des Vallons de la Tour, Villefontaine), l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon, et l’Orchestre Grenoble-Montagne (Bourg-d’Oisans, Echirolles, Grenoble, Lans-en-Vercors et Voiron).

Eric Villevière dirige l'un des trois Orchestres Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou

Chacune de ces trois formations a présenté un programme travaillé pendant un an sous la conduite de musiciens professionnels de la région Rhône-Alpes et du département de l’Isère, qui se sont mêlés à eux au sein des différents pupitres. Devant un public bon enfant mais un peu « disturb », dirigé par Eric Villevière, l’Orchestre Nord-Isère, vêtu de blanc, a ouvert les festivités avec l’air traditionnel grec Eskoutari - Apo Xeno Topo suivi d’un extrait de Shéhérazade (Le jeune prince et la jeune princesse) de Rimski-Korsakov et du finale de la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski, ce dernier sonnant de façon beaucoup plus convaincante que ce que pouvait donner à entendre voilà trente ans la phalange professionnelle qu’est l’Orchestre de Catalogne et de Barcelone. Habillés de rouge, l’Orchestre Grenoble-Montagne, lui aussi dirigé par Eric Villevière, a donné la virtuose Marche au supplice de la Symphonie fantastique de Berlioz de façon impressionnante considérant l’expérience de la jeune troupe, suivie de l’Air des furies tiré du Don Juan de Gluck, avant que les instrumentistes ne se transforment en choristes pour entonner le célèbre chant des partisans italiens Bella Ciao accompagnés des seuls musiciens encadrants. Habillés tels des poussins, en jaune, les jeunes musiciens de l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon ont fermé la marche avec le chœur du premier acte de Lakmé de Léo Delibes, suivi de la Danse du calumet extraite l’acte des Sauvages des Indes galantes de Rameau et, pour conclure, une pièce qu’Henri Tournier a tirée d’un chant traditionnel indien du nord, Yamini, celle qui comptait les étoiles, mêlant ainsi prouesse instrumentale et vocale.

Quelques-uns des mille exécutants du Te Deum de Berlioz dirigé par François-Xavier Roth. Photo : (c) Bruno Serrou
   
1000 exécutants pour le Te Deum de Berlioz

Le clou de la soirée a suivi après trente minutes d’entracte qui aura tout juste permis un changement de plateau nécessaire pour accueillir le millier d’interprètes requis pour le Te Deum op. 22/H118 de Berlioz. Composé en 1849 en trois mois, peaufinée jusqu’en 1855, cette œuvre en six séquences est la troisième des grandes fresques d’inspiration religieuse de ce compositeur réputé athée, après la Messe solennelle de 1824 que Berlioz prétendit perdue sans doute pour mieux lui emprunter dans ce Te Deum, et la Grande Messe des Morts op. 5 de 1837. Les effectifs sont moins colossaux que dans le Requiem, particulièrement l’instrumentarium, enrichi néanmoins de l’orgue, qui compense cette différence. Une partie de l’œuvre avait d’abord été envisagé comme sommet d’une grande symphonie à la mémoire de Napoléon Bonaparte. Cette dernière ne verra jamais le jour, mais il en utilise un certain nombre d’idées dans le Te Deum, qu’il aura beaucoup de mal à imposer, l’œuvre étant refusée pour le sacre de Napoléon III, puis pour le mariage de ce dernier, avant d’être finalement créée le 30 avril 1855 dans le cadre de l’inauguration de l’Exposition Universelle de Paris. François-Xavier Roth, qui a dirigé l’œuvre à la Philharmonie de Paris le 20 juin dernier à la tête de son orchestre Les Siècles, a repris le Te Deum avec le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz…

François-Xavier Roth dirige le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz, le Gand Choeur Spirito et les Petits Chanteurs de l'Isère et de la Région Rhône-Alpes dans le Te Deum de Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz

François-Xavier Roth a fondé de toute pièce en 2003 Les Siècles, orchestre qui s’est rapidement imposé parmi les formations majeures malgré sa volonté d’aborder tous les répertoires orchestraux, du plus ancien au plus contemporain, sur les instruments et selon les modes de jeu du temps de la genèse des œuvres programmées, écrivais-je voilà un an dans les colonnes du quotidien La Croix. Ce qui ne va pas forcément de soi et qui réclame de la part d’un chef d’orchestre un réel sens didactique. Tant et si bien que le chef français a vite acquis la réputation de forgeur d’orchestre. C’est donc naturellement que Bruno Messina, sitôt nommé directeur du Festival Berlioz à La Côte-Saint-André en 2008, s’est tourné vers lui pour créer un orchestre-académie du festival, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz (JOEHB). Depuis 2010, ce dernier se façonne et participe chaque été dans le cadre du festival, le premier été avec le Te Deum, qu’il a repris hier après les Scènes de Faust, Roméo et Juliette, Béatrice et Bénédict et, l’an dernier, la Damnation de Faust. Cette formation s’adresse à des musiciens qui entendent se lancer dans une carrière professionnelle d'orchestre. « Le recrutement est international, le renom de Berlioz facilitant les choses, se félicitait Roth l'an dernier. Une part des effectifs est constituée de musiciens des Siècles et, pour l’essentiel, de jeunes de 17 à 28 ans en fin d’études. Cet orchestre s’attache précisément à l’époque de Berlioz, à sa musique et aux instruments de son temps. » Les jeunes musiciens viennent d’Europe du nord, d’Angleterre, Suisse, Allemagne, Brésil et France. « Au total, 120 musiciens, ce qui est parfaitement berliozien, s’enthousiasme Roth. Et cela marche fort bien avec les instruments anciens, qui apportent clarté et transparence dans les équilibres orchestraux. Avec Berlioz, cela fonctionne à la perfection, » Roth précise que, contrairement à sa Symphonie fantastique qui a une histoire interprétative continue depuis sa création, beaucoup de partitions de Berlioz ont été mal jouées en son temps. « Puis elles sont soit tombées dans l’oubli, soit elles n’ont pas pu être rejouées immédiatement, rappelle Roth. Il y a donc des creux dans l’histoire des œuvres de Berlioz, et c’est l’intérêt avec ces étudiants de pouvoir faire un focus sur cette musique, avec des choses toutes simples comme la façon de phraser, de gérer les équilibres, etc. Les jeunes musiciens ont moins de repères chez Berlioz que chez Mahler, Brahms, Debussy ou Ravel. Il y a donc beaucoup à faire de ce point de vue, et c’est passionnant. »

Photo : (c) Bruno Serrou

600 enfants chanteurs de l’Isère et 200 choristes professionnels

En plus de ces jeunes musiciens au seuil d’une carrière au sein d’orchestres professionnels auxquels s’est associé l’organiste Daniel Roth, son père, et le ténor Pascal Bourgeois, François-Xavier Roth s’est associé le Grand Chœur de Spirito qui réunit deux cents chanteurs des Chœurs & Solistes de Lyon et du Chœur Britten dirigés par Nicole Corti et Bernard Têtu, et six cents enfants des Petits Chanteurs de l’Isère et de la Région âgés de six à quinze ans. Dirigés par Nicole Corti et deux assistants, les jeunes choristes en herbe ont suscité beaucoup d’émotion parmi les six mille spectateurs assis sur les gradins surchauffés du Théâtre antique de Vienne, et l’on a perçu quelques larmes couler des yeux lorsque ces enfants de toutes origines sociales et culturelles chantaient à gorge déployées les grandes mélodies berlioziennes sur le texte de la liturgie romaine. Le travail préparatoire a été d’autant plus fouillé que Roth avait exigé l’usage du latin du XIXe siècle. Voulant l’authenticité, Roth a en effet utilisé un instrumentarium de l’époque de Berlioz, avec cuivres naturels, bois d’ébène et cordes en boyaux, violoncelles sans pique, timbales en peau. Cette nuance de taille par rapport aux instruments modernes n’a pas été perceptible à cause de la sonorisation conçue pour les instruments amplifiés des musiques « actuelles » et non pas pour les instruments acoustiques. Il n’empêche, le public ne pouvait être conquis par tant d’enthousiasme, d’engagement et de volonté de bien faire de la part des enfants - certains avaient l’air perdus, d’autres se frottaient les yeux, épuisés au fur et à mesure de l’écoulement des cinquante minutes du Te Deum -, par la puissance des interventions ders chœurs professionnels et par la force conquérante qui émanait de la direction de François-Xavier Roth, tandis que la voix de Pascal Bourgeois était particulièrement desservie par la sonorisation.

François-Xavier Roth, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz et le Gand Choeur Spirito. Photo : (c) Bruno Serrou

Deux cantates de Berlioz en l’honneur des empereurs français

La seconde partie de ce concert a été l’occasion de découvrir deux œuvres que je ne connaissais pas, la cantate pour basse, chœur et orchestre Le Cinq Mai, chant sur la mort de Napoléon H 74 que Berlioz a composée en 1835 sur un texte de Pierre-Jean de Béranger et d’en diriger lui-même la création au Conservatoire de Paris le 22 novembre de la même année. Cette déclaration d’amour pour l’Empereur Napoléon Ier est un véritable cri de dévotion qui sollicite la force et la musicalité des chanteurs, particulièrement de la voix de basse traitée en soliste et parfaitement tenu par Nicolas Courjal. Autre découverte, du moins pour moi, L’Impériale H 139, cantate profane pour double chœur mixte et orchestre composée en 1854 pour le sacre de Napoléon III, que Berlioz dénommera très vite « Napoléon le Petit ». Pour finir sur une tonalité plus unanimement festive ce concert Berlioz monographique, François-Xavier Roth a salué public et musiciens de son jeune orchestre en confiant à ce dernier le soin de jouer seul sous sa direction en choisissant la célébrissime Marche de Rakoczy plus connue sous le nom de Marche hongroise extraite de la première partie de la Damnation de Faust de Berlioz, mais la fatigue aidant au terme de près de deux heures de concert, cette page s’est avérée plus trainante que de coutume.

°       °
°

Patrick Messina (clarinette), Ballaké Sissoko (kora) et Vincent Segal (violoncelle). Photo : (c) Bruno Serrou

Pour conclure la soirée dans une atmosphère feutrée de cabaret, Festival Berlioz et Jazz à Vienne ont fusionné leurs particularismes respectifs en confiant à deux musiciens de jazz, le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Segal, et à un instrumentiste classique, Patrick Messina, première clarinette solo de l’Orchestre National de France, frère de Bruno Messina, l’animation de l’heure d’improvisation jazz sur un matériau tiré de la Symphonie fantastique de Berlioz. Cette prestation en duo et en trio a pétrifié le public qui a écouté les musiciens dans un silence quasi-religieux qui n’avait pas été perceptible durant les deux concerts qui ont précédé, et de juger du bien-fondé d’une sonorisation qui est apparue plus adaptée à cette musique.

Bruno Serrou

Ce samedi, 22 août, un concert de musique de chambre en l’église Saint-André réunissant à 17h le violoncelliste Edgar Moreau et le pianiste Pierre-Yves Hodique, un Sous le Balcon d’Hector au Musée Berlioz à 19h et le Requiem de Cherubini précédé de Tristia de Berlioz par Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet en l’église de Saint-Antoine l’Abbaye à 21h. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire