samedi 25 avril 2015

Extraordinaire Hollandais du baryton-basse coréen Samuel Youn à l'Opéra de Marseille

Marseille (Bouches-du-Rhône), Opéra Municipal, mardi 21 avril 2015

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Ricarda Merbeth (Senta), Samuel Youn (le Hollandais). Photo : (c) Christian Dresse

A défaut de vraie nouvelle production - le spectacle est une adaptation d’une unique représentation des Chorégies d’Orange 2013 -, l’Opéra de Marseille crée néanmoins l’événement avec un Vaisseau fantôme de Richard Wagner au casting éblouissant.

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Avi Klemberg (Steuermann, à gauche), Samuel Youn (le Hollandais, à droite). Photo : (c) Christian Dresse

Quatrième opéra de Richard Wagner, Der fliegende Holländer (le Hollandais volant, 1843), connu en France sous le titre le Vaisseau fantôme, ouvrage que Wagner destinait à l’Opéra de Paris qui le lui refusa tout en lui achetant les droits du livret pour en confier la mise en musique au compositeur français Pierre-Louis Dietsch, est le premier des dix opéras jugés dignes par les descendants du compositeur d’accéder à la scène du Festspielhaus de Bayreuth. Sa durée comparable au seul Or du Rhin dans la production wagnérienne et lui aussi donné sans entracte, et sa structure traditionnelle, où perce déjà la révolution formelle wagnérienne ainsi que certains de ses grands thèmes, l’errance, le sacrifice, la rédemption par l’amour, en font à la fois l’opéra le plus directement accessible du « sorcier de Bayreuth » et le sas d’entrée dans son univers. D’où sa constante présence à l’affiche.

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Marie-Ange Todorovitch (Marie), Ricarda Merbeth (Senta), Choeur de femmes de l'Opéra de Marseille. Photo : (c) Christian Dresse

A Marseille pourtant, Wagner est apparemment moins couru que Verdi ou Massenet, à en juger du moins par la grande quantité de fauteuils restés vides le soir de la première du Vaisseau fantôme, l’opéra pourtant le plus « italianisant » de son auteur. Ce qui est regrettable, car l’affiche réunie n’a rien à envier aux grands millésimes du Festival de Bayreuth, à l’exception de l’orchestre... 

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Avi Klemberg (Steuermann), Tomislav Muzek (Erik), Ricarda Merbeth (Senta), Choeur de l'Opéra de Marseille. Photo : (c) Christian Dresse

Comme cela devient de plus en plus systématiquement le cas, le terme « nouvelle production » n’est plus à prendre au sens premier. A l’instar de l’Opera de Paris, qui en use et abuse, les théâtres lyriques français tendent à attacher ce libellé aux productions inédites « in loco ». Et c’est le cas de ce Vaisseau fantôme, nouveau pour Marseille mais créé aux Chorégies d’Orange 2013 sur l’immense plateau du Théâtre antique. L’espace plus étriqué de la scène de l’Opéra de Marseille a nécessité de la part du metteur en scène Charles Roubaud une remise à plat de sa direction d’acteur, les chanteurs étant plus proches du public, et d’Emmanuelle Favre des décors plus resserrés. Malgré cette adaptation, l’action côté jardin, à bord du navire de Daland, n’est pas visible de partout. Les projections de mer, de tempête, d’immeubles et d’embarcadère se font trop discrètes et fort peu discernables du parterre, cachées par la volumineuse étrave rouillée du vaisseau du Hollandais, qui, au premier acte, est aussi rocher battu par la tempête. Seul raté de cette conception épurée, la mort rédemptrice de Senta, qui s’effondre à terre au côté de son père tandis que le vaisseau fantôme demeure immobile.

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Tomislav Muzek (Erik), Samuel Youn (le Hollandais), Ricarda Merbeth (Senta). Photo : (c) Christian Dresse

Mais ce qui fait la particularité de la reprise marseillaise est la remarquable distribution vocale réunie pour l’occasion. Samuel Youn est un Hollandais d’exception. Voix d’airain au timbre de bronze, chant d’une plénitude absolue, engagement d’une vérité saisissante, aisance, puissance de l’émission impressionnante, solide comme un roc, le baryton-basse Coréen brûle les planches. Face à lui, Ricarda Merbeth, voix pleine et marbrée, phrasé éblouissant, est une Senta touchante et déterminée. Kurt Rydl, malgré sa voix usée, est un Daland de belle allure. L’Erik de Tomislav Muzek est viril et entreprenant mais sans brutalité. Sa voix ferme, large et lumineuse, est celle d’un Lohengrin. Marie-Ange Todorovitch, voix veloutée et sûre en Marie, et Avi Klemberg, Steuermann solide, parachèvent cette affiche d’excellence. Le chœur est vocalement sans défaut, mais les décalages sont nombreux. Il en est de même dans la fosse, avec en prime des problèmes de rythmes dus au chef Lawrence Foster, qui en plus suscite des cafouillages au sein d’un orchestre qui se donne pourtant dans cette partition avec un plaisir évident.

Bruno Serrou

 Article paru dans le quotidien La Croix le 23 avril 2015

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