vendredi 20 février 2015

Les Berliner Philharmoniker et Simon Rattle dans une éblouissante prestation ont donné la pleine mesure de l’acoustique tant espérée de la Philharmonie de Paris

Paris, Philharmonie de Paris, mercredi 18 février 2015

Kate Royal (soprano), Simon Rattle, Magdalena Kožená (mezzo-soprano), le Berliner Philharmoniker et le Choeur de la Radio Néerlandaise à la Phikharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou 

Orchestre étalon, le Berliner Philharmoniker était impatiemment attendu à la Philharmonie qui, plus que toute autre salle parisienne, s’avère au terme d’une soirée proprement extraordinaire être véritablement à la mesure de ce fabuleux orchestre forgé par les plus grands chefs de l’histoire et jouant dans la plus belle acoustique au monde, la Philharmonie de Berlin conçue par l’architecte Hans Scharoun, modèle absolu des salles de concert modernes. Et les deux mille quatre cents privilégiés qui ont eu le bonheur d’assister au premier concert de la phalange allemande à la Philharmonie de Paris sont sortis sonnés et muets de cette soirée qui restera à jamais gravée dans leurs oreilles et leur mémoire. 

Au programme, deux œuvres permettant il est vrai de juger en toute quiétude des capacités acoustiques de la Philharmonie : Tableau pour orchestre d’Helmut Lachenmann (né en 1935), aux textures fines et pointillistes, avec de rares tutti en fortississimo mais toute en délicatesse, en rebonds, traits et en saillies entre les pupitres, avec usage de sons blancs côté instruments à vent, emploi de plectres côté harpe et de toutes sortes de coups d’archets, des chevilles au chevalet des cordes, aux limites du silence, et la seconde, une grande page aux contrastes hallucinants, la Symphonie « Résurrection » de Gustav Mahler (1860-1911).

Helmut Lachenmann (né en 1935). Photo : DR

Répartis selon le dispositif choisi par le chef britannique pour éclairer la polyphonie de la symphonie de Mahler qui suivait sans autre interruption que les applaudissements du public, avec premiers et seconds violons se faisant face séparés par l’estrade du chef, avec altos à gauche des premiers violons, et violoncelles à droite des seconds, les contrebasses à côté des trombones, les effectifs instrumentaux de cette œuvre composée en 1988 sont pour le moins étoffés (quatre flûtes/piccolos, quatre hautbois, trois clarinettes/clarinette basse, trois bassons/contrebasson, huit cors, quatre trompettes, quatre trombones, quatre percussionnistes, timbales, harpe, piano, douze premiers et douze seconds violons, dix altos, huit violoncelles, huit contrebasses). Magnifié par l’orchestre le plus fabuleux, avec, à sa tête, son directeur musical, Sir Simon Rattle, qui aime de toute évidence cette musique dont il maîtrise les tenants et aboutissants, Tableau de Lachenmann a sonné avec une limpidité confondante, y compris les grandes plages d’unissons qui dans leur opacité ont laissé percer une profondeur de champs exceptionnelle grâce à un orchestre qui en a souligné les reliefs de ses timbres foisonnants, donnant à l’auditeur le sentiment d’être au contact-même de l’orchestre et de ses solistes au milieu d’une polyphonie directement palpable.

Gustav Mahler (1860-1911) dans son bureau de directeur de l'Opéra de la Cour de Vienne. Photo : DR

Plus contrastée et impressionnante encore, la symphonie qui constituait le morceau de roi de la soirée, lui donnant la tonalité d’une exception dans une vie de mélomane, suscitant le sentiment du véritable concert inaugural de la Philharmonie de Paris, tant l’œuvre et ses interprètes ont donné l’exacte mesure de la salle conçue par Jean Nouvel et surtout de l’acoustique d’Harold Marshall et de Yasuhisa Toyota. Une œuvre dont le titre résonnait à l’esprit du public comme une lueur d’espérance, au cœur de cette année 2015 dominée par la sinistrose et l’angoisse. La Symphonie n° 2 en ut mineur (1893-1894) de Gustav Mahler commence en effet sur une monumentale marche funèbre tendue comme un arc titubant en cinq sections intitulée Totenfeier (Cérémonie funèbre) que Mahler composa parallèlement à sa Symphonie n° 1 « Titan », en 1888, et se conclut en apothéose sur un lumineux finale composé sur un poème de Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803), Auferstehung (Résurrection) que Mahler avait entendu en février 1894 durant les funérailles de son confrère et aîné Hans von Bülow, le fondateur du Berliner Philharmoniker mort au cours d’un voyage en Egypte, les deux volets extrêmes étant réunis par trois mouvements s’ouvrant peu à peu sur la lumière. Le centre de la partition est le bref mais sublime Urlicht (Lumière originelle) pour mezzo-soprano et orchestre tiré de Des Knaben Wunderhorn (le Cor merveilleux de l’enfant), « Ô rose rouge : / l’homme est dans la misère la plus grande, / l’homme est dans la plus grande souffrance / ah, combien je préférerais être au ciel !… »

Simon Rattle, les Berliner Philharmoniker et le Choeur de la Radio Néerlandaise. Photo : (c) Philharmonie de Paris

A la tête d’un Orchestre des Berliner Philharmoniker aux sonorités de braise, dont l’homogénéité s’est immédiatement imposée, malgré une première mesure un peu désordonnée, avec un Allegro maestoso initial d’une unité confondante mais laissant néanmoins percer les marbrures, Simon Rattle a donné de la Résurrection une lecture au cordeau, serrant les tempi tout en maintenant une souplesse qui lui a permis d’éviter pathos et emphase, pour instiller à l’œuvre l’élan de la jeunesse, mais aussi la virulence, l’ampleur, l’onirisme et l’éclat conquérant qui en forment l’essence et qui ne sont qu’exceptionnellement atteints à ce point. Dans l’Urlicht, la mezzo-soprano tchèque Magdalena Kožená, Madame Rattle à la ville, a imposé son chant de braise de sa voix de velours au nuancier particulièrement expressif. La soprano britannique Kate Royal, abstraction faite d’un vibrato un peu trop prononcé, lui a donné une réplique chaleureuse dans le finale, où le Chœur de la Radio Néerlandaise s’est naturellement montré à la hauteur de la vision du chef et de la plastique de l’orchestre, cohérent, engagé et à l’ample nuancier, mais l’on eut apprécié que ses effectifs, limités à quatre-vingt, soient plus étoffés.

Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker. Photo : (c) Berliner Philharmoniker

Les effectifs considérables mis en jeu par le compositeur (quatre flûtes/quatre piccolos, quatre hautbois/deux cors anglais, cinq clarinettes/une clarinette basse, quatre bassons/un contrebasson, dix cors, huit trompettes, quatre trombones, tuba, deux timbaliers, six percussionnistes, glockenspiel, orgue, deux harpes, seize premiers violons, quatorze seconds, douze altos, douze violoncelles, neuf contrebasses - six trompettes, quatre cors et une paire de timbales étant en outre dans les coulisses avant de se joindre à l’orchestre sur le plateau dans les dernières mesures du finale), ainsi que la palette exceptionnellement large des nuances et intensités de son écriture sont parfaitement indiquées pour juger des performances acoustiques de la Philharmonie. Une acoustique qui s’avère extraordinairement précise au point de ne rien pardonner quant aux écarts d’attaques et de justesse, même les plus infimes, diffusant avec une définition singulièrement claire la source du son, de la plus délicate à la plus sonore, avec une résonance plus courte que dans une cathédrale mais palpable, ce qui est unique à Paris.

Bruno Serrou

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