dimanche 12 octobre 2014

Tosca de Puccini par Daniel Oren et Pierre Audi pour le Scarpia de Ludovic Tézier à l’Opéra de Paris

Paris, Opéra national de Paris Bastille. Vendredi 10 octobre 2014


Née en 1994, reprise à l'envi jusqu’en 2012, la production de Tosca de Giacomo Puccini de Werner Schroeter avait assurément fait son temps. Il était donc temps de remettre sur le métier le chef-d’œuvre du maître de Lucques, même si, jusqu’à sa mort en 2010 le réalisateur-metteur en scène allemand s’est fait un devoir de remettre sur le métier son spectacle à chacune de ses reprises. Cet opéra, qui compte parmi les plus populaires du répertoire, n’accepte guère les actualisations, comme l’ont confirmés de multiples adaptations présentées ces dernières années par de nombreux théâtres lyriques.

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris

Avec un opéra au contexte historique comme Tosca, placé sous le signe de Bonaparte cité à plusieurs reprises, il est difficile de faire abstraction de l’embrasement de l’Europe dû aux conquêtes napoléoniennes. D’autant que, dans cet ouvrage, l’ombre du « grand homme » se déploie d’un bout à l’autre. Il y est aussi beaucoup question de la Rome pontificale qui, menacée par les Jacobins, appelle à la rescousse la reine de Naples… Certes est-il surtout question dans Tosca de préoccupations de portée universelle (dictature, liberté, art, amour, sacrifice, sabre, goupillon, torture, etc.), mais le livret est là, et il est bien improbable de s’en abstraire. Pierre Audi, directeur artistique de l’Opéra national d’Amsterdam, a choisi, à l’instar de Schroeter, de cantonner l’action de sa mise en scène dans l’époque définie par Victorien Sardou pour sa pièce éponyme à laquelle Puccini s’est lui-même conformé pour l’opéra qu’il en a tiré avec la collaboration de ses deux librettistes, Giuseppe Giacosa et Luigi Illica.

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris

Pourtant, le metteur en scène d’origine libanaise a pu prendre une liberté de bon aloi envers un texte dont il a judicieusement respecté l’esprit, plus que la lettre, avec raison. Les costumes de l’époque napoléonienne et les uniformes des soldats de l’armée autrichienne que l’on voit sur les tableaux illustrant la bataille d'Austerlitz adaptés ici par Robby Duiveman participent de ce contexte librement inspiré de l’Histoire. Mais l’approche d’Audi s’avère plus chargée et alambiquée que celle de son aîné allemand, qui, malgré son approche inachevée et suscitant des réserves, était plus lisible et directe. Chez Audi, la croix est omniprésente, davantage que Rome-même. A commencer par une croix gigantesque en granit noir qui domine les décors de Christof Hetzer qui symbolise l’oppression de l’Eglise romaine soumise elle-même à la terreur exercée par le politique en général et par le baron Scarpia en particulier à laquelle elle adhère et qu’elle amplifie du fait de sa soumission-même. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I, finale. Photo : (c) Opéra de Paris

Au premier acte, la croix plantée longitudinalement sur le plateau tient lieu d’église-bunker dont l’un des murs supporte à fresque le tableau en cours d’exécution du peintre Mario Cavaradossi qui s’avère être un amoncèlement de nus féminins enchevêtrés et alanguis digne des temples païens de l’empire romain que l’Eglise condamnerait à coup sûr, même de nos jours. Au deuxième acte, le bureau de Scarpia est d’un rouge digne d’une maison close agrémenté de mille accessoires (globe terrestre, microscope et autres instruments astrologiques, grande table ronde, crucifix, etc.) écrasé par une croix géante servant de plafond. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte II. Ludovic Tézier (Scarpia), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi), Martina Serafin (Floria Tosca), Photo : (c) Opéra de Paris

Trois grands dégagements qui donnent sur la chambre de torture et perdent les bourreaux et leur victime, Mario Cavaradossi, ainsi que Scarpia lui-même, qui ne sait plus où porter son regard lorsque parviennent à ses oreilles les cris du peintre et surgissent ses sbires et son bourreau, ce dernier immanquablement affublé d’un costume ajouré type SM. L’acte III ne se déroule plus sur la terrasse du château Saint-Ange mais au milieu d’un terrain vague apparemment proche des murs de la cité papale, puisque l’on entend les cloches des églises de Rome depuis un champ fauché par les bombes (celles de Bonaparte ?) avec, côté jardin, une tente de campagne militaire éclairée de l’intérieur où il ne se passe strictement rien. Une gigantesque croix de béton accrochée aux cintres écrase le tout, menaçant les personnages telle une comète. Du coup, avec ce grand espace envahi par une végétation malingre, Tosca ne peut plus se jeter dans le vide pour mourir mais ne peut que s’éloigner, hypnotisée par une lumière grise et crue qui pourrait être celle de la rédemption.

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte II, finale. Ludovic Tézier (Scarpia), Martina Serafin (Floria Tosca), Photo : (c) Opéra de Paris

Avec un tel amoncèlement de croix et de crucifix en tous genres parant les trois actes ce cette Tosca, les vendeurs de bondieuseries du quartier latin environnant la place Saint-Sulpice ont dû être à la fête lorsque les accessoiristes de l’Opéra de Paris ce sont enquis de cette emblème chrétienne. Parmi les curiosités de la conception d’Audi, le sacristain qui promu ici vicaire... Seul le finale de l’acte initial, avec ces monsignori et enfants de chœur directement sortis du défilé de mode du film Fellini-Roma, s'avère une belle image, même si l’idée de ce clin d’œil n’est pas nouvelle. La direction d’acteur d’Audi est réduite au strict minimum, tant les pauses sont télégraphiées. Il manque donc le vrai théâtre à cette production, le comble chez Puccini, surtout après la vie et l’authenticité dramatique qu’avait insufflé Werner Schroeter. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte III. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris

Laissés à eux-mêmes par une mise en scène plus proche de la mise en place que de la direction d’acteur, les chanteurs sont engoncés dans une gestique plus ou moins télégraphiée. Ce qui s’impose dans toute son évidence avec Marcelo Alvarez, qui, en Mario Cavaradossi, en fait scéniquement des tonnes, prenant la pause, adoptant des postures ampoulées, se déplaçant pesamment. Il affronte en outre un problème de voile des cordes vocales lorsque la voix se situe dans les nuances p et pp et dans certaines notes aiguës, particulièrement au deuxième acte où il est contraint d’user du falcetto. En Floria Tosca, Martina Serafin, que l’on avait déjà pu entendre à Bastille dans ce même rôle, est habitée par son personnage. Il émane de sa voix nuances, puissance et grain, mais elle est parfois fâchée avec la justesse, surtout dans l’aigu, inégal. Elle aussi cherche ses marques côté théâtre, surtout lorsqu’elle chante seule le fameux Vissi d’arte comme si elle essayait de se convaincre elle-même de sa candeur tandis que Scarpia, sans doute parti s’enquérir de l’avancée de l’interrogatoire de son amant Cavaradossi, se fiche comme d’une guigne des états d’âme de celle qu’il entend posséder par tous les moyens. En fait, c’est le baron Scarpia de Ludovic Tézier qui convainc le plus. Quoiqu’annoncé souffrant, il est finalement le plus égal de voix et le meilleur acteur du trio central. Ampleur, timbre, prestance, présence, jeu, même si l’on sent qu’il cherche parfois ses marques dans l’espace et le mouvement, et que son état de santé l’oblige à de rares et passagères faiblesses dans le deuxième acte, où il a failli choir sur son séant en ratant le fauteuil en s’asseyant, le premier le voyant impérieux. Les seconds rôles sont tous très bien tenus, y compris le jeune pâtre du début du troisième acte, confié à la voix fragile mais authentique d’un garçon de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte III, finale. Martina Serafin (Floria Tosca). Photo : (c) Opéra de Paris

Dans la fosse, l’orchestre se montre moins nuancé que de coutume, Daniel Oren, entendu plus inspiré à Toulouse dix jours plus tôt dans Un ballo in maschera de Verdi (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/10/un-bal-masque-de-verdi-dune-grande.html) et pourtant familier du lieu, se limitant à trois échelles, sforzando-forte-fortissimo, sans jamais baisser la garde tout en s’avérant attentif aux chanteurs, qu’il guide et soutient avec attention. Belles prestations solistes, surtout du violoncelle et des deux premières clarinettes, ainsi que des cuivres, qui font un sans-faute mais se font parfois trop stridents et manquent de fondu. 


Bruno Serrou

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