vendredi 25 avril 2014

Excellent Œdipus Rex de Stravinsky précédé des Métaboles de Dutilleux dirigé par Daniele Gatti pour les 80 ans de l’Orchestre National de France

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 24 avril 2014

Dabiele Gatti et l'Orchestre National de France. Photo : (c) Radio France

Programme passionnant que celui offert hier par l’Orchestre National de France dans le cadre des commémorations du quatre-vingtième anniversaire de sa fondation, en 1934, sous l’impulsion du ministre des Postes Jean Mistler. D. E. Inghelbrecht en sera le premier chef titulaire…

Daniele Gatti. Photo : DR

Après une ouverture les Créatures de Prométhée op. 43 de Beethoven prenant le tour d’une mise en bouche autant pour les instrumentistes que pour le public, comme l’on confirmé quelques décalages, permettant d’adapter ses capacités de jeu et d’écoute à la salle du Théâtre des Champs-Elysées que l’Orchestre National de France s’apprête à quitter pour s’installer en décembre dans la nouvelle salle de Radio France à la jauge comparable, Gatti a dirigé avec allant Métaboles d’Henri Dutilleux. Le chef italien et son orchestre français ont ainsi rendu un ardent hommage à la mémoire du compositeur disparu voilà bientôt un an, le 22 mai 2013 à l’âge de 97 ans (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/05/le-grand-compositeur-francais-henri.html). Plutôt que vers l’une des cinq œuvres qu’il a créées entre 1951 et 2004, l’ONF a porté son choix sur une partition conçue sur l’initiative de l’une des grandes phalanges nord-américaines.

Henri Dutilleux (1916-2013). Photo : (c) Radio France

En effet, composées en 1964, les cinq pièces de Métaboles qui s’imbriquent les unes dans les autres pour constituer cette œuvre pour grand orchestre avec bois et cuivres par quatre, sont le fruit d’une commande de George Szell pour le cinquantième anniversaire de l’Orchestre de Cleveland, qui en a donné la création le 14 janvier 1965. La partition est conçue à la façon d’un concerto pour orchestre, chacune des parties, dont la formule initiale subit une succession de métamorphoses, privilégiant une famille spécifique d’instruments, bois, cordes, percussion, cuivres, avant d’être tous réunis dans le finale. L’interprétation qu’en ont donnée Gatti et le National a manqué de souplesse mais sans défaillance instrumentale significative dans les nombreux soli, tandis que les textures de l’orchestre se sont avérées fluides.

Igor Stravinsky, son fils et Jean Cocteau dans les fauteuils du Théâtre des Champs-Elysées, le 19 mai 1952, lors de l'exécution d'Oedipus Rex avec l'Orchestre National sous la direction du compositeur. Photo : (c) Radio France

Mais le moment attendu de la soirée était l’Œdipus Rex d’Igor Stravinski. Opéra-oratorio en deux actes pour récitant, solistes, chœur d’hommes et orchestre (trois flûtes, deux hautbois, cor anglais, trois clarinettes, deux bassons, contrebasson, quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba, timbales, tambourin, tambour militaire, grosse caisse, cymbales, piano, harpe et cordes) composé sur un texte en français de Jean Cocteau traduit en latin par l’abbé Jean Daniélou futur cardinal d’après la tragédie de Sophocle, créé sous forme d’oratorio au Théâtre Sarah-Bernhardt (aujourd’hui Théâtre de la Ville) à Paris le 30 mai 1927 puis sous forme d’opéra à l’Opéra d’Etat de Vienne le 23 février 1928, Œdipus Rex résulte de la volonté du compositeur exilé de créer une œuvre de caractère monumental « traduisant inversement du langage profane au langage sacré ». Stravinski précise : « Sacré peut signifier ici seulement plus ancien, comme on pourrait dire que le langage de la Bible du Roi Jacques est plus sacré que celui de la Nouvelle Bible Anglaise, et ceci uniquement par son caractère plus ancien. Mais je pensais qu’une langue plus archaïque, même si le souvenir nous en est imparfait, doit contenir un élément incantatoire que l’on pourrait exploiter en musique. » De la pièce de Sophocle, Stravinski et Cocteau ont fait une « nature morte » qui en forme la quintessence pour mieux en souligner l’essence dramatique et la dimension universelle. « L’action » présente une synthèse des malheurs d’Œdipe, roi de Thèbes, que l’oracle désigne comme seul responsable de la peste qui décime ses sujets en tant qu’auteur de parricide et d’inceste, à la suite de quoi, son épouse-mère, Jocaste, ce qui incite Œdipe à se crever les yeux… Partition de la période néo-classique de Stravinski, Œdipe Roi est une œuvre puissamment originale, un monolithe altier à la fois distant et extraordinairement expressif, comme toute la musique du compositeur, quels que soient les styles, le langage et les référents dont il se réclame, puisque l’on y décèle autant d’évocations de l’époque baroque et classique que de musique populaire de l’époque de la genèse de l’opéra-oratorio.

La direction rutilante, voire parfois tellurique, de Daniele Gatti a exalté l’œuvre de Stravinski au-delà de l’attente sans doute du compositeur lui-même, ne craignant pas de saturer l’espace sonore du Théâtre des Champs-Elysées, mais cette vision a proprement tétanisé la salle entière et l’Orchestre National de France, qui, survolté, a brillé tout au long de l’exécution, malgré de petites imperfections instrumentales, notamment du côté des trompettes. Parfaitement préparés par Kaspar Putnins, les Hommes du Chœur de Radio France se sont également illustrés par l’homogénéité des textures et par la noblesse de leur incarnation. Parmi les cinq chanteurs solistes, tous excellents, se sont particulièrement imposés le ténor autrichien Nikolai Andrei Schukoff, Œdipe radieux et halluciné, malgré un aigu serré, Sonia Ganassi, Jocaste au mezzo de velours mais manquant un peu de chair, le Tirésias puissant de Georg Zeppenfeld et l’ardent Berger de Benjamin Bernheim. Par son implication et sa diction remarquable, Pierre Arditi s’est avéré un excellent récitant.


Bruno Serrou 

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