vendredi 10 janvier 2014

La pianiste Valentina Lisitsa impose à Paris sa puissante maîtrise avec l’Orchestre de Paris en remplaçant au pied levé Boris Berezovsky

Paris, Salle Pleyel, jeudi 9 janvier 2014

Valentina Lisitsa. Photo : DR

Présentée par sa maison de disques comme « la pianiste 2.0 » pour ses 62 millions de clics et 108.000 abonnés sur YouTube, où elle a mis elle-même plus de deux cents vidéos de ses prestations, ce qui fait d’elle la musicienne classique la plus écoutée et regardée dans le monde, Valentina Lisitsa a acquis sa réputation sur la toile bien avant de s’imposer à la scène. Née en 1973 à Kiev, où elle a étudié au Conservatoire, vivant aux Etats-Unis depuis 1992, la pianiste américano-ukrainienne est encore peu connue en France. Parmi ses premiers enregistrements, un disque avec la violoniste Hilary Hahn consacré aux sonates de Charles Ives paru en 2011 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/02/cd-hilary-hahn-et-valentina-lisitsa.html).

Survenus de façon fortuite, les débuts parisiens en concerto de Valentina Lisitsa ont conquis le public de Pleyel et les musiciens de l’Orchestre de Paris. Remplaçant au pied levé Boris Berezovsky vaincu par la grippe alors qu’il se trouvait à Moscou, la pianiste s’est imposée à 41 ans comme une musicienne accomplie douée d’une force et d’une virtuosité d’airain. Connue pour s’habiller « horriblement », comme elle l’a confié dans un entretien pour le site Internet ResMusica (voir http://www.resmusica.com/2013/09/13/valentina-lisitsa-la-pianiste-2-0), ce que n’a pas démenti sa petite robe de cocktail rouge « PC » qu’elle avait revêtu hier, elle a accepté d’interpréter le programme prévu par son aîné, le rebattu Concerto pour piano et orchestre n° 1 en mi bémol majeur et l’implacable Totentanz pour piano et orchestre de Franz Liszt. Les bras, les mains et les doigts d’une ampleur impressionnante, assise droite et concentrée devant le clavier, qui semble appuyé sur ses jambes, regardant chef et orchestre de façon détendue entre deux traits solistes, la pianiste joue dextrement d’un nuancier infini, tirant de l’instrument des couleurs somptueuses et des sonorités d’une ampleur phénoménale magnifiées par un toucher fluide et aérien, capable autant de puissance que de pianissimi cristallins.

Paavo Järvi. Photo : DR

Si l’on peut regretter des tempi un peu trop lents dans le concerto, la Danse macabre s’est avérée hallucinante de force, de violence, de tension menaçante, de pressentiment, mais non dénuée de poésie exaltée par un toucher scintillant et arachnéen. L’Orchestre de Paris a tissé une trame sonore incandescente, ce qui a d’autant plus mis en évidence quelques approximations des cordes dans le concerto, avec les deux premiers pupitres de premiers violons auteurs d'attaques peu assurées suivis de l’intervention du premier violoncelle qui a semblé surpris de voir survenir son solo, l’archet attaquant mollement et les doigts légèrement en dessous de la note, tous trois étant remarquablement rattrapés par la dextérité et le rendu sonore de la première altiste, Ana Bela Chaves, tandis qu’il convient de saluer la remarquable prestation de Philippe Berrod (clarinette), Giorgio Mandelosi (basson) et André Cazalet (cor), mais aussi les premiers flûtiste et hautboïste que je n’ai pu voir de mon fauteuil d’orchestre, tous fort sollicités tout au long de la soirée.

Chaleureusement applaudie par une salle conquise par sa maîtrise olympienne, Valentina Lisitsa s’est lancée dans une série de quatre bis dont la durée totale de vingt-cinq minutes tient du mini récital. Pour récupérer de sa prestation tenant de la performance sportive dans la Danse macabre, la pianiste a joué l’Ave Maria de Schubert dans l’arrangement de Liszt, suivie de la Capanella de Liszt qui a préludé à un finale de la Sonate n° 7 de Prokofiev singulier de puissance assumée et de virtuosité, avant de conclure sur un Nocturne de Chopin pour calmer les ardeurs de son auditoire. Mais ce dernier ne semblant pas vouloir la lâcher, la pianiste a fini par tirer Philippe Aïche par le bras pour que l’orchestre vienne à sa rescousse en se levant pour signifier la fin de sa prestation.

Orchestre de Paris et Paavo Järvi. Photo : DR

Cette quasi demi-heure de récital non-prévu m’aura finalement empêché d’écouter la totalité de la seconde partie du concert, entièrement occupée par la Symphonie n° 4 en fa mineur op. 36 de Tchaïkovski. Un compositeur qui a toujours réussi à l’Orchestre de Paris, mes souvenirs remontant à une extraordinaire « Pathétique » en 1974 au Théâtre des Champs-Elysées dirigée par Seiji Ozawa… Sous la direction assumée de Paavo Järvi, la phalange sonne tout en rondeur et en plénitude, dès les fanfares d’entrée dont les onze éléments (cinq cors, deux trompettes, trois trombones, tuba) qui ont sonné fièrement les premières mesures introduisant l’Andante sostenuto initial, tandis que les bois et les cordes ont rivalisé en panache, s’épanouissant dans le chant  morbide de l’Andantino in modo canzona. Mais les horaires de la SNCF m’ont contraint à renoncer à la suite de la symphonie…

Eric Tanguy (né en 1968) et Paavo Järvi. Photo : (c) Orchestre de Paris, DR

Le concert s’était ouvert sur la création d’une pièce pour grand orchestre d’Eric Tanguy (né en 1968), dont le titre en forme de dédicace renvoie à l’un des plus grands compositeurs français du XXe siècle disparu le 22 mai dernier à l’âge de 97 ans, Affettuoso, « In memoriam Henri Dutilleux ». Une œuvre d’un peu moins d’un quart d’heure fruit d’une commande de l’Orchestre de Paris où l’on retrouve la pâte du vieux maître mais sans les dissonances ni l’audace de l’orchestration ni les résonances en creux, l’œuvre sonnant plutôt massif et usant fort épisodiquement de soli. Dans son texte de présentation, Eric Tanguy, qui fonde sa partition sur la note « ré » (D dans la notation anglo-saxonne, le D de Dutilleux), motive sa dédicace en rappelant ses rapports avec Henri Dutilleux, qui aura entretenu des relations suivies et souvent étroites voire admiratives, toutes écoles confondues, avec plusieurs générations de compositeurs, de ce fait tous aussi légitimes que Tanguy à se réclamer de lui et à lui rendre un hommage appuyé.

Bruno Serrou

2 commentaires:

  1. Bravo Bruno pour votre blog. J'ai raté ce concert, mais fort heureusement pas celui de la salle Gaveau en Mai. Très beau concert également de Valentina Lisitsa malgré un piano calamiteux (pourtant un superbe Pleyel) et une explosion d'un spot en pleine Tempête (de Beethoven). Valentina ne s'est pas affolée pour autant et a interprété une superbe sonate....

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