mardi 26 novembre 2013

L’Opéra de Bordeaux présente Otello de Verdi réalisé par une équipe féminine où Laurent Naouri fait en Iago une saisissante prise de rôle

Bordeaux, Grand-Théâtre, jeudi 21 novembre 2013

Giuseppe Verdi (1813-1901), Otello. Laurent Naouri (Iago), Czarlo Ventre (Otello). Photo : (c) Guillaume Bonnaud

N’en déplaise au compositeur Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris dont les propos énoncés sur France Musique le mois dernier sur la parité dans les institutions culturelles (1), le hasard de la programmation de l’Opéra de Bordeaux fait qu’une production de l’œuvre la plus abouti de Giuseppe Verdi aux côtés de Falstaff (1893), son pénultième opéra Otello (1887), soit confié pour le bicentenaire de son auteur à une équipe féminine. Coproduit avec l’Opéra de Nuremberg, cet Otello bordelais (2) réunit en effet la chef d’orchestre britannique Julia Jones et la metteuse en scène allemande Gabriele Rech. Deux femmes qui prennent l’ouvrage de Verdi à bras le corps.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Otello. Leah Crocetto (Desdemona). Photo : (c) Guillaume Bonnaud

Archétype du drame de la jalousie magnifié par William Shakespeare et adapté pour Verdi par Arrigo Boïto, Otello est une œuvre coup de point d’une violence étourdissante où le compositeur ménage néanmoins des plages d’un lyrisme sublime et d’une douceur d’une densité extraordinaire. Ce qui en fait un chef-d’œuvre aussi magistral que le Tristan et Isolde de Richard Wagner. La scénographie de Dieter Richter transporte l’action dans les années 1950, dans une grande salle où trône une table de billard, qui renvoie au jeu de Iago avec les boules que sont le maure Otello et la vénitienne Desdemona, avec les billes secondaires Cassio, Roderigo et Emilia. La mise en scène de Gabriele Rech est efficace et les chanteurs s’y fondent volontiers, malgré quelques moments contestables, comme la danse qu’exécute Desdémone durant l’air du Saule qui va à l’encontre de la silhouette un peu lourde de la cantatrice pour ce genre d’exercice, où l’Otello blanc qui se noircit le visage et les mains au milieu de l’acte III, puis, à l’acte IV, se tranche la gorge tout en s’effondrant sans délai loin du lit où il avait précédemment assassiné sa femme…

Giuseppe Verdi (1813-1901), Otello. Laurent Naouri (Iago), Leah Crocetto (Desdemona), Carlo Ventre (Otello). Photo : (c) Guillaume Bonnaud

En tête de distribution, Carlo Ventre est un Otello puissant au timbre corsé adapté aux caractère quasi wagnérien du rôle-titre. Aux côtés du ténor uruguayen, la soprano états-unienne Leah Crocetto, Desdémone ardente à la voix éclatante, transcende une corpulence pulpeuse par une grâce naturelle. Mais l’événement de la soirée a été la prise de rôle de Laurent Naouri en Iago, dont il fait un personnage impressionnant d’énergie, d’engagement, de haine et de duplicité véritable. Maigre, déjanté, le baryton français fait froid dans le dos. Le ténor français Benjamin Bernheim est un solide Cassio, et la mezzo-soprano russe Svetlana Lifar une chaleureuse Emilia. Dans la fosse, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine fait un sans faute sous la direction implacable de Julia Jones qui impulse à la partition une force dramatique étourdissante, peut-être un peu trop sonore parfois, mais qui met en relief les plages de tendresse et de sensualité.
   
Bruno Serrou

1) Le compositeur a affirmé que « les femmes ne sont pas forcément intéressées » par la carrière de chef, évoquant « un métier très éprouvant » qui peut décourager certaines par son « aspect très physique ». Il a surtout usé de l’expression malheureuse de « service après-vente de la maternité » pour traiter du problème des enfants qui peuvent être un frein pour une femme dans ce métier.


Article reproduisant pour l’essentiel celui que j’ai écrit pour le quotidien La Croix publié le 26 novembre 2013

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