lundi 18 novembre 2013

Le Festival d’Automne à Paris n’oublie pas Karlheinz Stockhausen qu’il sert fidèlement depuis sa création par Michel Guy

Paris, Festival d’Automne, Cité de la Musique, mercredi 13 novembre 2013

Karlheinz Stockhausen (1928-2007)

A qui soutient que Karlheinz Stockhausen est plus ou moins absent des salles de concert et a perdu de son aura depuis sa mort voilà bientôt six ans, en décembre 2007 à l’âge de 79 ans, le concert de mercredi impose un cinglant démenti. La salle était en effet bondée, malgré la complexité du programme. Mais, avant de pouvoir assister à la « messe Stockhausen », le public était accueilli sur le parvis de la Cité de la Musique par des représentants de l’Orchestre Symphonique du SWR Baden-Baden & Freiburg qui avaient déployé deux calicots et distribuaient des tracts demandant son soutien, tandis que François-Xavier Roth, son directeur musical titulaire, discutait avec les passants. 

Calicots du Sinfonieorchester des Südwestfunks Baden-Baden devant la Cité de la Musique. Photo (c) Bruno Serrou

En fait, cette somptueuse phalange, créée en 1946 par Heinrich Strobel qui venait de fonder la Südwestfunk, le Sinfonieorchester des Südwestfunks Baden-Baden est, sous son impulsion et celle des directeurs musicaux qu’il a nommés, Hans Rosbaud et Ernest Bour, très rapidement devenu le plus ardent défenseur de la création musicale contemporaine, créant plus de 400 œuvres en soixante-sept ans. Leur successeur, le compositeur Michael Gielen portera l’orchestre de la Schwarzwald au sommet de la hiérarchie des formations symphoniques. Déjà fusionné en 1998 avec le Süddeutscher Rundfunk de Freiburg-im-Breisgau, cet orchestre est sordidement promis depuis 2012 à une nouvelle fusion à l’horizon 2016 avec le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart. Passant d’un rapport de trois à un en moins de dix-huit ans dans la région la mieux dotée de la nation la plus mélomane du monde et la plus riche d’Europe, la musique reçoit un coup-bas terrible qui pourrait servir d’exemple malencontreux à nombre de pays, dont la France. Car, malgré les engagements des tutelles du Bade-Wurtemberg qui assurent que « la fusion devrait avoir lieu sans licenciements », les suppressions de postes sont inévitables et, pire encore, irréversibles, car cela ne peut bien évidemment que réduire les possibilités de carrières pour les jeunes musiciens, le nombre de concerts, de programmes, de commandes et de services. Tant et si bien que, avec raison, les musiciens et collaborateurs de l’Orchestre de Baden-Baden und Freiburg n’ont de cesse de tirer le signal d’alarme à chacun de leurs concerts, en Allemagne comme à l’étranger. Après Strasbourg, où ils ont ouvert le festival Musica en septembre, ils ont exprimé mercredi pour la seconde fois en France leurs inquiétudes devant le sas d’entrée de la Cité de la Musique à Paris.

Karlheinz Stockhausen (1928-2007). Photo : DR

Le programme, d’une durée toute « stockhausenienne », n’attribuait qu’une seule pièce à l’orchestre allemand, qui l’aura donnée deux fois, en ouverture de chacune des deux parties. Outre cette page d’orchestre, la soirée présentait trois pièces extraites du grand cycle d’opéras que Stockhausen a consacré aux sept jours de la semaine et qui l’a occupé plus d’un quart de siècle, de 1977 à 2003. Œuvre pour orchestre et électronique composée en 1971, Trans introduisait en effet trois scènes de Licht, Bassetsu Trio et Menschen hört tirés de Mittwoch aus Licht (Mercredi de Lumière), et une longue séquence d’une cinquantaine de minutes pour bande magnétique venue de Donnerstag aus Licht (Jeudi de Lumière) à laquelle je n’ai pu assister, le temps me manquant.

Voilées par un rideau de tulle, quarante cordes, violons et altos au centre entourés de chaque côté par trois violoncelles et deux contrebasses, tandis que bois, cuivres, l’orgue et percussion sont dissimulés derrière en fond de scène par un rideau noir, Trans est constituée de grands gestes de cordes ponctués de cinq solos, les cordes étant jouées par de longues et pesantes tenues d’archet noyées dans un halo de lumière crue aux dominantes rouge-violet. Le premier solo est confié à un tambour qui, debout devant l’orchestre côté cour, donne le départ au deuxième solo, joué par un alto, le troisième, plus long et au lyrisme outrancier est confié au violoncelle que le tambour interrompt avant de se retirer, le quatrième revient au violon et le dernier, le plus développé et virtuose, à la trompette qui émerge du fond du plateau sur un praticable, l’instrument scintillant dans un cadre au-dessus des cordes à jardin. Les deux écoutes successives de l’œuvre ont permis aux auditeurs une perception différente, la première étant portée par la découverte et la surprise, la seconde portant à l’écoute pure et simple, mais en plus détaillée, l’oreille étant plus largement ouverte car moins obstruée par l’œil cherchant en quête des sources sonores. L’on admire également le flegme et la rigueur des musiciens de l’Orchestre Symphonique du SWR Baden-Baden & Freiburg, discrètement dirigés depuis l’arrière-scène par François-Xavier Roth.

Bassetsu Trio est une réécriture pour cor de basset, trompette et trombone, instruments joués par les membres de la famille de Stockhausen, d’un « moment important » de Michaelion extrait de Mittwoch aus Licht composé pour chœur, basse avec récepteur d’ondes courtes, flûte, cor de basset, trompette, trombone, synthétiseur et bande. Du trio à qui la pièce est dédiée, seul le trompettiste Marco Blaauw était présent mercredi, Fie Schouten se substituant à Susanne Stephens au cor de basset et Stephen Menotti à Andrew Digby au trombone. Venus du lointain, les musiciens retournent au lointain tandis que les sons s’éteignent peu à peu, se mouvant dans l’intervalle des seize minutes du déploiement de l’œuvre au cœur de l’espace délimité par les allées ménagées dans les rangs des spectateurs et sur un praticable à l’avant-scène.

Même préoccupation de développement dans l’espace, mais cette fois au-dessus du public, une partition somptueuse pour sextuor vocal, Menschen hört (Hommes, écoutez) dans la lignée de l’admirable Stimmung de vingt-cinq ans antérieur. Circulant lentement autour du public dans les hauteurs du deuxième étage en arc de cercle de la Cité de la Musique, chacun portant entre ses mains un globe planétaire de couleurs diverses évoluant du noir, attribué au chef de l’ensemble, la basse Andreas Fischer, au blanc. Le chant se déploie à la gloire de Dieu sur un texte de Stockhausen et des extraits des Ecritures tandis que les chanteurs changent trois fois de position, chantent en alternant marche et point fixe, avant de sortir de la salle sur l’ultime syllabe HU et de disparaître, reprenant la pièce au début tout en s’éloignant lentement dans les couloirs et le foyer de la Salle des concerts jusqu’à ce que leur voix s’éteignent dans le lointain. Comme de coutume avec les Neue Vocalsolisten Stuttgart, cette œuvre remarquable de puissance et de spiritualité a sonné d’idéale façon dans l’enceinte de la Cité de la Musique transportant l’auditoire dans un univers sonore féerique et hypnotique.

Bruno Serrou  


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