jeudi 17 octobre 2013

Pour son unique édition, le Festival Wagner de Genève se distingue de l’ensemble des festivités du bicentenaire avec la création d’un "Siegfried, nocturne" de Michael Jarrell et Olivier Py d’une force pénétrante

Genève, Wagner Geneva Festival,  Comédie de Genève, dimanche 13 octobre 2013.


Genève, qui a accueilli Richard Wagner à plusieurs reprises au cours de son exil en Suisse dans les années 1850-1866, célèbre jusqu’au 7 novembre le bicentenaire de la naissance du compositeur saxon en lui dédiant un festival mêlant musique, littérature, théâtre, arts plastiques, danse et cinéma. Fidèle à lui-même autant qu’en amitiés artistiques, Jean-Marie Blanchard, directeur de cette unique manifestation, a commandé des œuvres nouvelles renvoyant au concepteur de l’œuvre d’art total aux deux compositeurs à qui il avait commandé des opéras inédits à l’époque où il dirigeait le Grand Théâtre de Genève, Michaël Jarrell et Jacques Lenot (1), ainsi qu’à l’écrivain metteur en scène Olivier Py à qui il a été le premier à confier une production lyrique du temps où il était directeur de l’Opéra de Nancy.


Inéluctablement rattaché à la période la plus noire de l’histoire de l’humanité qu’est celle de l’Allemagne nazie et ses effroyables répercussions, Wagner, qu’Hitler a opiniâtrement détourné à son profit, fait depuis plus d’une vingtaine d’années l’objet de mises en scène plongeant aux sources de l’idéologie nationale-socialiste. C’est ce sur quoi Olivier Py, qui dans ses propres conceptions des opéras de Wagner s’est toujours abstenu de s’y référer, s’est appuyé pour écrire pour Michael Jarrell la nouvelle (2) Siegfried, nocturne, dont il a tiré un livret traduit en allemand par Ursula Schneider. C’est sous la forme monodrame de soixante-dix minutes que les coauteurs ont choisi de présenter leur ouvrage.


Un monodrame qui tient à la fois de Cassandre que le compositeur suisse composa en 1994 sur un texte de Christa Wolf et de Pierrot lunaire d'Arnold Schönberg sur des poèmes d’Albert Giraud pour l’utilisation du parlé-chanté. Ce livret sensible et pénétrant dit combien à travers la figure de Siegfried, qui se délite peu à peu dans le Rhin qu’il recherche, personnifié par la présence dans le lointain des trois Filles du Rhin, le héros n’a plus de place au sein de la société contemporaine et se doit de disparaître.


Dans son livret, Py brosse une réflexion sur l’errance et la destruction d’une civilisation et d’une culture exceptionnellement riches qui se sont abandonnées à une abominable machine à tuer avant d’être broyées par les Alliés. La partition de Jarrell, qui utilise l’informatique en temps réel et s’abstient de toute citation, est un grand fleuve grondant dans les abysses du son qui pénètre l’âme de l’auditeur, tandis que l’écriture vocale, foisonnante, oblige le baryton à descendre petit à petit de l’aigu vers le grave de sa tessiture, ce qui trahit la progression de l’angoisse du héros déchu et de la désolation de son cheminement.


Dans une mise en scène effilée et puissante d’Hervé Loichemol qui enchaîne de belles images au cœur d’un impressionnant paysage de ruines réalisé par Seth Tillett, Bo Skovhus, à la fois chanteur et acteur éblouissant de bout en bout, campe un Siegfried blessé d’une exceptionnelle présence. Dirigé par Stefan Asbury, l’Ensemble Multilatérale, dissimulé par un rideau, en fond de scène, instaure un climat d’apocalypse qui prend le spectateur à la gorge et soutient avec une fulgurante efficacité l’extraordinaire performance d’acteur du baryton danois. A la fin, à la surprise générale, l’aigle impériale allemand prend son envol et traverse la salle de part en part alors que le rideau tombe…

Bruno Serrou

1) Jacques Lenot a composé pour le festival D’autres murmures, concerto pour trompette et grand orchestre qui est créé le 3 novembre par l’Orchestre de Chambre de Genève et le Sinfonietta de Lausanne dirigés par Alexander Mayer et, en soliste, Raphaël Duchateau.

2) Olivier Py, Siegfried, nocturne. Editions Actes Sud collection « un endroit où aller », 70 pages (2013)

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