vendredi 30 août 2013

Le IVe Annecy Classic Festival fait de la Venise des Alpes françaises une capitale musicale lacustre franco-russe

Annecy (Haute-Savoie), Annecy Classic Festival, Impérial Palace, Musée-Château, Eglise Sainte-Bernadette, lundi 26 et  mardi 27 août 2013

Annecy. Photo : (c) Bruno Serrou

Héritier de l’académie internationale d’été créée en 1969 par la pianiste Eliane Richepin, élève d’Alfred Cortot, Marguerite Long et Yves Nat qui en a confié la destinée en 1998 à son disciple Pascal Escande, par ailleurs directeur du Festival d'Auvers-sur-Oise depuis 1981, l’Annecy Classic Festival prolonge le mouvement impulsé par son inspiratrice en se faisant l’ardent défenseur des jeunes générations de musiciens tout en accueillant les artistes les plus réputés dans le monde, français ou étrangers, particulièrement russes. 

Car, depuis 2010, alors qu’il affrontait de graves difficultés financières, le festival annécien a déployé la voilure grâce à l’intérêt d’un mécène russe passionné de musique autant que de la cité lacustre, champion du pianiste Denis Matsuev devenu l’« âme du festival », l’homme d’affaires Andreï Cheglakov, et de sa fondation AVC Charity, intérêt qui a suscité une participation plus conséquente de la Ville et de son agglomération, ainsi que du Conseil général de Haute-Savoie. Avec cette manne inespérée, l’audience du festival atteint une dimension internationale, attirant les artistes les plus réputés et un rendez-vous majeur de l’été musical français qui a conquis plus de 8000 spectateurs en dix jours en 2012. Cela grâce notamment aux résidences d’orchestres parmi les plus prestigieux au monde renouvelées tous les trois ans. Ainsi, après le Royal Philharmonic Orchestra de Londres et Charles Dutoit (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/08/la-manne-musicale-dannecy-le-annecy.html), c’est au tour de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg et de son directeur musical Yuri Temirkanov, qui, en début de festival, a confié son glorieuse phalange à Jean-Claude Casadesus, avant de diriger lui-même les deux derniers concerts 2013. 

Cette quatrième édition, cadre du renouvellement pour trois ans de la convention qui lie le festival et la Fondation AVC Charity, a conforté le projet artistique de la manifestation annécienne consistant à réunir stars et musiciens des générations montantes, étudiants de conservatoires dans le cadre de master classes, et, pour la première fois cette année, un campus d’orchestre réunissant de jeunes étudiants et professionnels âgés de 9 à 20 ans, français et russes, en partenariat avec la ville d’Irkoutsk et l’Orchestre des Etoiles du Lac Baïkal, le tout fondu le temps de l’académie au sein de l’Annecy Campus Orchestra.

 
Annecy Classic Festival, église Sainte-Bernadette. Annecy Campus Orchestra, Leonid Bezrodniy (direction). Photo : (c) Annecy Classic Festival, Yannick Perrin

Dirigé par deux chefs, cet orchestre de jeunes, où l’on distinguait les musiciens russes par leur uniforme entièrement bleu (chemisier blanc torsadé) pour les filles, et bleu et noir (chemise blanche) pour les garçons, toutes et tous portant pantalon, des musiciens français, de noir vêtus, filles en robes, a présenté en l’église Sainte-Bernadette à l’acoustique parfaitement adaptée aux concerts symphoniques avec son grand mur réflecteur de sons, un véritable patchwork d’œuvres du grand répertoire, la première partie étant plus homogène que la seconde. Sous la conduite ferme mais peu nuancée de Fayçal Karoui, qui a prononcé un trop long discours en prologue du concert, deux œuvres d’Edvard Grieg étaient inscrites, la première suite de Peer Gynt et le Concerto pour piano et orchestre en la mineur. Placé au deuxième rang côté queue de l’imposant Yamaha de concert qui cachait les deux-tiers des effectifs, je n’ai pu qu’entendre les sonorités de l’orchestre sans voir les jeunes musiciens les forger, à l’exception des quatorze violoncellistes et des deux contrebassistes, ainsi que quatre des premiers violons, n’entre-apercevant que les jambes des seconds et des altos et ne faisant qu’entendre les sons rauques des instruments à vent et les timbales. Ce qui s’est avéré peu favorable aux musiciens, car ainsi l’écoute n’en était que plus concentrée, mettant en relief plus que de raison les attaques plus ou moins précises et les sonorités plus ou moins flatteuses des jeunes instrumentistes, dans une partition, Peer Gynt, à l’orchestration fluide et aérienne et aux élans d’un onirisme et d’une suavité délicats. Mais il convient de juger cet orchestre non pas selon les exigences des formations professionnelles, ni même des orchestres de jeunes dont le recrutement se fait à partir de 16 ans et jusqu’en fin de troisième cycle de CRR voire de CNSM, de Hochschule, etc. Rayonnant de l’heureuse perspective de jouer avec ce jeune ensemble, Denis Matsuev s’est assis devant le clavier du puissant Yamaha qui l’attendait depuis le début du concert, posant vivement ses mains imposantes sur les touches, tandis que les timbales résonnaient loin derrière le couvercle du piano. Sans doute poussé par l’enthousiasme, le pianiste russe s’est fait peu nuancé, jouant fermement et vigoureusement, si bien que l’on n’entendait guère l’orchestre, l’instrument soliste prenant le pas sur ce dernier, au point de donner l’impression que Grieg avait écrit une sonate pour piano avec orchestre obligé. Jouée tout en force, l’œuvre en a perdu sa poésie et sa fraîcheur, et l’Allegro final s’est avéré excessivement dur, au point que sons et timbres ont saturé l’écoute. 

Annecy Classic Festival, église Sainte-Bernadette. Annecy Campus Orchestra, Fayçal Karoui, David Matsuev et Leonid Bezrodniy. Photo : (c) Annecy Classic Festival, Yannick Perrin

La seconde partie du programme était dirigée par le chef résident de l’Orchestre des Etoiles du Lac Baïkal, Leonid Bezrodniy, qui, à travers un choix d’œuvres pour le moins éclectique voire sans queue ni tête, a indubitablement voulu faire travailler à ces jeunes en formation un large éventail de pages célèbres aux styles divers. Pouvant enfin voir la totalité des musiciens, j’ai découvert parmi les seconds violons, placée au premier rang face au chef, une fillette d’une dizaine d’années aux longues tresses blondes réunies sur le sommet du crâne jouant fièrement un violon trois-quarts, le regard fortement concentré se portant tour à tour sur sa partition, sur le chef et sur sa chef d’attaque, en vraie professionnelle. Après une ouverture de Carmen menée tambour battant - elle le sera plus encore lorsqu’elle sera reprise à la fin dans deux bis, le second sous la conduite de David Matsuev -, suivie d’un Beau Danube bleu bouillonnant, d’un Sachido de Revaz Lagidze et d’une Danse du sabre de Khatchatourian tonitruants, et d’une Valse-fantaisie de Glinka un peu contrainte. Pour finir, Leonid Bezrodnyi a lancé la Marche de Radetzky de Johann Strauss père tandis que Fayçal Karoui faisait son apparition sur le côté pour inciter le public à claquer des mains à la façon du public assistant au Concert du Nouvel An de la Philharmonie de Vienne… Malgré ce programme un brin tapageur, il convient de se féliciter de l’existence d’une telle académie d’orchestre qui permet à de jeunes musiciens en formation de se confronter à diverses cultures. Reste à souhaiter que les programmes préparés soient plus ambitieux et les œuvres travaillées plus significatives. 


                                                                                     Varvara Kutuzova. Photo : DR

La veille de ce concert, une longue et belle soirée de piano a été organisée dans le grand salon de l’Impérial Palace aux fenêtres donnant sur le lac d’Annecy. Une « Nuit du piano » de six heures dont Eliane Richepin est l’initiatrice avant que le concept soit repris ailleurs, durant laquelle se sont succédé cinq jeunes pianistes. C’est une fillette de dix ans répondant au nom de Varvara Kutuzova qui a ouvert la soirée, en guise de prélude. Présentée par Denis Matsuev, qui l’a découverte cette année au concours Astana Piano Passion dont il est le directeur, la jeune prodige russe a déjà remporté de nombreux concours. Titulaire de bourses prestigieuses, elle joue déjà avec les grands orchestres de son pays. Vêtue d’une longue robe rouge échancrée telle une enfant que les adultes voient trop tôt femme, elle a joué avec simplicité et ténacité un programme couvrant tous les époques et les styles, de Joseph Haydn (Sonate n° 32) à Serge Rachmaninov (Barcarolle op. 10/3) en passant par Félix Mendelssohn-Bartholdy (Chanson sans paroles : Distaff), Frédéric Chopin (Préludes op. 28/4 et 7, Valses n° 8 et 14) et Claude Debussy (Docteur Gradus ad Parnassum). 

Sunwook Kim. Photo : DR

Après ce charmant et juvénile prologue, le programme de la soirée en tant que tel a été ouvert par le Coréen de 25 ans Sunwook Kim avec un programme remarquablement conçu, ce qui trahit la maturité intellectuelle de ce pianiste qui reste à ce jour le plus jeune lauréat du Concours de Leeds qu’il a remporté à 18 ans, en 2006. Un programme à la façon de Maurizio Pollini, commençant avec la Partita n° 1 en si bémol BWV 825 de Jean-Sébastien Bach, jouée avec une digitalité impressionnante mais avec une conception trop distanciée, suivie par les toujours rares Variations pour piano op. 27 d’Anton Webern auxquelles le jeune coréen a donné toute la poésie et la magie de timbres, et concluant sur une Sonate n° 28 en la majeur op. 101 de Beethoven techniquement impeccable mais trop raide et déshumanisée. 

Sanja Bizjak. Photo : (c) Annecy Classic Festival, Yannick Perrin

Plus engagée et personnelle, la prestation de Sanja Bizjak a confirmé tout le bien que j’en ai écrit ici même en avril dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/04/sanja-bizjak-jeune-pianiste-serbe-dans.html). La belle et brillante pianiste serbe a conforté cette impression première dans un répertoire plus large dans lequel elle a excellé tout autant, commençant sa prestation sur trois Mazurkas op. 63 de Chopin suivies de deux magistrales Etudes de Debussy (Pour les notes répétées et Pour les arpèges composés). La suite de son programme reprenait quatre des pages dans lesquelles elle s’était splendidement illustrée Salle Cortot et qu'elle a jouées avec autant de force poétique, Vallée d’Obermann extrait de la première des Années de Pèlerinage de Franz Liszt et trois Etudes-Tableaux op. 33 de Rachmaninov.

David Kadouch. Photo : (c) Annecy Classic Festival, Yannick Perrin

Après avoir déçu dans la Ballade n° 4 en fa mineur op. 52 de Chopin sans carrure ni engagement, comme s’il se réservait pour le morceau de roi qui s’ensuivait, David Kadouch a brossé des Tableaux d’une exposition de Moussorgski une lecture imposante et colorée, abordés avec enthousiasme et simplicité, et joués avec un toucher aérien. Cette ample partition de trente-cinq minutes se présente tel un grand poème pianistique en dix saynètes soudées par le superbe thème russe richement harmonisé de la Promenade qui se présente à quatre reprises dans le développement de la pièce. En fait de piano, c’est bel et bien un orchestre symphonique entier que le compositeur russe déploie dans son ouvrage sans équivalent dans le répertoire pour clavier, tant l’évolution harmonique est riche et polymorphe, les résonnances infinies, la palette sonore d’une richesse inouïe. De ses doigts d’airain courant comme en apesanteur sur le clavier, le corps ne bougeant guère bien qu’il s’avère d’une présence indubitable, Kadouch se joue avec entrain et spontanéité des phénoménales difficultés de l’œuvre et réussit la gageure de donner une vie propre à chaque tableau qui semble se présenter sous les yeux de l’auditeur tant le pouvoir de suggestion est prégnant dans cette exécution d’une énergie singulière. 

 Yulianna Avdeeva. Photo : DR

C'est à Yulianna Avdeeva qu’a été confié le soin de conclure la soirée. La pianiste russe s’impose par un toucher puissant, l’amplitude de ses mains, sa stature noble et sa façon de se tenir devant le clavier dos cambré et statique. Russe jusqu’au bout de ses doigts d’acier, Schubert ne lui sied guère. Du moins à en juger par les trois premiers Klavierstücke D. 946 sur lesquels elle a porté son dévolu et qui me sont apparu comme un char de l’armée russe traversant sans égard un champ de coquelicots. La Ballade n° 1 en sol mineur op. 23 de Chopin était plus conforme et sans pathos, mais c’est dans la Sonate n° 7 en si bémol majeur op. 83 de Serge Prokofiev qu’Avdeeva a attesté de son énorme potentiel, restituant les multiples facettes de cette riche partition avec un engagement de chaque instant, magnifié par un nuancier d’une ampleur et de nature impressionnante.

Astrig Siranossian et, à l'arrière-plan, Andryi Dragan. Photo : Annecy Classic Festival, Yannick Perrin

Agée de 24 ans, accompagnée par un pianiste ukrainien de deux ans son aîné, la violoncelliste française d’origine arménienne Astrig Siranossian, qui joue sur un instrument de Francesco Ruggieri de 1676, est douée d’une éclatante musicalité agrémentée d’une virtuosité éminemment naturelle qui s’est exprimée pleinement dans une éblouissante interprétation de la belle Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur op. 65 que Benjamin Britten composa en 1961 pour le duo qu’il constituait avec son ami Mstislav Rostropovitch. La Sonate n° 5 pour violoncelle et piano en ré majeur op. 102/2 de Beethoven qui a précédé est apparue un peu contrainte, la violoncelliste laissant la primauté au piano, fort bien tenu il est vrai par Andryi Dragan jouant un Bösendorfer, comme s’il s’agissait, à l’instar des premières sonates de Beethoven, de pages pour piano avec violoncelle obligé. La Grande fantaisie sur le thème du Barbier de Séville op. 6 d’Adrien-François Servais d’un intérêt anecdotique n’avait d’autre vertu que l’échauffement…  

Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Bonsoir, je ne savais pas que Pascal Escande était le patron du festival d'Aulnay sous Bois ... ni même qu'il y avait ou qu'il y a un Festival à Aulnay sous Bois ! Par contre je sais qu'il est le patron d'un Festival à Auvers sur Oise ... à moins que ce Festival n'ait déménagé à Aulnay sous Bois !
    Cordialement

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