dimanche 18 août 2013

Le classicisme ardent du Quatuor Ebène envoûte le cloitre de l’abbaye de Silvacane

Festival international de Quatuors à Cordes du Luberon, Abbaye de Silvacane (La Roque d’Anthéron), samedi 17 août 2013
 
Festival de Quatuors à cordes du Luberon. Quatuor Ebène, abbaye de Silvacane (La Roque d'Anthéron). Photo : (c) Bruno Serrou
 
Pour le troisième de ses quinze concerts, le Festival de Quatuors à cordes du Luberon a investi samedi le cloître de l’abbaye de Silvacane, lieu somptueux que la manifestation partage avec le Festival de piano de La Roque d’Anthéron (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/olivier-cave-et-les-surs-katia-et.html et http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/iddo-bar-shai-hannes-minnaar-et-joseph.html). Ce lieu intimiste à la chaude et homogène acoustique à la mesure des récitals consacré au répertoire baroque avec clavecin ou piano, est parfaitement adapté au concert de quatuor à cordes, la polyphonie résonnant clairement tandis que les contrastes sonores acquièrent un relief particulier, tant le lieu amplifie la présence des instruments, qu’ils soient à cordes pincées, frappées ou frottées.

Connu pour la polyvalence de son répertoire, qui court du classicisme à la création contemporaine et ne craint pas la polyvalence en abordant la musique populaire que son violoncelliste se plait à arranger (jazz, pop’, rock) selon les circonstances, constitué de Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure (violons), Mathieu Herzog (alto) et Raphaël Merlin (violoncelle), en résidence à la Fondation Singer Polignac, le Quatuor Ebène est d’un bois aussi solide que précieux, tant il transcende sa polyvalence en s’engageant sans compter dans des œuvres exigeantes et complexes qu’ils interprètent de façon éblouissante de jeunesse et de vigueur.

Pour son second concert de l’édition 2013 du Festival du Luberon, après un premier programme présenté en ouverture en l’église de Cabrières d’Avignon le 15 août avec un programme Haydn, Mendelssohn, Bartók, le Quatuor Ebène a conquis plus de deux cents personnes en choisissant trois maîtres du classicisme qui leur ont permis de mettre en perspective deux partitions de jeunesse et une œuvre de grande maturité qui demeure insurpassée. Précédé du plus achevé des trois Divertimenti pour quatuor à cordes de Mozart, celui en fa majeur KV. 138 composé par un jeune-homme de 16 ans, interprété avec flamme, le Quatuor en la mineur op. 13 de Félix Mendelssohn-Bartholdy, partition d’une fraîcheur et d’une spontanéité admirablement servie par les Ebène, a été interprété avec empressement sous la conduite d’un premier violon étincelant et voluptueux, tenu une fois n’est pas coutume par Gabriel Le Magadure, habituellement au poste de second, qui a exalté la fièvre et l’ivresse juvénile d’un Mendelssohn déjà maître du temps empli de son admiration pour le classicisme viennois, tandis que ses trois partenaires lui ont emboîté le pas avec une fougue singulièrement communicative.

Le morceau de roi a empli la seconde partie entière, les Ebène se refusant à tout bis après l’exécution du chef-d’œuvre qu’ils avaient retenu pour l’occasion. Le Quatuor à cordes n° 15 en la mineur op. 132 de Ludwig van Beethoven, puisque c’est de lui qu’il s’agit, reste malgré ses cent quatre vingt neuf ans, l’une des partitions les plus aventureuses et novatrices de l’histoire de la musique. Il est au quatuor à cordes ce que la Sonate en si bémol majeur op. 106 « Hammerklavier » du même Beethoven est au piano : un véritable Himalaya de la musique. Leur mouvement lent respectif, tous deux placés en troisième position - sur cinq mouvements pour le quatuor et quatre pour la sonate -, sont comparables en de nombreux points, et pas seulement par la durée, mais aussi le climat, la portée… Et l’on peut appliquer à l’opus 132 ce que Ferruccio Busoni disait de l’opus 106, affirmant que « la vie d’un homme est malheureusement beaucoup trop courte pour l’apprendre ». Créé au Prater de Vienne par le Quatuor Schuppanzigh le 9 septembre 1825, ce quinzième quatuor est dédié au prince Galitzine, tout comme les quatuors opus 127 et 130. La genèse parallèle des treizième et quinzième quatuors fait que l’on retrouve dans les deux œuvres un matériau et une atmosphère communs, tandis que le mouvement initial du quinzième se place dans le prolongement de la Grande Fugue qui concluait le treizième dans sa forme originelle avant d’en être détachée en 1827 comme opus 133, que le Quatuor Tetraktys a donné vendredi (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/au-coeur-du-luberon-au-sein-dun.html). Dans la continuité également de l’opus 130 divisé en six mouvements, l’opus 133 en compte cinq, le premier étant relativement court (deux cent soixante mesures d’Allegro précédées d’une introduction lente), tandis que le scherzo qui le suit est plus développé. Celui-ci introduit le troisième mouvement, immense Molto adagio d’une vingtaine de minutes qui se présente comme un « chant de grâce d’un convalescent à la divinité » dans lequel le compositeur célèbre son rétablissement après une grave inflammation intestinale, si bien que Beethoven utilise le mode lydien de la liturgie romaine sur un rythme dansant qui trahit la joie du convalescent. Deux derniers mouvements vifs s’enchaînent ensuite, l’Allegro appassionato final étant précédé d’un bref Alla marcia. Le souffle conquérant de l’approche des Ebène, la noblesse altière, la puissance conquérante et fébrile, le classicisme de leur conception qui évite toute romantisation de leur interprétation, la sensibilité enivrante de leur jeu dans l’Adagio, la magie de l’alliage instrumental ont supérieurement servi ce somptueux chef-d’œuvre de trois quarts d’heure, le premier violon surmontant sans anicroches les montées chromatiques piégeuses que lui réserve Beethoven, tandis que ses sonorités se sont avérées plus charnues et rondes que lumineuses et sensuelles.

Bruno Serrou

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