mardi 13 août 2013

Daniel Barenboïm et son orchestre de jeunes israélo-palestiniens West-Eastern Divan ont fait l’événement du Festival de La Roque d’Anthéron

XXXIIIe Festival de La Roque d’Anthéron, parc du Château de Florans, lundi 12 août 2013
 
Daniel Barenboïm et le West-Eastern Divan Orchestra. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

Grande première hier soir pour le Festival de La Roque d’Anthéron qui a reçu pour la première depuis sa création Daniel Barenboïm. Contrairement à ce que l’on pouvait attendre d’un festival de piano, ce n’est pas le pianiste qui est venu mais le chef d’orchestre engagé dans son temps, autant comme pédagogue que par conviction humaniste et comme militant pacifiste. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que circule depuis trois ans une pétition sur les réseaux sociaux pour la « nobélisation » du musicien argentino-israélo-espagnolo-palestinien.
 
Daniel Barenboïm. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
La venue de Daniel Barenboïm à la tête de la formation symphonique réunissant des jeunes musiciens israéliens, palestiniens et originaires de tout le Moyen-Orient - il est quasi impossible de distinguer de visu au sein de l’orchestre les musiciens israéliens des musiciens palestiniens - qu’il a fondée en 1999 avec son ami Edward Saïd, intellectuel palestino-américain aujourd’hui disparu, a attiré les foules des grands jours, hier soir, dans l’enceinte du parc du château de Florans, malgré l’exigence d’un programme que le patron de l’Opéra d’Etat de Berlin, de l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin et de celui de la Scala de Milan, a comme de coutume savamment élaboré en tissant les liens entre les compositeurs et les œuvres. Une foule au sein de laquelle on a pu distinguer la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui a fait le déplacement depuis sa résidence de vacances alors qu’on a rarement l’occasion de la croiser dans une salle de concert de musique classique et moins encore dans les hommages rendus aux grands musiciens disparus, le directeur de la Salle Pleyel, de la Cité de la musique et de la Philharmonie de Paris Laurent Bayle, et la directrice fondatrice de l’Ensemble Accentus Laurence Equilbey.
 
Daniel Barenboïm et le West-Eastern Divan Orchestra. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Pour la tournée 2013 de sa formation plus ou moins renouvelée chaque saison, Barenboïm a choisi pour axe Richard Wagner, dont est célébré cette année le deux-centième anniversaire de la naissance. L’on sait combien le chef d’orchestre pianiste s’escrime depuis plusieurs années à imposer en Israël la musique de son cher Wagner, compositeur où il excelle, à l’instar de l’œuvre d’Anton Bruckner. Au risque de se voir menacé de mort et de batailles rangées, d’injures et de jets de tomates pendant les concerts dans lesquels il programme des pages du maître de Bayreuth. Ce dont Barenboïm n’a cure, enfonçant le clou et persistant à diriger quoiqu’il advienne cette musique qu’il vénère sur la terre de ses ancêtres (voir l’article qu’il a publié en anglais, http://www.nybooks.com/articles/archives/2013/jun/20/wagner-and-jews/?pagination=false, et qu’il conclut ainsi : « Ce comportement est indigne d’auditeurs juifs. Ils devraient plutôt être influencés par de grands penseurs juifs comme Spinoza, Maïmonide et Martin Buber que par les dogmes bancals »).
 
Daniel Barenboïm. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
C’est donc avec Wagner que Daniel Barenboïm a ouvert le concert, comme il le fera pour conclure. Il est allé jusqu’à choisir le prélude de l’ultime partition achevée de Wagner, le « festival scénique sacré » Parsifal, ouvrage à la symbolique néo-chrétienne qui constitue le sommet de la création wagnérienne, unique œuvre conçue pour le Festspielhaus de Bayreuth. Ainsi, Barenboïm a-t-il réuni les trois confessions monothéistes en une même communion autour d’une quatrième, celle vouée au culte de Wagner. La beauté des cordes, la clarté des cuivres, le moelleux des bois, l’humanité à fleur de peau qui ont émané de l’orchestre ont suscité la plus vive émotion, au point de faire oublier les légers décalages (ce concert se situait il est vrai en début de tournée qui s’achèvera à Berlin début septembre) qui ont pu poindre incidemment au détour de phrases aux respirations il est vrai infinies. A la fin de l’exécution de cette page grandiose, je n’ai pour ma part pu contenir les larmes qui me submergeaient imperceptiblement…
 
Karim Saïd. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Barenboïm est, avec ses amis Claudio Abbado et Pierre Boulez, l’un des rares chefs de renom à pouvoir et oser imposer des chefs-d’œuvre difficiles, à la fois pour les interprètes et pour les auditeurs, des œuvres qui font encore fuir trop de mélomanes. Quantité de fidèles de La Roque d’Anthéron se sont pour la première fois mesurés à une partition d’Alban Berg, sans doute la page la plus complexe et ésotérique du plus lyrique des élèves d’Arnold Schönberg, qui, avec son maître et son condisciple Anton Webern, forme la trinité de la Seconde Ecole de Vienne. Quoiqu’écrit en 1923-1925, le Kammerkonzert pour violon, piano et treize instruments à vent, puisque c’est de lui qu’il s’agit, reste d’une modernité et d’une inventivité extrême qui le rendent encore difficilement assimilable par les oreilles peu aguerries à l’inouï. Beaucoup, hier soir, le découvraient, et ont avoué leur saisissement, tout en se félicitant de l’avoir écouté jusqu’à bout et en remerciant Barenboïm de l’avoir inscrit à son programme, car ainsi ont-ils pu « découvrir une œuvre extraordinaire à réécouter au disque »… Il s’est néanmoins trouvé des râleurs, qui ont exprimé assez fort pour que leurs voisins les entendent combien ils se sont ennuyés « comme des rats morts », et maugréant des commentaires hors sujet. Que de chemin à parcourir encore, quand on sait que le Kammerkonzert a été conçu voilà exactement quatre-vingt-dix ans…
 
Michael Barenboïm. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot
 
Parmi les deux solistes, placé à l’avant-scène, Michael Barenboïm, fils de Daniel Barenboïm également premier violon du West-Eastern Divan Orchestra, qui a fait un sans-faute, si ce n’était un archet un peu lourd à la corde ce qui a fait sonner la partie violon un peu « gras », mais dont les couleurs se sont superbement fondues à celles du piano avec qui le violon concerte dans le seul Rondo final. Un piano excellemment tenu par le jeune jordanien Karim Saïd (qui jouait sur un Steingraeber & Söhne fabriqué à Bayreuth), également membre permanent du Divan Orchestra et qui se produit sur les plus grandes scènes du monde ainsi qu’au festival Piano aux Jacobins à Toulouse. Derrière lui, l’ensemble de treize instrumentistes à vent a exalté des sonorités de braise, donnant aux solistes une réplique idoine et un soutien particulièrement coloré, fondant ses timbres à ceux du violon et du piano et leur donnant un relief remarquablement approprié.

La seconde partie du concert était consacrée à la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92 de Beethoven, sans doute la partition d’orchestre la plus accomplie du maître de Bonn et que Richard Wagner qualifiait d’« apothéose de la danse ». Et c’est précisément le tour que Daniel Barenboïm a donné à son interprétation. Le chef a en effet proposé une lecture virevoltante, portant l’œuvre à l’état de lave en fusion, enchaînant les mouvements sans pause, tout en incitant son orchestre à respirer en lui laissant souvent la bride sur le cou pour mieux l’encourager au chant, allant jusqu’à toucher souvent à l’extase, particulièrement la flûte et le hautbois solo, ce dernier d’une souveraine beauté. Une Septième conquérante, d’une fraîcheur et  d’un élan suprême qui a saisi le parc de Florans entier d’où pas un son autre qu’instrumental n’a été émis trente minutes durant.

Hors programme mais néanmoins prévu, Daniel Barenboïm, rictus aux lèvres mais le visage contracté et la stature altière, a conclu le concert sur un bis consacré à une page symphonique de l’enchanteur de Bayreuth, le Prélude du IIIe acte des « Maîtres Chanteurs de Nuremberg » si somptueusement joué par le Divan que l’on n’a pu que ressentir de la frustration tant on eut aimé partir pour les deux heures d’écoute de l’acte final de cette œuvre grandiose… Il a pourtant fallu mettre un terme à cette soirée que chacun espérait retenir à l’infini…

Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire