samedi 17 août 2013

Au coeur du Luberon, au sein d’un programme dense et remarquablement conçu, le Quatuor Tetraktys excelle dans Aperghis et Chostakovitch

Festival international de Quatuors à Cordes du Luberon, Eglise de Goult, vendredi 16 août 2013

Festival international de Quatuors à cordes du Luberon, le Quatuor Tetraktys en l'église de Goult. Photo : (c) Bruno Serrou
 
Voilà 37 ans naissait le Festival de Quatuors à cordes du Luberon. Depuis sa fondation, en 1976, cette manifestation a reçu les quatuors à cordes les plus fameux de leurs générations. Des plus réputés aux plus prometteurs issus des derniers concours internationaux en date, tous s’y sont produits ou y seront invités un jour. Car, malgré la crise économique mondiale et une crise financière interne, le Festival, présidé depuis deux ans par Hélène Salmona, se maintient parmi les rendez-vous majeurs d’un genre réputé difficile, le quatuor à cordes. Le tout dans des cadres patrimoniaux qui fleurissent sur les deux rives de la basse Durance, de l’avignonnais au pays d’Aix-en-Provence. Conformément aux précédentes éditions, le festival provençal accueille cette année huit quatuors à cordes qui donnent chacun deux concerts dans le Luberon avec autant de programmes différents. Intégré à l’opération Marseille Capitale européenne de la Culture, il a invité des ensembles du bassin méditerranéen jouant des œuvres de compositeurs originaires de cette même région du globe.

Ainsi, en moins de quarante ans, ce festival à forte ambition artistique a-t-il formé un public de connaisseurs résidentiels et estivants mêlés capable d’accepter toute sorte de répertoire, du plus courant au plus alambiqué. Il suffit de le voir concentré, écoutant les yeux fermés, notamment deux jeunes femmes et leur mère, des pages de Georges Aperghis et de Dimitri Chostakovitch, ou des Contrepoints et des fugues de Jean-Sébastien Bach et de Ludwig van Beethoven.

C’est ce programme particulièrement exigeant que deux cents mélomanes de tous âges, réunis en la charmante église du village de Goult, ont pu entendre vendredi interprété par le Quatuor Tetraktys. Cette formation qui compte trois Grecs et un Turc fondée à Athènes en 2008 dont les membres subissent de plein la crise économique particulièrement virulente de leur pays, puisque le second violon, Kostas Panagiotidis, a été jusqu’à sa dissolution sans préavis par le gouvernement grec membre de l’Orchestre symphonique national de la Radio-Télévision grecque, tandis que son frère Giorgos Panagiotilis (premier violon) et Ali Basegmezler (alto) sont à la Camerata d’Athènes et Dimitris Travlos (violoncelle) à l’Orchestre d’Etat d’Athènes. « Aujourd’hui, dit Kostas Panagiotidis, l’orchestre n’a pas été réintégré au plan de redémarrage de la Radio-Télévision. Nous maintenons néanmoins le cap, en nous réunissant pour donner nos concerts, que nous jouons gratuitement. Mais cela ne peut durer qu’un temps, car la situation est intenable, même lorsqu’il s’agit de porter la musique à un peuple qui souffre et a donc besoin d’art pour traverser cette période de crise. »

C’est avec une œuvre d’un compositeur grec vivant en France, Georges Aperghis (né en 1945), que le Quatuor Tetraktys a ouvert son concert. Créé en 2009 par le Quatuor Arditti, le Mouvement de quatuor « se présente comme un ″corps harmonique″ dans lequel les musiciens ne possèdent pas de véritable individualité. Ils sont étroitement liés entre eux, comme les branches d’un même tronc, précise Aperghis. On s’aperçoit vite à l’écoute que la pièce se compose uniquement d’une suite d’harmonies, un accord succédant à l’autre. Ces accords sont autant d'″objets trouvés″… » Tout en regrettant de n’avoir jamais eu l’occasion de rencontrer le compositeur, ce qu’ils espèrent pouvoir rapidement réparer, les Tetraktys ont donné de cette page de sept minutes une interprétation précise et fluide, dynamique et sereine à la fois, démontrant ainsi combien ils ont su l’assimiler.

Noblesse et grandeur, telles sont les impressions ressenties à l’écoute de la sélection des quatre pages qu’ils ont sélectionnées dans l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), les Contrepoint 1, Fugue double 2, Contrepoint 4 et Fugue double 1, qui ont résonné dans l’acoustique de la petite église avec une transparence et une fluidité extrême. A l’instar de la Grande fugue en si bémol majeur op. 133 de Ludwig van Beethoven (1770-1827), enlevée avec une énergie conquérante, où seules les sonorités légèrement aigres et l’archet un peu lourd du premier violon a imperceptiblement gêné l’écoute. Ce qui n’a pas été le cas dans le Quatuor à cordes n° 3 en fa majeur op. 73 de Dimitri Chostakovitch (1906-1975), que les Tetraktys ont exécuté avec une précision, une force implacable et un onirisme puissant, imposant de la sorte de palpables affinités avec la création du compositeur russe. Pour conclure, les musiciens ont offert en bis un extrait de toute beauté de l’un des quatre quatuors à cordes de leur compatriote Nikos Skalkottas (1904-1949), l’un des disciples d’Arnold Schönberg, dont il fut l’élève à Berlin.

Le public parisien devrait avoir l’occasion d’écouter le Quatuor Tetraktys dans le cadre du prochain Festival ManiFeste de l’IRCAM, en juin 2014, où il est invité à jouer entre autres un quatuor de Philippe Manoury.

Bruno Serrou

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