mercredi 17 juillet 2013

L’Ensemble Gilles Binchois et la Maîtrise de la cathédrale du Puy redonnent vie en l’abbaye du Thoronet à un chef-d’œuvre de la liturgie médiévale, l’Office de la Circoncision à la cathédrale du Puy


Rencontres de Musique médiévale du Thoronet, Abbaye du Thoronet, mardi 16 juillet 2013

Rencontres de Musique médiévale du Thoronet, Abbaye du Thoronet. L'Ensemble Gilles Binchois entouré de la Maîtrise de la cathédrale du Puy. Photo : (c) EGB-le Puy ensemble©Fleur Boudignon

Art exigeant et d’une expressivité évanescente, la musique médiévale est confondante de beauté et de mystère. Elle irradie depuis vingt-deux ans l’abbaye du Thoronet. Moins directement accessible que la musique baroque en raison de la complexité de ses structures et de l’extrême pureté de ses lignes, la musique du moyen-âge n’en suscite pas moins un engouement qui ne cesse de se conforter par l’extrême qualité de ses interprètes. Plus rare dans les salles de concert et dans les lieux les plus fréquentés par les mélomanes, elle tient depuis plus de vingt ans un écrin idéal avec l’abbaye cistercienne du Thoronet, dans le Var. Depuis 1991 y sont organisées les Rencontres internationales de Musique médiévale qui associent concerts et académie dirigés par Dominique Vellard, spécialiste incontesté de la musique de cette longue période de l’histoire qui court du dernier quart du IXe siècle jusqu’au début du XVe. « Ce festival a été conçu pour faire entendre la musique du moyen-âge dans son infinie diversité, rappelle Vellard, directeur-fondateur de l’Ensemble Gilles Binchois, formation-référence dans ce répertoire. Du grégorien à la chanson profane, le répertoire est infini. »


Abbaye du Thoronet. L'Ensemble Gilles Binchois entouré de la Maîtrise de la cathédrale du Puy. Photo : (c) EGB-le Puy ensemble©Fleur Boudignon

Les ensembles voués aux musiques de cette époque se développent à travers le monde, sans pour autant proliférer. Curieusement, constate Vellard, la France a surtout l’esprit au baroque, alors que ce sont les Français qui se sont parmi les premier à s’être attachés à la musique ancienne, au milieu du XIXe siècle tandis que l’architecte Viollet-le-Duc et l’historien Prosper Mérimée recensaient et relevaient églises romanes et gothiques. « Je ne programme au Thoronet que six concerts par édition, dit Vellard, car il n’y a pas encore assez d’ensembles de haut niveau pour cette musique particulièrement délicate et raffinée. J’invite aussi des ensembles de musiques extra-européennes savantes, car les traditions sont comparables aux nôtres. » Pourtant, en trente ans d’enseignement au Conservatoire de Lyon puis à la Schola Cantorum de Bâle depuis 1982, Vellard a formé plusieurs générations de chanteurs qui à leur tour transmettent l’art d’interpréter cette musique. Depuis six étés, quelques semaines après le festival, l’Académie du Thoronet réunit une quinzaine de jeunes chanteurs professionnels venant s’y perfectionner au répertoire liturgique dans le cadre de sessions qui se concluent sur un concert public dans l’acoustique puissante de la magnifique abbaye cistercienne. « Après cinq ans de Renaissance, les académies sont consacrées depuis deux ans à un répertoire en adéquation avec ce lieu sublime autour de l’interprétation du répertoire auquel je me consacre depuis trente-cinq ans : le chant grégorien et l’Ecole Notre-Dame », précise Dominique Vellard. Le chanteur-pédagogue a appelé à ses côtés pour cette session les sopranos Anne Delafosse et Anne-Marie Lablaude, deux spécialistes des répertoires liturgiques médiévaux et membre de l’Ensemble Gilles Binchois. Actuellement séparés dans le temps par une quinzaine de jours entre juillet et août, Académies et Rencontres seront concentrées dès l’été 2014 sur deux semaines de festival dans la deuxième quinzaine de juillet.

                                                             Dominique Vellard. Photo : DR

C’est avec son Ensemble Gilles Binchois associé à la Maîtrise de la cathédrale du Puy que Dominique Vellard a ouvert l’édition 2013 des Rencontres de Musique médiévale du Thoronet, qu’il a fondées voilà vingt-deux ans. Au programme, une heure trente des vingt-quatre heures de l’Office de la Circoncision à la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation du Puy-en-Velay. Ce manuscrit du XVIe siècle redécouvert au XIXe se fonde sur une tradition née au XIIe siècle alors que Le Puy connaissait un premier apogée comme ville-départ de l’un des chemins de Compostelle les plus fréquentés. La fête de la Circoncision était l’un des moments phares de l’année liturgique. Chantée par les pueri (les plus jeunes clercs), les diacres, sous-diacres et prêtres, elle concluait au moyen-âge, le 1er janvier, l’octave de Noël, et connaissait un écho comparable à la fête des Fous. Le fonds du temps de Noël le plus important se trouve dans la cathédrale du Puy-en-Velay, remarque Vellard, car il témoigne de l’évolution de ce répertoire entre les XIIe et XVIe siècles, antiennes, psaumes, répons, qui est celui que l’on chante encore dans les monastères. S’y ajoutent des compositions du XIIe siècle sur la poésie latine de l’Ars cantica conçus pour être mis en musique, préfigurant ainsi le lied. « Bien que le Puy soit un point de départ des chemins de Compostelle, la ville était à la fin du moyen-âge à l’écart des centres d’activité de l’époque, rappelle Vellard. Ce n’est qu’au Puy que se trouve réuni dans une même source un ensemble de pièces d’époques aussi différentes qui découle certes de la tradition propre à la cathédrale mais atteste aussi de l’extraordinaire élaboration artistique que l’office divin a pu connaître au cours des siècles. » Le jour de l’octave de Noël tombant le 1er janvier, le thème central des textes est la célébration de la vierge Marie autant que du jeune Sauveur. De ce fait, le ton est à l’allégresse. « Outre les copies des chants grégoriens, le fonds du Puy compte une vingtaine de polyphonies du XVIe siècle de grande qualité, se félicite Vellard. J’imagine-là la main d’un très grand compositeur hélas anonyme, car il ne s’y trouve aucune faute et l’ensemble est remarquablement conçu. Tout est en effet précisément noté et rubriqué, les déplacements, les effectifs, les dispositions, la répartition des chants, entre adultes et enfants, etc. » Vellard rappelle qu’il existait à l’époque au Puy une petite université catholique qui formait les clercs dont le bâtiment jouxtait la cathédrale mais qui préservait cependant une certaine indépendance par rapport au clergé. En outre, Le puy était célèbre à l’époque pour ses saintes reliques, l’une ayant appartenu à l’intimité du Christ, l’autre étant la paire de sandales que la Vierge a abandonnée lors de son assomption… 

Les célébrations de la fête de la Circoncision s’étendaient sur vingt-quatre heures, et réunissaient les chantres et les clercs de toutes les églises du Puy-en-Velay qui se relayaient dans le cours des offices se succédant dans la cathédrale. Six chanteurs de l’Ensemble Gilles Binchois et dix des cinquante jeunes choristes - contrairement aux canons médiévaux, étaient réunis filles (au nombre de trois) et garçons - de la Maîtrise de la cathédrale du Puy fort bien préparés par leur chef de chœur Emmanuel Magat. Une heure trente durant, ces enfants ont dialogué, répondu et chanté de concert en authentiques professionnels avec leurs aînés de l’Ensemble Gilles Binchois, ne quittant pas du regard les mains singulièrement expressives de Dominique Vellard (ténor), qui dirigeait et chantait à la fois entouré de ses chanteurs, David Sagastume (alto), François Roche, Gerd Türk (ténors), Emmanuel Vistorky (baryton) et Joël Frederiksen (basse). Une heure trente d’extase à ne pas toucher terre, hors du temps, tout de lumière et d’ardente spiritualité, d’une prégnante beauté magnifiée par ces voix pures et droites, d’où s’extrait la voix intense aux brûlantes harmoniques de Dominique Vellard tout juste remis pourtant d’une fatigue de ses cordes vocales. La soirée est si vite passée que le public, qui a fait le plein de l’abbaye, s’est mis à rêver d’une intégrale de l’office, sur le modèle du Soulier de Satin de Paul Claudel. « L’idée est excellente, a convenu Dominique Vellard, mais à la condition de réunir un plus grand nombre de chantres et de maîtrisiens, pour pouvoir alterner. » Il est vrai que les quatre-vingt-dix minutes de concert se sont avérées d’une densité incroyable, la mise en place rigoureuse et la réalisation vocale au cordeau, ce qui requiert une concentration de chaque instant de la part des chanteurs.

Bruno Serrou

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