mercredi 22 mai 2013

L’Opéra de Paris a célébré le bicentenaire de Richard Wagner avec un Götterdämmerung convainquant, malgré une mise en scène toujours contestable

Paris, Opéra national de Paris Bastille, mardi 21 mai 2013

GötterDämmerung, acte III. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Présenté une première fois en juin 2011, Götterdämmerung est repris cette saison dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Avec cette production, l’Opéra de Paris avait enfin réussi la gageure de présenter son premier Ring complet depuis… 1957. La représentation du 21 mai 2013 aura été un moment d’émotion pour les Wagnériens passionnés qui se sont retrouvés à l’Opéra Bastille, tandis que se déroulait au dehors une fête populaire organisé sous l’intitulé « Concert pour Tous » pour célébrer le Mariage homo où se sont retrouvés Bertrand Delanoë, la ministre déléguée chargée de la Famille Dominique Bertinotti, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, le Premier secrétaire du PS Harlem Désir, alors qu’il ne s’est trouvé aucun officiel pour célébrer l’anniversaire de Wagner. Il s’agissait en effet de la soirée de ce que les Wagnériens idolâtres - ils sont nombreux - pouvaient à juste titre considérer comme la vigie de Noël du Maître saxon, une soirée qui s’est terminée dans les premières minutes du 22 mai, soit deux cents ans jour pour jour et presque heure pour heure après la venue au monde de son auteur…

Acte I. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Avant 2011, la dernière tentative d’un Ring complet remontait aux années 1970, avec le projet avorté confié par Rolf Liebermann à Georg Solti et Peter Stein qui s’est abruptement terminé à mi-parcours sur Die Walküre. Quant au présent Götterdämmerung, il reste fort contestable sur le plan scénique. Mais la conception du chef d’orchestre, Philippe Jordan, a muri. Du coup, la vivacité des tempi, à l’exception du prologue et du premier acte, et le sens des contrastes se sont affermis. En dépit d’un Siegfried discutable, la distribution est homogène, tandis que, abstraction faite de quelques dérapages de cuivres assurément dus à la fatigue (dommage en effet que les cors dérapent à découvert dès l’attaque du troisième acte, tandis que la trompette solo défaille ailleurs), l’orchestre de l’Opéra est somptueux, au point que l’on ne peut que se délecter de la clarté et de la fluidité polyphoniques et de la chaleur et de la diversité des coloris. Dès l’acte initial, Jordan s’avère plus dynamique qu’il y a deux ans, le chef suisse y gagnant dix minutes, passant de deux heures et dix à deux heures. Ce qui n’empêche pas quelques longueurs de poindre, avec des ralentissements qui plombent la dynamique, élaguent les reliefs, affectent la théâtralité du volet le plus accompli du cycle, suscitant ainsi une certaine léthargie au centre du premier acte. Philippe Jordan y ménage aussi des moments splendides, comme le récit de Waltraute, le deuxième acte en son entier, la marche funèbre dans l’acte ultime et la scène finale. Il sait également tirer profit de la pâte sonore et des timbres d’un orchestre de toute évidence heureux de jouer cette partition foisonnante.

Acte II. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Mais là où le bât blesse toujours reste la mise en scène, pire encore dans Götterdämmerung que dans les autres pages du cycle. Günter Krämer n’aura finalement pas trouvé la clef capable d’ouvrir son imaginaire, malgré ses deux ans de réflexion. L’on retrouve évidemment l’escalier monumental déjà vu dans les trois épisodes précédents et qui occupe toute la largeur du plateau de l’acte II. S’y meuvent les chœurs en costumes Mao contenus derrière des grilles et agitant de la main un petit drapeau à l’arrivée du trio Brünnhilde/ Siegfried/Gunther. Auparavant, le premier acte renferme sa part de bizarreries prêtant à rire, tel le mobilier du palais des Gibichungen droit sorti d’une sous-marque d’Ikea, et qui ne craint pas la vulgarité, notamment lorsque Siegfried, apparemment saoul sous l’effet du philtre d’oubli, se jette sur Gutrune, accoutrée d’un tailleur rouge mal coupé et d’un chignon de grenouille de bénitier, et la trousse de façon vile, ou le pacte du sang, sur joué au point d’en devenir ridicule. Le troisième acte, à la scénographie réduite au strict minimum d’un plateau nu avec pour seul élément de décor un écran-paravent derrière lequel meurt Siegfried dont le spectre monte à la cadence de la marche funèbre les gradins d’une vidéo confuse d’un Walhalla prêt à s’embraser, tandis que Brünnhilde se jette dans un brasier projeté sur ledit écran-paravent, avant que, sur le plateau nu plongé dans une lumière bleuâtre, réapparaisse la coque-rocher vue dans la scène initiale de Rheingold, mais cette fois explosée, tandis qu’est projeté une vidéo où l’on voit au premier plan un luger faisant un carton sur les héros et les dieux du Walhalla… Alors qu’Alberich errait voilà deux ans tel un zombi opportunément sauvé par le tomber du rideau, cette fois il est pourchassé par les Filles du Rhin qui lui plantent une lance dans le flanc.

Acte III, Immolation de Brünnhilde. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Comme en 2011, Torsten Kerl est Siegfried. Il manque toujours de puissance vocale et il s’avère moins endurant tout en restant bien chantant. C’est pourquoi les huées qui l’ont accueilli au moment des saluts sont apparues déplacées. Après un premier acte en demi-teinte, Petra Lang, qui succède à Katarina Dalayman et alterne avec Brigitte Pinter et Linda Watson, est une Brünnhilde rayonnante et sûre, qui impose sa stature de tragédienne dans le deuxième acte et s’engage sans réserve dans un finale de grande beauté, sauvant à elle seule le tragique et la théâtralité de la scène finale. Evgeny Nitikin est un Gunther mâle au timbre séduisant, Peter Sidhom un Alberich âpre et acide, et les Filles du Rhin, Wiebke Lehmkuhl (également première Norne), Caroline Stein et Louise Callinan, constituent un trio d’excellence. Trois chanteurs de premier plan, Hans-Peter König, Hagen impressionnant de puissance et de haine, qui confirme la belle impression laissée en 2011, Edith Haller, qui excelle en Troisième Norne et plus encore en Gutrune, malgré le costume et la coiffure hideux dont elle est affublée, enfin Sophie Koch, Waltraute éperdue, bouleversante de douleur et d’amour, au point que l’on oublie que la voix bouge étonnamment et manque de graves.

Bruno Serrou

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