mardi 5 mars 2013

Mort de Jérôme Savary, le grand Che Guevara culturel mélancomique




Jérôme Savary (1942-2013). Photo : DR


Jérôme Savary, le « Che Guevara culturel » selon le ministre de la Culture de Cuba qu’il se plaisait à citer, est mort dans la soirée d’hier, lundi 4 mars 2013, à l’hôpital franco-britannique de Levallois-Perret des suites d’un cancer. Il avait 70 ans. Acteur, metteur en scène, directeur de théâtre et d’opéra, il aura fait tout son possible pour démocratiser les arts de la scène.

Fou de théâtre, qui s’incarnait en lui si profondément qu’il donnait l’impression d’être continuellement en représentation, au point de tout faire pour ouvrir le théâtre au plus grand nombre , ce qui l’a conduit à aborder les genres les plus divers pour toucher tous les publics, théâtre dramatique, spectacles de rue, comédie musicale, opérette, opéra… 


Grand Magic Circus, Zartan, 1971. Photo : DR


En 1966, il fondait la compagnie le Panic Circus qui devient deux ans plus tard le célèbre Grand Magic Circus, où s’expriment entre autres Roland Topor, Reiser et Copi, son « meilleur pote », dans une sorte de fête permanente faite d’animaux tristes, de nez rouge, de jarretelles avenantes, de carton-pâte chromo, de paillettes et, surtout, de dérision. « Avec le Magic Circus, quand j’ai commencé, rappelait-il, il y avait des villes où des pétitions circulaient pour interdire mes spectacles. Ils étaient interdits aux moins de 18 ans, alors que c’étaient des spectacles pour enfants. Dans ces années-là, on jouait dans la rue, mais c’était interdit. Les flics te ramassaient et te ramenaient au poste. Alors que maintenant, ce sont les flics qui mettent des nez de clown pour humaniser la circulation aux carrefours. Le théâtre de rue est devenu institutionnel. »

En 1988, Savary est nommé directeur du Théâtre national de Chaillot. Il y monte jusqu’en 2000 D’Artagnan (1988), Le Bourgeois Gentilhomme (1989), le Songe d’une nuit d’été (1990), Fregoli (1991), les Rustres (1992), la Nuit des rois (1992), la Mégère apprivoisée (1993), Aruro Ui (1994), Pierre Dac, mon maître soixante-trois (1994) et les comédies musicales Zazou (1990) et Marilyn Montreuil (1991), la Périchole, ou la chanteuse et le dictateur en 1999 et Irma la douce, spectacles qu’il reprendra à l’Opéra Comique. De 2000 à 2005, il succède à Pierre Médecin à la direction de l’Opéra Comique, où il met en scène la Cenerentola, la Vie parisienne et Mistinguett en 2001, Zazou, une histoire d’amour sous l’Occupation et la Belle et la toute petite bête en 2003, La Vie d'artiste racontée à ma fille et la Veuve joyeuse en 2005, le Barbier de Séville, Demain la Belle de Bernhard Thomas et Looking for Joséphine en 2006. « J’ai squatté le Comique, parce que j’ai fait que ce que j’avais envie de faire. Vraiment, je me suis fendu la gueule », dira-t-il peu avant son départ de Favart. 

Peu après, Jérôme Savary crée sa propre structure théâtrale à Béziers, à laquelle il donne le nom de la Boîte à Rêves, implantée Théâtre des Franciscains. Parmi ses derniers spectacles, Une trompinette au paradis sur des textes de Boris Vian créé au Théâtre municipal de Béziers en 2008 repris en 2010 Théâtre Déjazet, où il donne également Paris Frou-Frou, la Fille à marins Théâtre Rive Gauche en 2011 et Tartarin de Tarascon Théâtre André Malraux en 2012.


Opéra de Paris, Rigoletto, 1996. Photo : Opéra national de Paris, DR


Né le 27 juin 1942 à Buenos Aires, d’un père écrivain français et d’une mère états-unienne originaire d’une grande famille, il s’était rendu très jeune à Paris, où il est notamment devenu l’élève de Maurice Martenot, l’inventeur des ondes Martenot, et fait ses études à l’Ecole nationale des Arts décoratifs (ENSAD). A 19 ans, il se rend à New York, où il fréquente l’univers du jazz, rencontrant notamment Count Basie et Thelonius Monk.  En 1962, il retourne en Argentine pour y effectuer son service militaire dans un régiment d’artillerie hippomobile, puis travaille à Buenos Aires comme illustrateur de dictionnaire, dessinateur de bandes dessinées dans la même revue que Copi dont il devient l’ami. De retour à Paris en 1965, il crée la Compagnie Jérôme Savary qui devient très vite le Grand Magic Circus, dont l’activité est entre théâtre, cirque et music-hall. Jérôme Savary et sa troupe y inventent des fêtes inoubliables. De 1982 à 1986, il dirige le Nouveau Théâtre Populaire de la Méditerranée à Montpellier, puis, de 1986 à 1988, le Théâtre du 8e à Lyon. 

Au Théâtre Mogador, il monte Bye Bye Show Biz en 1985 avec le Grand Magic Circus, Cyrano de Bergerac en 1983, la Femme du boulanger en 1985 et les comédies musicales l’Histoire du cochon qui voulait maigrir pour épouser Cochonette en 1984, les Aventures du cochon en Amazonie en 1985, Cabaret en 1987 (reprise de ce spectacle créé à Lyon en 1986 avec Ute Lemper), qui lui vaut le Molière du spectacle musical 1987, et la Légende  de Jimmy de Michel Berger en 1990. Cette même année 1990, il met en scène au Festival d’Avignon le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. 


Chorégies d'Orange, Carmen, 2004, avec Béatrice Uria-Monzon (Carmen) et Roberto Alagna (Don José). Photo : Chorégies d'Orange, DR


Il a monté des opéras dans toute l’Europe, à l’Opéra de Francfort (la Vie parisienne en 1978), l’Opéra Comique de Berlin (le Voyage dans la lune d’Offenbach en 1979), la Scala de Milan (l’Histoire du soldat de Stravinski en 1982, Anacréon de Cherubini en 1983), au festival de Bregenz (la Flûte enchantée de Mozart en 1985, les Contes d’Hoffmann d’Offenbach en 1988, Carmen de Bizet en 1991), à Varsovie (le Barbier de Séville de Rossini en 1992) et au Grand Théâtre de Genève (la Périchole en 1982, la Veuve joyeuse en 1983, le Voyage dans la lune en 1985, la Vie parisienne en 1990, l’Etoile de Chabrier en 2009), à l’Opéra Comique de Paris (la Belle Hélène d’Offenbach en 1983), à l’Opéra de Montpellier (la Vie parisienne d’Offenbach en 1984), à l’Opéra de Paris (Rigoletto en 1996 régulièrement repris depuis seize ans), aux Chorégies d’Orange (Carmen en 2004), au Palais omnisport de Paris-Bercy (les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, en 2004)… 

« Je ne crois pas à l’immortalité des talents, peut-être que dans dix ans, je serai complètement dépassé. » Jérôme Savary, le noble clown mélancolique, avait-il aussi le talent de la divination ? Réponse en 2023...


Bruno Serrou

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