mercredi 27 mars 2013

L’IRCAM et l’Ensemble Intercontemporain ont rendu un chaleureux hommage à Emmanuel Nunes, mort voilà sept mois



Paris, Ircam, Espace de projection, mardi 26 mars 2013


Emmanuel Nunes (1941-2012)


Voilà presque sept mois, le 2 septembre 2013, disparaissait le compositeur portugais Emmanuel Nunes. Comme je l’écrivais ici-même dès l’annonce de sa mort (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/09/le-plus-grand-des-compositeurs_3.html), le Portugal tenait en lui le plus grand compositeur de son histoire. Depuis le premier de ses grands cycles, La Création, initié en 1978 autour du concept de paire rythmique, jusqu’à l’opéra Das Märchen, créé en 2008, en passant par sa réflexion sur l’architecture acoustique de Quodlibet (1991), Nunes n’a cessé d’habiter et de faire vivre l’espace. Espace physique où se déploie l’œuvre, mais aussi espace interne de sa genèse, un espace né du « contrepoint des paramètres », intérieur de l’imaginaire. Il était également tout emprunt de mathématiques, d’intuition, de spiritualité. 


Interprété avec le plus grand soin par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain, le programme présenté hier à l’IRCAM réunissait des pièces de musique de chambre composées entre 1979 et 1989. Toutes plus complexes les unes que les autres, voire plus ou moins hermétiques, mais non dénuées d’expressivité, si bien qu’il me faut avouer humblement qu’entrer dans certaines d’entre elles m’a demandé des efforts, d’autant plus qu’elles étaient toutes de durée respectable, chacune frisant les vingt minutes. Néanmoins, la première pièce, Rubato, registres et résonances, composée en 1991 sur l’Invention en fa mineur de Jean-Sébastien Bach pour flûte/flûte octobasse, clarinette/clarinette basse et violon à l’atmosphère mystérieuse et sombre, est souvent magique. A l’instar des sonorités du violoncelle dextrement tenu par Eric-Maria Couturier dans Einspielung II (1980), mais aux pourtours enchevêtrés et au flux sonore assez déstabilisant. Versus I (1982-1988) est une véritable conversation entre la clarinette et le violon ludique et séduisante certes, remarquablement jouée par Jérôme Comte et Diégo Tosi, mais non dénuée de tunnels. Tout comme Aura pour flûte, mais ici le temps se sera écoulé plus rapidement grâce à la répartition sur sept pupitres des pages de la partition, avec halte plus longue sur le cinquième, par Emmanuelle Ophèle, qui a ainsi proposé des repères pour l’auditeur quant à l’écoulement des dix-huit minutes de l’œuvre. 


Mais le meilleur aura été pour la fin. Conçue en 1979, retravaillée en 2011, Einspielung I pour violon et électronique a en effet bénéficié entre sa genèse et sa complète réalisation de l’expérience que Nunes aura acquise à l’IRCAM, où il a travaillé à partir de 1989. Le compositeur y avait trouvé l’outil adéquat pour creuser le concept de spatialisation et de temps réel qui sont les fondements-mêmes de son écriture. Il a pu ainsi y explorer tous les moyens de dissémination du son, d’encerclement de l’auditeur, par l’implantation des instruments, le déplacement des musiciens dans l’espace et la diffusion du son assistée par ordinateur. Il aura utilisé avec brio les outils électroniques qui lui auront permis de réaliser une pensée musicale luxuriante. Interprété de façon magistrale par le jeune Diégo Tosi, qui a donné la création de la version définitive d’Einspielung I le 16 juin 2011 dans le cadre du Festival Agora, dialoguant en virtuose avec une électronique impressionnante et particulièrement inventive réalisée avec Nunes par le compositeur chilien José Miquel Fernandez, enveloppant l’auditeur dans un halo de timbres et d’harmoniques bruissant et vivace, suscitant de vibrantes impressions, autant intellectuelles que physiques, l’œuvre pénétrant la chair et hypnotisant l’ouïe. 

Les solistes de l’Ensemble Intercontemporain ont ainsi rendu un juste hommage à Emmanuel Nunes, homme exigeant, précis et sensible, dont ils ont restitué l’âme au point que le compositeur a semblé présent dans cet Espace de Projection qu’il a si assidûment fréquenté un quart de siècle durant.

Bruno Serrou

Photos : DR

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