jeudi 21 février 2013

Avec Crocodile trompeur, le Théâtre des Bouffes du Nord présente un Didon et Enée de Purcell au baroque ravageur



Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, vendredi 15 février 2013

Judith Chemla (Didon) entourée par Vladislav Galard (violoncelle) et Clément Janinet (violon). Photo : DR

Crocodile trompeur sont les mots que prononce la reine de Carthage Didon au troisième acte de Didon et Enée de Henry Purcell, à l’adresse du prince troyen Enée au moment où ce dernier l’informe de son départ imminent pour l’Italie. Ils donnent le titre de la réjouissant production proposée jusqu’au 3 mars par le Théâtre de Bouffes du Nord. Une soirée emplie hors normes gorgé de surprises et de joie de vivre, sur le ton du nonsense anglais, langue principale de la pièce musicale qui reste compréhensible même aux non-anglophones, avivé par un humour alliant burlesque et extravagance présentant des personnages de tragédie antique dans des situations incongrues bien dans l’esprit baroque du court opéra de Purcell auquel s’ajoute le climat du semi-opéra ou mask anglais. Le tout suscite un spectacle tragi-comique de deux heures qui passe tel l’éclair. 

Judith Chemla (Didon, à gauche) et Jan Peters (Enée, à droite). Photo : DR

Ainsi, la poignante histoire de la reine carthaginoise Didon qui, abandonnée par le prince troyen Enée en route pour l’Italie le soir de leur union, s’immole dans un bucher qui embrase sa capitale, magnifiquement mise en musique par Purcell touche-t-elle un large public. La forme du spectacle de Samuel Achache, Jeanne Candel et Florent Hubert à partir de Didon et Enée qui mêle commedia dell’arte, tragédie, opéra et jazz, spectacle de saltimbanques à une invention visuelle fébrile est une absolue réussite. Chacun peut y trouver son content, qu’il soit versé d’Antiquité, amateur de théâtre, mélomane éclairé ou non-averti. Acteurs, chanteurs et instrumentistes jouent la comédie et des instruments, jonglent, et chantent avec naturel. Pourtant, dans cette équipe de douze comédiens-musiciens-chanteurs-jongleurs-danseurs-équilibristes une seule chanteuse professionnelle, Marion Sicre, dans le rôle de Belinda, la confidente de Didon.

Photo : (c) Théâtre des Bouffes du Nord, DR

Placée dans des gravats évoquant les ruines de Carthage, l’adaptation de l’épopée de Virgile revue par Nahum Tate pour Purcell en 1683, a été imaginée par les comédiens metteurs en scène Achache et Candel. « Nous sommes venus à la musique au CNSAD, se souviennent-ils, grâce à Judith Chemla, qui étudiait alors le chant et interpréta la mort de Didon dans la classe dont nous étions tous les trois élèves. » C’est là qu’est née l’idée d’une pièce intégrant l’opéra, avec Judith Chemla, ex-pensionnaire de la Comédie Française au beau timbre de soprano dont le lamento final est extrêmement poignant, avant de mourir seule lovée contre le cadre de scène du Théâtre des Bouffes du Nord. Les scènes se fondent sur un canevas formant des points d’encage autour desquels chaque protagoniste choisit librement son chemin. Arrangée de façon collégiale sous la supervision du jazzman Florent Hubert et bénéficiant du talent d’artistes polyvalents, la partition de Purcell est respectée dans son intégrité, l’instrumentarium jazz avec trio à cordes, bois, trompette et guitare restituant de façon inattendue les couleurs originelles, tandis que les voix correspondent précisément à celles de l’opéra. On sort de cette folle équipée rassasié et heureux, les mirettes saturées de lumière. 

Bruno Serrou

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