dimanche 8 avril 2012

« Concerts Chez Moi » de Maria-Paz Santibañez révèle le guitariste guatémaltèque Luis Juárez Quixtán et la pianiste catalane Imma Santacreu

Paris, Villa Gaudelet, dimanche 1er avril et samedi 7 avril 2012

Imma Santacreu - Photo : (c) Bruno Serrou 
Une nouvelle série de concerts est née à Paris cette saison sur l’initiative de la pianiste chilo-italienne vivant en France depuis une vingtaine d’années, Maria-Paz Santibañez. Sitôt installée dans un appartement au rez-de-chaussée d’une petite bâtisse située dans une profonde impasse du XIe arrondissement, la musicienne a eu l’idée d’aménager la pièce principale disposée dans une ancienne boutique dans laquelle elle a installé son grand quart de queue Kawaï en salle de concert de poche où peuvent prendre place une vingtaine de personnes. En mettant à disposition deux à trois fois par mois ce lieu magique et extraordinairement convivial à la disposition de ses collègues, la délicieuse hôtesse peut accueillir de jeunes musiciens qui souhaitent rôder leurs programmes, souvent ambitieux et complexes, en vue de concours, tournées ou enregistrements. Ainsi, dimanche 1er avril, la flûtiste taïwanaise Phoebe Chengjou Hsieh, accompagnée de son compatriote pianiste Yun-Yang Lee et du guitariste guatémaltèque Luis Juárez Quixtán, également compositeur, arrangeur et improvisateur, qui termine en ce moment son cursus de l’Ecole normale de musique, a proposé un programme original consacré à son instrument couvrant le XXe siècle. Autour du célèbre Syrinx pour flûte seule que Claude Debussy a composé en 1913, la jeune Hsieh a proposé la Sonatine de 1916 de Pierre Sancan dans sa version pour flûte et piano, la charmante Ballade pour flûte et piano (1939) de Frank Martin, l'onirique Merle noir pour flûte et piano (1952), l’œuvre de musique de chambre la plus courte d’Olivier Messiaen qui préfigure plusieurs partitions inspirées du chant des oiseaux, et deux pièces pour flûte et guitare du compositeur bandonéoniste argentin Astor Piazzolla, Café 1930 et Night-club 1960. Remarquablement entourée par un pianiste particulièrement à l’écoute de sa comparse, et par un excellent guitariste aux doigts onctueux exaltant des timbres à l’éclat singulier, la flûtiste taïwanaise ne s’est pas montrée à la hauteur de son programme, exposant des sonorités étriquées, un jeu contraint et une prestance comme tétanisée par le stress. Pour juger de ses aptitudes, il faudrait d’abord qu’elle s’aguerrisse en ciselant davantage son programme et en travaillant son appréhension du public. Son manque de préparation est apparu d’autant plus prégnant que ses partenaires de musique de chambre entendus là ses côtés se sont avérés excellents, particulièrement le guitariste, à suivre.
Toute autre a été la prestation d’Imma Santacreu, le soir du Samedi-Saint. Cette jeune pianiste catalane a le talent ensoleillé. Après de brillantes études au Conservatoire de Barcelone, elle a été l’élève à Paris de Pierre Réach et Françoise Thinat, avant de suivre des master-classes de Marie-Françoise Bucquet et Ian Pace, entre autres. Installée à Paris depuis 2002, elle enseigne au Conservatoire Henri Dutilleux de Maisons-Alfort et collabore avec de nombreux compositeurs, tels David Padrós, Jörg Widmann et Hèctor Parra. De ce dernier, elle a enregistré le CD l’Aube assaillie en 2006 et Intérieur Voix pour l’Atelier de Création radiophonique de France Culture diffusé en 2011. Elle a également participé à la création de l’opéra Hamadoun de Guy Reibel en 2010. C’est dire combien cette musicienne au jeu généreux et au toucher aérien qui exaltent des couleurs étincelantes et charnelles est engagée dans la musique de notre temps.
Ce qui frappe dès les premiers instants de sa prestation de samedi, c’est son jeu délicat et sûr, la position des mains et des bras qui ne sont pas sans rapports avec les préconisations de Marguerite Long, coudes serrés contre le corps, poignets hauts, doigts arqués quasi à angle droit sur le clavier, options aujourd’hui décommandées mais qui ne contraignent en rien le jeu de cette superbe pianiste étonnamment délié et assuré, malgré de petites mains et des doigts plutôt courts et graciles qui ne contraignent pourtant en rien un nuancier d’une ampleur considérable qui lui permet d’interpréter un vaste répertoire. C’est en tout cas ce qu’Imma Santacreu a pu démontrer dans un programme couvrant l'ensemble du XXe siècle, depuis la Catalogne jusqu'aux Etats-Unis, en passant par la France et l’Autriche.
Davantage dans l’esprit de sa compatriote Alicia de Larrocha que dans celui du Français Jean-François Heisser, les trois pages extraites des Danzas españolas que le Catalan Enrique Granados (1867-1916) a composées entre 1892 et 1900 ont séduit par le toucher aérien et la souplesse rythmique de la pianiste, à l’instar des quatre pièces tirées des Impressions intimes (1911-1914) d’un autre Catalan, Federico Mompou (1893-1987), les deux premières aux élans romantiques, les deux dernières proches de Debussy, particulièrement l’andante Pájaro Triste (Oiseau triste). C’est d’ailleurs sur le premier des deux Livres d’Images (1905) de Claude Debussy (1862-1918) que s’est achevée la première partie du programme. Imma Santacreu y a affirmé sa grande capacité aux contrastes, bien qu’un peu crispée au début de Reflets dans l’eau, mais prenant rapidement la mesure de cette pièce avec son toucher liquide pour une interprétation frémissante de sensualité et de rêverie, à l’instar de l’Hommage à Rameau, sobre et inaltérable, et, surtout de Mouvement, où le fantasque et la précision requis par le compositeur dans ce mouvement perpétuel plein d’humour et de fantaisie concordent avec le jeu généreux et sans fioriture de la pianiste, au point qu’elle a choisi de le donner en bis à la fin de son récital.
La seconde partie du programme s’est ouverte sur l’impressionnant mouvement unique de la Sonate op. 1 (1907-1908) d’Alban Berg (1885-1935) que la musicienne a jouée par cœur avec tant de naturel que la partition est apparue plus naturellement pianistique qu’elle ne l’est en vérité, ce qui lui a permis d’exalter sans retenue le climat expressionniste et tristanien de l’œuvre. Ce même climat porte la première des Quatre miniatures pour piano qu’Hèctor Parra (né en 1976) a composées en 2005 dans un but pédagogique. Dans ce recueil, la mélodie est reine mais les difficultés sont nombreuses, notamment dans la dernière aux atours introspectifs et aux résonances debussystes. Le récital s’est achevé sur les Trois préludes de George Gershwin (1898-1937) publiés en 1937 dans lesquels Emma Santacreu a pu attester de ses qualités rythmiques, malgré quelque lourdeur de la main gauche dans le premier, et de ses affinités avec la nostalgie du jazz dans le troisième et du blues dans le deuxième, avec, dans ces deux dernières pièces, une main gauche grondante et ferme et une main droite claire aux détachés étincelants et énergiques.
Bruno Serrou

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