samedi 17 mars 2012

Philippe Jordan excelle le dernier soir de la 5e reprise de « Pelléas et Mélisande » de Debussy dans la mise en scène de Robert Wilson à l’Opéra de Paris


Opéra Bastille, vendredi 16 mars 2012
 Photo : Opéra de Paris - DR
Troisième production de Pelléas et Mélisande depuis que le chef-d’œuvre de Claude Debussy a fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, en 1977, soit soixante-quinze ans après sa création à l’Opéra Comique, présentée une première fois au palais Garnier en février 1997, la production de Robert Wilson coproduite par le Festival de Salzbourg, est apparue après quinze ans d’existence et pour sa cinquième reprise plus passionnante que jamais. En effet, ce spectacle gagne avec le temps en maturité et en plastique, entrant toujours davantage en adéquation avec le climat de l’œuvre de Debussy. Du moins, la distribution réunie pour cette reprise dont la dernière représentation a été donnée hier, est-elle en totale osmose avec la mise en scène de Robert Wilson dont la gestique est apparue moins saccadée qu’antan, tandis que les poses qui suscitent une singulière distanciation sont moins figées et se coulent dans le jeu de chanteurs qui semblent du coup plus libres et moins engoncés que ceux qui les ont précédés dans cette production, tandis que l’on a pu saisir combien en fait les deux personnages les plus proches dans ce drame sont Mélisande et Arkel, le grand-père étant le seul qui puisse comprendre sa petite-fille par alliance et de ce fait également le seul des protagonistes à pouvoir la tenir dans ses bras pour la réconforter. La gestique, les ombres, le bleu profond de la mer et de l’onde, les noirs et les blancs parfois tâchés, en fond de scène, de jaune et de rouge, suggèrent un monde à la fois chimérique et manichéen, l’incommunicabilité entre les êtres, la froideur des rapports humaines. Pelléas devient irréel, Mélisande plus égarée et insaisissable, Golaud plus incompris ; seul, perdu, Arkel est le personnage le plus humain et attentionné. Sans égaler l’extraordinaire performance de Simon Keenlyside en 2004 et malgré des graves trop profonds et un aigu trop tendu, Stéphane Degout est un Pelléas suprêmement chantant, doué d’un timbre lumineux et clair, aux élans spontanés et au caractère introverti qui correspondent à ce rôle délicat à peindre. Elena Tsallagova campe une Mélisande à la voix de solaire, brossant un être innocent, simple, surnaturel. Décevant dans un premier temps, surtout à cause d’une voix qui bouge de façon prononcée qui donne le sentiment que le chanteur se trompe de répertoire, Vincent Le Texier prend au fil du spectacle la mesure de son rôle pour incarner finalement un Golaud déchirant qui se débat dans sa jalousie qui le ronge, ce qui procure à la scène avec Yniold  (Julie Mathevet, excellente) une force dramatique digne de l’Otello de Verdi. Voix profonde au timbre cuivré, Franz Josef Selig est un Arkel d’une bienfaisante humanité, éperdu d’amour et de tendresse pour son entourage entier, tandis qu’Anne Sofie von Otter, qui fut une belle Mélisande avec Bernard Haitink au Théâtre des Champs-Elysées en mars 2000, compose une Geneviève un rien effacée. C’est une fois encore l’orchestre de l’Opéra qui se sera imposé comme le deus ex machina de la soirée, par la sombre fluidité de ses textures,  ses timbres onctueux, la rondeur de ses sonorités, même si l’alignement en fond de fosse sous le plateau des contrebasses qu’avait adopté Sylvain Cambreling en 2004 avait donné plus de pâte aux résonances graves pour lesquelles Debussy est particulièrement redevable à Richard Wagner, plus spécifiquement à Parsifal, ouvrage que pourtant Philippe Jordan a de toute évidence en tête dans sa propre conception de Pelléas et Mélisande, se rapprochant aussi au détour d’une phrase de préludes et de la totalité du quatrième acte de Tristan und Isolde, pénultième acte qui atteint une intensité poétique et dramatique exceptionnelle. L’approche de cette sublime partition par le chef suisse a été si enthousiasmante que les musiciens de l’orchestre de l’Opéra ont acclamé leur directeur musical à la fin de la représentation alors qu’il quittait la fosse pour les saluts  sur le plateau.
Bruno Serrou

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