dimanche 15 janvier 2012

Deux concerts Oscar Strasnoy du festival Présences de Radio France 2012


Théâtre du Châtelet, vendredi 13 et samedi 14 janvier 2012
Après le Finlandais Esa-Pekka Salonen en février 2011, musicien à l’aura internationale acquise comme chef d’orchestre davantage que comme compositeur, le festival de création musicale de Radio France Présences, qui se déroule cette année encore Théâtre du Châtelet, a pour figure centrale de sa vingt-deuxième édition l’Argentin Oscar Strasnoy. « Lorsqu’il m’a été proposé voilà deux ans d’être l’invité de cette édition de Présences, je n’y ai dans un premier temps pas prêté attention, m’a déclaré le compositeur pour le quotidien La Croix. Je me trouvais en effet à Ekaterinbourg quand j’ai reçu un appel de Marc-Olivier Dupin, alors directeur de la Musique à Radio France qui dirigeait le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris quand j’y étais étudiant. Mais cette idée m’a paniqué ! » Strasnoy s’est néanmoins décidé à relever le défi non sans se précipiter sur ses partitions pour les corriger avant de choisir les plus méritantes.
Né en 1970 dans une famille « juive agnostique » d’origine russe comprenant un certain nombre de musiciens installée à Buenos Aires, où il a très tôt commencé l’étude du piano, pour aborder à 15 ans la composition et la direction d’orchestre, naturalisé Français vivant moitié à Paris moitié à Berlin, ancien élève des Conservatoires de Paris et de Francfort, Strasnoy est un compositeur iconoclaste. Riche en influences littéraires et cinématographiques, bariolée, pleine d’esprit et de bonne humeur, revendiquant son métissage, sa musique se veut avant tout discursive. Soucieux de théâtralité, son langage s’approprie, réinvente, détourne le patrimoine musical sans tomber dans le pastiche, et ne craint pas d’être corrosif, comme l’atteste sa « tragédie barbare » Cachafaz de Copi créée en 2010 à Quimper. L’opéra et le théâtre musical sont au centre des préoccupations de Strasnoy ; une création lyrique hors normes ouverte par Midea en 1996, qui lui a valu le Premio Orpheus attribué par Luciano Berio, suivi de deux ouvrages d’après Witold Gombrowicz, Opérette et Geschichte, toujours pour formations réduites, sur des textes éclatés et une dramaturgie hors contingences. Ce que devrait conforter le nouvel opéra sur lequel il travaille actuellement, une commande de l’Opéra de Bordeaux pour la fin de l'année en cours sur un texte russe de Daniils Harms (1905-1942), Slutchaï (Incident), succession de vingt-cinq saynètes. « L’idée littéraire, le texte déterminent mon envie de composer, tandis que la langue conditionne musicalité et dramaturgie : le russe est dans la vitesse d’exécution, l’anglais est haché, l’italien incite à la mélodie... Ma musique se veut au service du théâtre, ce qui m’incite à la citation et à puiser dans le patrimoine populaire. » Si bien que, quelles que soient les circonstances, l’œuvre de Strasnoy est avant tout illustrative. « Mon imaginaire n’est pas conceptuel, reconnaît-il. J’aime travailler en équipe, avec dramaturges, metteurs en scène et interprètes. C’est pourquoi, en cours d’écriture, je me propose d'animer des ateliers à mi-parcours avec les divers intervenants dans les productions afin de juger en groupe de la façon dont sonne et fonctionne l’œuvre en devenir. Je compose à la mesure des interprètes, comme Berio par exemple pour ses Sequenze. »
Le concert d’ouverture n’a malheureusement pas été à la hauteur de l’attente suscitée par ce que nous connaissions jusqu'à présent de Strasnoy. Tout d’abord en raison d’une salle moins remplie que d’habitude à cause de la politique tarifaire décidée par la direction de la Musique de Radio France, qui, après vingt ans de gratuité, a choisi de faire payer les plus de 28 ans, ce qui ne peut que handicaper un compositeur à découvrir encore d'un public potentiel qui assistait encore l'an dernier au festival. Autre déception, due cette fois aux défaillances étonnantes de la formation amirale de Radio France, l’Orchestre National de France, en petite forme dirigée sans panache par la jeune chef estonienne Anu Tali. Les quatre Interludes marins et la Passacaille extraits de l’opéra Peter Grimes de Benjamin Britten ont non seulement été victimes de sérieux décalages et approximations, mais surtout d'une vision terne au point de rendre cette musique ennuyeuse. Le comble pour ces pages particulièrement imagées. Quant à l’opéra pour six solistes et orchestre le Bal d’Oscar Strasnoy, l’impression eut sans doute été toute autre avec un orchestre plus enthousiaste et homogène. Il convient néanmoins de constater que le livret de Matthew Jocelyn adapté de la nouvelle éponyme d’Irène Némirovsky (1903-1942) publiée en 1930 est une réussite. Bien qu'assistant à un oratorio mis en espace, le spectateur a pu suivre l’action de cet opéra créé le 7 mars 2010 à l’Opéra de Hambourg grâce aux illustrations colorées et facétieuses de Hermenegildo Sabat mettant les personnages en situation et au jeu des chanteurs conforme aux indications du librettiste et à leur diction claire. Trine Wilsberg Lund campe (Antoinette) une délicieuse adolescente revêche et mutine, Myriam Gordon-Stewart est une Rosine nouveau-riche plus vraie que nature, Fabrice Dalis un fourbe mari banquier, Anne-Beth Solvang une duègne déjantée, tandis que Chantal Perraud (Mlle Isabelle, professeur de piano) et Hugo Oliveiro (le domestique Georges) sont du même tonneau. Reste la musique, imprégnée d’influences diverses, de la musique Klezmer à Mahler, ce qui, à force d'inciter à la recherche de les sources, perturbe la concentration nécessaire à l’écoute d’une partition sans cesse mouvante, qui rebondit constamment et qui s’amuse goulument...
En revanche, le second concert Strasnoy en soirée du week-end (il y en avait deux l’après-midi de samedi et deux dimanche après-midi) a été donné par un excellent Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé de superbe façon par Dima Slobodeniouk. Le chef russe a ainsi pu restituer toute la magie et l’élan poétique du Chant du Rossignol qu’Igor Stravinsky a tiré en 1919 pour les Ballets russes de son opéra Rossignol adapté d’un conte d’Andersen et créé en 1914 dont il reprend l’essentiel des deuxième et troisième actes. Les trois œuvres de Strasnoy présentées avant celle de Stravinsky sont des hybrides bien écrits mais trop emplis de citations et références pour être personnelles, même si le tout est bien agencé et adopté ouvertement par le compositeur. La première page du triptyque d’hier soir, Incipit (Sum 1) commande de Radio France composée en 2008-2011 et dédiée à Péter Eötvös, était donnée en création mondiale, tandis que Scherzo (Sum 3), composé en 2005 pour l’Orchestre National d’Ile-de-France(1), cite littéralement entre autres l’ultime sonate pour piano de Schubert reprise à l’envi par le piano de l’orchestre. Hommages à Berio, les Trois Caprices de Paganini de Strasnoy sont une succession de paraphrases en forme de concerto pour violon et orchestre donné en création mondiale par leur dédicataire, la violoniste Latica Honda-Rosenberg, le mouvement initial se fondant sur le premier des 24 Caprices pour violon op. 1 du maestro italien, le mouvement lent sur le sixième et le finale sur le vingt-quatrième. Cette musique fort sympathique et ludique est d’un musicien cultivé au cœur généreux, mais ne bouleverse et ne surprend guère. Ce qui n’explique pas la désertion du public, car, plus encore que la veille, le Théâtre du Châtelet était hier soir peu fréquenté…
Bruno Serrou

1) Nous nous faisons ici volontiers le relais d’un appel de l’ONDIF :
« L’Orchestre National d’Île de France est en danger !
Créé en 1974 à l’initiative de Marcel Landowski, alors directeur de la Musique d’André Malraux, l’Orchestre National d’Île de France est composé actuellement de 117 salariés dont 95 musiciens.
Co-financé par le Conseil Régional d’Île-de-France et l’Etat, c’est la seule formation à avoir pour mission la diffusion de la musique symphonique sur l’ensemble du territoire francilien, notamment en dehors du périphérique.
Il offre à nos 11 millions de concitoyens la possibilité d’entendre les grandes œuvres du répertoire et mène une politique culturelle très engagée qui le place dans les 10 orchestres les plus remarqués dans ce domaine.
Le 4 octobre dernier, la Direction régionale deglobale de l’État) sur quatre ans, la ramenant ainsi au niveau du début des années 1980.
Cette décision sans concertation préalable et en totale contradiction avec les propos tenus en septembre par monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, place dès janvier prochain l’Orchestre National d’Île de France en danger.
À ce jour, c’est le seul orchestre symphonique à être visé par ce recadrage budgétaire.
Cette décision remet en cause la réalisation des missions de service des affaires culturelles (DRAC) a annoncé la décision de réduire sa subvention de 700 000 € (33 % de la subvention
public de l’orchestre : missions territoriales, éducatives et sociales.
Face à cette décision brutale et injustifiée, le conseil d’administration demande que la situation fasse l’objet d’un moratoire.
Pour nous soutenir, signez notre pétition :
http://www.orchestre-ile.com/petition/index.php?petition=4&signe=oui »

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