mardi 6 septembre 2016

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin ouvrent en beauté la saison 2016-2017 de la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Vendredi 2 septembre 2016

Photo : DR

Parisien pendant quinze ans, de 1975 à 1989, comme directeur musical de l’Orchestre de Paris, à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin depuis sa nomination comme directeur musical général de la Staatsoper unter den Linden en 1992, orchestre dont il est chef à vie depuis 2000, Daniel Barenboïm et sa phalange berlinoise ont ouvert vendredi la saison symphonique parisienne à la Philharmonie.

La Staatskapelle Berlin est l’une des orchestres les plus anciens, puisqu’il a été fondé voilà quatre siècles et demi, en 1570 précisément. Jusqu’en 1918, il a porté le nom de Königlische Preussische Hofkapelle (Chapelle royale de la Cour de Prusse), et Richard Strauss en fut le titulaire pendant vingt ans, de 1898 à 1918, comme directeur de la Hofoper et de son orchestre. Après la Première Guerre mondiale, le compositeur chef d’orchestre bavarois en restera chef invité privilégié, et il enregistrera plusieurs fois ses propres œuvres symphoniques avec lui. L’érection du mur de Berlin en 1961 fut la cause d’un certain  oubli, jusqu’à ce que, deux ans après la chute du mur, Barenboïm en accepte la direction. Aujourd’hui, il se produit non seulement dans la fosse et sur le plateau de l’Opéra d’Etat de Berlin, mais aussi dans la célèbre Philharmonie, et donne chaque année un concert gratuit en plein air, au cœur de la capitale allemande, le Staatsoper für alle.

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin. Photo : (c) Bruno Serrou

Les Parisiens ont eu depuis les années 1990 nombre d’occasions d’entendre Barenboïm et son orchestre, particulièrement Théâtre du Châtelet, autant en concert que dans des productions lyriques. Ce n’est pas la première fois que le binôme se produit à la Philharmonie, et Daniel Barenboïm en maîtrise déjà les particularités acoustiques et les équilibres, comme en témoigne la disposition de l’orchestre, avec contrebasses alignées derrière les cuivres, trompettes côté jardin et les cors à cour devant les timbales, trombones et tuba au centre, premier et seconds violons côte-côte, violoncelles et altos côté cour.

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berin. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Cette fois c’est une intégrale des symphonies d’Anton Bruckner que le pianiste chef d’orchestre argentino-israélo-hispano-palestinien présente à Paris avec son orchestre allemand, mettant chacune en regard d’une œuvre concertante de Mozart, avec plusieurs solistes, dont lui-même au piano. C’est avec le vingt-quatrième des concertos pour piano qu’il a ouvert le cycle. Dans ledit Concerto pour piano et orchestre n° 24 en ut mineur KV. 491, Barenboïm, comme il le fait depuis les années 1970, a dirigé depuis son grand Steinway, dos au public entouré des musiciens d’un somptueux orchestre berlinois. Dans des tempi plutôt lents, cette partition au caractère dramatique a atteint une atmosphère quasi brucknérienne - en beaucoup moins cuivré, bien sûr -, tandis que le dialogue s’est avéré particulièrement équilibré entre le soliste, les pupitres soli et les tutti, particulièrement lumineux.  

Photo : (c) Bruno Serrou

Comme pour Mozart, et en disciple déclaré de Wilhelm Furtwängler, Daniel Barenboïm est depuis toujours singulièrement à l’aise dans l’œuvre brucknérien. En effet, dès l’époque où il était à la tête de l’Orchestre de Paris, il programmait régulièrement l’une ou l’autre symphonie du maître de Saint-Florian, et, lorsqu’il fonda le Chœur de l’Orchestre de Paris, une messe, un motet, le Te Deum ou Helgoland. Au disque, il en est à trois intégrales « officielles » des symphonies (1), la dernière en date, enregistrée avec la Staatskapelle Berlin, étant parue sous le label Peral Music. La Symphonie n° 4 en mi bémol majeur qualifiée par son auteur de « Romantique », est avec les Septième, Huitième et Neuvième, l’une des œuvres les plus accomplies de Bruckner. Pourtant, pour le compositeur autrichien, aucune œuvre ne pouvait être terminée, la musique étant une perpétuelle expansion vers l’infini. En effet, conçue en un peu plus de dix mois en 1874, profondément remaniée trois fois par la suite, jusqu’à ce que le compositeur s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de source, tant l’on n’y perçoit aucune contrainte, au point qu'il s'agit aujourd’hui de l’une des pages les plus prisées de Bruckner. Daniel Barenboïm en a donné vendredi une interprétation au cordeau, toute en tensions, extension et d’un lyrisme effervescente, tandis que l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin s’est montré virtuose, d’une homogénéité saisissante, avec ses cuivres rutilants - à l’exception du premier cor solo, qui n’est pas apparu sous son meilleur jour, quoiqu’en ait jugé le chef, qui l’a félicité à la fin de l’exécution, et le public, qui l’a ovationné lorsque Barenboïm l’a invité à saluer -, tandis que les bois se sont imposés par leur vélocité et leur sonorités soyeuses, tandis que les cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos, violoncelles et contrebasses onctueuses, violons flamboyants.

Bruno Serrou

1) Il est même l’un des rares chefs à avoir enregistré la Symphonie n° 0 en ré mineur que Bruckner rejeta de son catalogue à l’instar de la Symphonie n° 00. Cet enregistrement réalisé avec le Chicago Symphony Orchestra et publié chez DG, associe deux autres œuvres rares de Bruckner, Helgoland et le Psaume CV. Son intégrale EMI avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin vient d'être rééditée chez Warner Classics - ainsi que celle des Concertos pour piano de Mozart avec l'English Chamber Orchestra publiée ce mois-ci -, tandis que la dernière à ce jour, avec la Staatskapelle Berlin, est parue chez Peral Music. 

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