lundi 6 juin 2016

CD : Péter Eötvös concertant


Depuis près de dix-huit ans, Péter Eötvös se consacre presque exclusivement à l’opéra. Cela avec grand succès, puisqu’il est l’un des compositeurs vivants les plus programmés par les scènes lyriques internationales. Chef d’orchestre, ex-directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain, la musique d’orchestre lui est également familière. Mais ses deux passions sont mêlées, ses pages instrumentales intégrant une scénographie, une mise en résonance avec les divers pupitres des formations qu’il met en confrontation. Cette particularité s’exprime pleinement dans le concerto, qui est un peu son second domaine de prédilection.

En novembre 2014, pour l’inauguration de son nouvel auditorium de l’avenue du Président Kennedy, Radio France célébrait le soixante-dixième anniversaire du compositeur chef d’orchestre hongrois en lui offrant carte blanche tout un week-end durant. C’est à cette occasion que trois de ses concertos ont été enregistrés en première mondiale avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par ses soins et avec trois éminents solistes.

Intitulé DoReMi, le second Concerto pour violon et orchestre a été composé en 2012, soit six ans après le premier, Seven, Memorial for the Columbia Astronauts. Il est interprété ici par sa dédicataire, la violoniste japonaise Midori, qui donne le titre à l’œuvre par une permutation des syllabes et une modification d’une voyelle, do-ré-mi, qui, pour Eötvös, est à la musique ce qu’est 1-2-3 dans l’univers des chiffres, également symbole de l’accomplissement. La pièce s’ouvre sur des scintillements évanescents de trois triangles et des instrumentas au registre aigu source de la foisonnante richesse de la partie orchestrale fondée sur ces trois notes fondamentales dont le compositeur tire un monde sonore, de gestes et de textures luxuriant. Presque omniprésent, le violon a un tour espiègle, bondissant, énergique, se métamorphosant au sein d’une orchestration perpétuellement changeante, jusqu’à la cadence, qui se conclut sur un dialogue de la soliste avec un chaleureux alto, avant que le violon termine dans un climat nocturne d’une poésie apaisée.

Le Concerto Grosso pour violoncelle a été créé en 2011 par le grand compatriote hongrois et ami d’Eötvös, le violoncelliste Miklós Perényi, son dédicataire, et l’Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par le compositeur. Le titre de l’œuvre indique qu’il s’agit d’une œuvre concertante entre les pupitres de l’orchestre, selon ne forme archaïque remontant au XVIIe siècle, et le violoncelle solo, auxquels répond le tutti des violoncelles. Retournant à Béla Bartók, dont il est l’indéniable héritier, Eötvös fonde cette partition sur des danses d’hommes traditionnelles hongroises et transylvaniennes, alors que le pizzicato Bartók est largement utilisé. L’orchestration puissante et dense, les rythmes d’une grande motricité confèrent à l’œuvre une force tellurique.

Composé en 2012-2013, le concerto pour percussion Speaking Drums est une œuvre ludique et iconoclaste mais impressionnante. Le soliste, qui agit de tout le poids de son corps, dispose d’un large éventail d’instruments et se voit confiés des bribes de poèmes rythmés de Sandor Weöres (1913-1989), dans les deux premiers mouvements, et du poète indien Jayadeva dans le troisième, qu’il crie tel un bonze. S’imposant à tout l’orchestre, le percussionniste se lance dans une parodie de danses populaires, une cadence délicate de cloches tubes, avant de conclure sur une extravagante cadence de batterie quoiqu’un rien longuette.

Sous la direction de Péter Eötvös, l’Orchestre Philharmonique de Radio France scintille de tous ses feux, précis, solide, compact, fluide, transparent, tous les pupitres semblant se régaler des orchestrations colorées, contrastées, toujours renouvelées du compositeur hongrois, dont le lyrisme et l’expressivité sont des constantes aptes à toucher tous les publics, malgré une écriture et une pensée qui ne cèdent jamais à la facilité. Les trois solistes, la violoniste japonaise Midori, le violoncelliste français Jean-Guihen Queyras et le percussionniste autrichien Martin Grubinger sont époustouflants de virtuosité, de précision, d’engagement.  

Bruno Serrou

1 CD « 21st Century ». 1h 11mn 02s. Alpha-Classics/Outhère 208  (distribution Harmonia Mundi)

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