lundi 1 février 2016

A Gstaad, Renaud Capuçon fait chanter les Alpes

Gstaad (Suisse). XVIe Sommets Musicaux de Gstaad. Eglise de Saanen, Chapelle de Gstaad. Vendredi 29 et samedi 30 janvier 2016.

Photo : (c) Bruno Serrou

Après quinze ans d’existence, et un an après la mort de leur fondateur, les Sommets Musicaux de Gstaad ont confié leur destinée artistique au violoniste français Renaud Capuçon, qui vient d’y célébrer ses 40 ans (1). « Je me suis produit pour la première fois dans ce festival voilà quatre ans, se souvient Renaud Capuçon. Savoyard né à Chambéry, ayant découvert la musique et le violon à 4 ans au Festival des Arcs, je me suis aussitôt senti chez moi en pays bernois. D’autant plus que je me savais sur les terres de mon dieu, Yehudi Menuhin, le fondateur du festival d’été de Gstaad. » Ainsi, à la mort inopinée du créateur des Sommets Musicaux, Thierry Schertz, lorsqu'il s’est vu offrir la direction artistique de la manifestation hivernale, Capuçon a immédiatement accepté la proposition.

Renaud Capuçon. Photo : DR

« Ce festival est ma madeleine de Proust, s’enthousiasme Renaud Capuçon. J’ai travaillé avec Menuhin le Cinquième Concerto pour violon de Mozart. Menuhin était bien plus qu’un musicien, un véritable humaniste. Et c’est ainsi que je conçois mon rôle. » Déjà directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, le violoniste considère à juste titre que les deux manifestations n’entrent pas en concurrence. « A Gstaad, les lieux comme la Chapelle de la ville et l’église de Saanen ont des jauges trop petites et des estrades trop étroites pour accueillir plus d’une trentaine de musiciens en même temps. En revanche, le Grand Théâtre de Provence permet d’inviter de grands effectifs. J’entends aussi continuer à convier de jeunes musiciens lauréats de grands concours et sélectionnés par un comité artistique sous l’égide des Sommets Musicaux pour y donner des récitals tous les après-midi dans la Chapelle, où nous pratiquons des prix modiques de places. » 

Thierry Escaich. Photo : (c) Bruno Serrou

Cette seizième édition met les jeunes pianistes à l’honneur. L’année prochaine, ce sera au tour des violonistes. Nouveauté pour cette première édition entièrement élaborée par Renaud Capuçon, la résidence de compositeurs. Pour l’édition 2016, l'élu est le Français Thierry Escaich. L’an prochain ce sera le Japonais Toshio Hosokawa. Le compositeur mis en résidence se doit de participer tous les après-midi au concert jeunes lauréats, qui doivent quant à eux inscrire à leur programme une œuvre de ce dernier. Mais dès l’an prochain, prévient Capuçon, tous les artistes invités, qu’ils soient débutants ou confirmés, inconnus ou stars, se devront de jouer le compositeur en résidence. 

Gstaad vu du téléphérique. Photo : (c) Bruno Serrou

Le public qui fréquente le festival est plutôt composite. Jeunes et moins jeunes, riches et moins riches, élégantes en manteaux de fourrure ou en jeans et polos se bousculent et se mélangent bon-enfants, pour écouter en confiance des œuvres plus ou moins populaires et des artistes plus ou moins célèbres mais qu’ils savent de toute façon de très grande qualité. Tant et si bien que la totalité des concerts sont donnés à guichets fermés.

Eglise de Saanen. Photo : (c) Bruno Serrou

Ainsi, la soirée d’ouverture, donnée en l’absence de Renaud Capuçon, retenu à Salzbourg pour un concert avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Tugan Sokhiev, a été pur enchantement, avec un orchestre balte, le Kremerata Baltica fondé par Gidon Kremer qui, après des lectures ardentes de pages d’orchestre de chambre du jeune Félix Mendelssohn, la Symphonie n° 7 pour cordes en ré mineur, et du Polonais Mieczyslaw Weinberg (1919-1996), un proche de Dimitri Chostakovitch, une Symphonie de chambre n° 2 op. 147 de 1987 d’une énergie haletante, a été rejoint par la grande Martha Argerich dans le Concerto n° 2 pour piano et orchestre en si bémol majeur op. 19 de Beethoven. 

Martha Argerich dans le Concerto n° 2 pour piano de Beethoven, église de Saanen. Photo : ©MiguelBueno

Tout sourire et les doigts extirpant du clavier des sonorités de braise, les mains volant délivrées de toute contingence matérielle, comme en apesanteur sans contact direct avec les touches, Argerich jetait des regards complices avec le premier violon, qui dirigeait de son pupitre, et la formation balte, à l’effectif aussi réduit soit-il, lui a donné une réplique à la hauteur de son immense talent. En confiance devant un public concentré et particulièrement demandeur, Argerich a donné en bis une sonate de Scarlatti et l’une des Scènes d’enfant de Schumann qu’elle se plaît à jouer régulièrement en fin de programme avec une intensité étourdissante. 

Gstaad, la chapelle. Photo : (c) Bruno Serrou

Le lendemain, le jeune Japonais Ryutaro Suzuki, ancien élève au Conservatoire de Paris de Bruno Rigutto, Hortense Cartier-Bresson, Michel Béroff et Michel Dalberto, s'est poroduit dans la petite chapelle de Gstaad. 

Ryutaro Suzuki. Photo : ©MiguelBueno

Ryutaro Suzuki a ouvert son récital sur une Sonate en la mineur KV. 310  de Mozart un peu mécanique, suivie de quatre extraits du Tombeau de Couperin de Ravel plus poétique, puis d’une Etude où Thierry Escaich rend hommage au jazz qu’il a donnée en création, avant de d’imposer dans la Sonate pour piano n° 2 op. 36 de Serge Rachmaninov, œuvre dans laquelle il s’est montré le plus à l’aise malgré les restrictions sonores d’un piano demi-queue. C’est sur un Scarlatti naturaliste donné en bis que Suzuki a conclu son récital. 

Alexandra Conunova (violon) et la Camerata Bern. Photo : ©MiguelBueno

Dimanche soir, l’église de Saanen peinte à fresque a servi d’écrin à un brillant Camerata Bern. Il faut être sûr de son fait pour se lancer dans l’aventure symphonique beethovenienne à vingt-sept musiciens, car le moindre écart de justesse, d’intonation et de rythme s’entend. Au lieu du guitariste prévu dans le Concerto d’Aranjuez de Joaquin Rodrigo qui s’est fait porter pâle la veille au soir, c’est une jeune élève de Renaud Capuçon au Conservatoire de Lausanne, la violoniste moldave Alexandra Conunova, qui s’est avérée être une véritable découverte, tant son Concerto n° 4 pour violon en  ré majeur KV. 218 de Mozart s’est fait lumineux et évident. Le mouvement de Partita de Bach qu’elle a choisi de donner en bis a été moins convaincant. 

Camerata Bern. Photo : (c) Bruno Serrou

La Symphonie n° 8 en fa majeur op. 93 de Beethoven qui a suivi a été donnée avec un effectif de cordes réduit à minima (quatre premiers et quatre seconds violons, trois altos, deux violoncelles, contrebasse) tandis que les instruments à vent sont restés par deux. Ce qui aurait dû susciter d’irrémédiables déséquilibres, est passé à l’arrière-plan, tant l’allant, l’engagement, la conception épique impulsés par le premier violon d’Antje Weithass ont tout emporté dans un flamboiement d’intensité et de ferveur. Malgré une inévitable sécheresse sonore et une certaine âpreté des cordes, la conviction et l’énergie qui ont découlé de cette interprétation vivifiante a pétrifié le public. Impression confortée par un Scherzo triomphant du Songe d'une nuit d’été de Mendelssohn.

Bruno Serrou

1) Pour les quarante ans de Renaud Capuçon, Warner-Erato publie un nouveau disque monographique du violoniste réunissant la Symphonie espagnole d'Edouard Lalo, Zigeunerweisen de Pablo de Sarasate et le Concerto n° 1 pour violon et orchestre de Max Bruch, avec l'Orchestre de Paris et Paavo Järvi (1 CD Erato 0825646982769)

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