mercredi 13 janvier 2016

Fugue glaciale Théâtre des Bouffes du Nord

Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. Mardi 12 janvier 2016

Photo : (c) FBN (c) Jean Louis Fernandez

Trois ans après Crocodile trompeur d’après Dido and Aeneas de Henry Purcell en février 2013 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/avec-crocodile-trompeur-le-theatre-des.html), le Théâtre des Bouffes du Nord retrouvait la fine équipe du comédien metteur en scène Samuel Achache pour un spectacle dramatico-musical pour une tragédie burlesque fondée à la fois sur le tragique et sur le non-sens. Cette fois, point de livret ni de partition préexistante, mais des pistes et des thèmes nés au fil de l’élaboration de ce spectacle créé à la Comédie de Valence le 29 mai 2015.

Photo : (c) FBN (c) Jean Louis Fernandez

Comme dans Crocodile trompeur, Fugue a été élaboré de façon collégiale par une équipe d’artistes polyvalents constitués de comédiens-chanteurs et de comédiens-instrumentistes, voire de comédiens-chanteurs-instrumentistes (soprano, contre-ténor, clarinette-saxophone, piano-percussion, violoncelle). Musique et théâtre sont intimement liés, le tout semblant continuellement improvisé, ce qui donne au propos un grand naturel. D’où le titre à double sens Fugue, qui associe la fugue musicale, forme d’écriture contrapuntique sur le principe d’imitation, et la fuite. L’action se situe au pôle Sud, où ont échoué des individus fort divers que rien ne prédisposait à se rencontrer mais qui sont obligés de se côtoyer et de cohabiter pour survivre au sein d’un environnement particulièrement hostile. 

Photo : (c) FBN (c) Jean Louis Fernandez

Sur le modèle de la fugue musicale dont les voix indépendantes se pourchassent et prennent la fuite les unes les autres, six personnages se croisent et se retrouvent tout en gardant leur indépendance. Il est question de solitude, d’amour et de mort, et le chant intervient que les mots manquent ou ne suffisent plus pour exprimer les pensées et détresse. Les emprunts musicaux proviennent des époques Renaissance et baroque associées à des pages composées par deux des interprètes, Florent Hubert et Thibaud Pierriard.

Photo : (c) FBN (c) Jean Louis Fernandez

Dans un décor blanc de neige et de glace désertique de Lisa Navarro et François Gaultier-Lafaye sur lequel est plantée une maison de bois, avec cuisine, baignoire et lit de camp, il émane un sentiment de froid vif qui pénètre jusque dans la chair du spectateur qui ne quitte pas manteaux et parkas malgré la salle chauffée. Les six protagonistes se croisent, conversent, divaguent ou se figent dans leur isolement. Le spectacle a pourtant du mal à décoller. Mais l’auditoire se réveille lorsque Léo-Antonin Lutinie entreprend un inénarrable strip-tease dans l’intention de prendre un bain dans une étroite baignoire où il entend plonger avant d’y faire un crawl puis de se mettre à y chanter d’une voix de contre-ténor. 

Photo : (c) FBN (c) Jean Louis Fernandez

Mais avant cela, musiciens et mélomanes ont quelque frayeur devant le mauvais traitement que fait subir Vladislav Galard à son violoncelle. La prestation d’Anne-Lise Heimburger, qui s’exprime alternativement en français et en allemand, le verbe et en chant fluide exprimés d’une voix de soprano, passant d’un registre à l’autre avec grand naturel. Pourtant, le tout ne suscite pas le même enthousiasme que Crocodile trompeur, plus décalé et inventif quoique respectueux de l’esprit de Purcell. Comme quoi la contrainte n’est point liberticide, loin s’en faut, en matière de création artistique.

Bruno Serrou

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