jeudi 17 décembre 2015

L’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin donne la création française de Cendrillon de Wolf-Ferrari transposé dans le Berlin de la Guerre froide

Colmar. Théâtre Municipal. Opéra du Rhin. Mercredi 16 décembre 2015

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser

Aujourd’hui négligé, Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948) a été de son vivant l’un des compositeurs italiens les plus joués dans le monde. Né et mort à Venise, enfant d’une mère italienne et d’un père allemand, il se destinait à la peinture, à l’instar de son père, art qu’il étudia à Venise puis à Rome, avant de se décider à se perfectionner à Munich, où il optera finalement pour la composition. Pour ce faire, il devint l’élève de Josef Rheinberger. A l’âge de 19 ans, il retourne à Venise où il devient chef de chœur et rencontre Giuseppe Verdi et Arrigo Boito. Auteur d’une quinzaine d’opéras, le premier composé en 1895 mais resté inédit, le dernier en 1943 pour l’Opéra de Hambourg, il a également laissé des pages purement instrumentales, notamment un Concerto pour violon et autres pièces pour orchestre, de la musique de chambre, essentiellement pour cordes avec ou sans piano, et de la musique vocale. Parmi ses œuvres scéniques, la plus connue est le Secret de Suzanne sur un texte original d’Enrico Golisciani créé en 1909 à l’Opéra de Munich, et, à un moindre degré, les Quatre Rustres d’après Carlo Goldoni créé en 1906 déjà à l’Opéra de Munich, ainsi que Sly d’après William Shakespeare dont la première a été donnée à la Scala de Milan en 1927.

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Coline Dutilleul (la Marâtre), Francesca Sorteni (Cendrillon), Gaëlle Alix (Javotte), Rocio Pérez (Anastasie). Photo : (c) Alain Kaiser

L’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, sous l’impulsion de son directeur musical Vincent Monteil, qui, comme chaque année à pareille époque, propose un spectacle pouvant être vu en famille, a porté son dévolu sur le premier des opéras de Wolf-Ferrari à avoir été porté à la scène, Cenerentola. Créé à la Fenice de Venise dans le cadre du Carnaval le 22 février 1900 sur un livret de Maria Pezze-Pascolato d’après la Cendrillon de Charles Perrault, cet ouvrage en trois actes a eu du mal à s’imposer. La première a été un cuisant échec, au point de susciter la détresse de son jeune auteur. Il en fut si blessé qu’il quitta Venise pour s’installer à Munich, et rédigea une nouvelle version de son « conte de fées musical » dès 1902, en allemand, qu’il donna à Brême, où l’œuvre connut cette fois le succès. Pourtant, en 1937, Wolf-Ferrari s’attelle à une troisième mouture, mais sur un livret complété par Franz Rau qui se détourne de Perrault au profit des frères Grimm. L’opéra adopte alors le nom germanisé de Cendrillon, Aschenbrödel.

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser

C’est dans une adaptation en français réalisée par Vincent Monteil, qui concentre le conte en soixante-quinze minutes, et avec un orchestre en formation réduite que l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin a choisi de donner la création française de cet ouvrage. Réalisé par le Britannique Douglas Victor Brown, l’arrangement de la partition de Wolf-Ferrari requiert une formation de neuf instrumentistes tous les pupitres (flûte, hautbois, clarinette, cor, violon I, violon II, alto, violoncelle) étant par un. Si au cours de son évolution le style de Wolf-Ferrari se situe à mi-chemin du vérisme et de l’atonalité, ses vrais modèles resteront du début à la fin Mozart, Rossini et le Verdi de Falstaff. C’est bien sûr à Rossini que l’on pense dans cette Cendrillon, bien que le caractère de l’œuvre soit beaucoup plus noir et rude, voire violent, que celui de la Cenerentola. De quoi en tout cas effrayer le plus jeune public, du moins celui du temps de la genèse de l’œuvre et des générations suivantes, car celui d’aujourd’hui a, de toute évidence, la peau et le cœur beaucoup plus endurcis, à en juger du moins des réactions du public plus ou moins bruyant de la représentation de ce mercredi après-midi à Colmar.

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser

A la demande de la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole, un certain nombre de sons ont été ajoutés, comme celui d’un électrophone et d’un disque crissant, ou celui d’une voix perçant à travers un microphone plein de larsen, de bruits de rue et, surtout, celui d’une guitare électrique grattée par l’un des protagonistes peu inspiré. Car, pour « actualiser » l’action ou plutôt pour l’intégrer dans un contexte historique plus contemporain que celui du conte, le cadre de cette Cendrillon est le Berlin des années 1960, celui de la Guerre froide. Marie-Eve Signeyrole reconnaît s’être inspirée d’un fait réel, une histoire d’amour de deux adolescents, l’une vivant à Berlin-Est, l’autre à Berlin-Ouest. Refusant la fatalité, ce dernier décide de se joindre à d’autres pour creuser un tunnel sous le mur afin de rejoindre la première. 

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Coline Dutilleul (la Marâtre), Francesca Sorteni (Cendrillon), Gaëlle Alix (Javotte), Rocio Pérez (Anastasie). Photo : (c) Alain Kaiser

Le postulat de la dramaturgie, dont l’essentiel se situe dans des chambres, « royaumes des adolescents », est de susciter le doute entre rêve et réalité. Ce contexte historique permet de rendre plus épouvantable le conte que l’original, ajoutant au fantastique tout en lui donnant pour finir la banalité du quotidien en concluant sur une phrase anodine de Cendrillon, qui, retrouvant le prince après avoir rampé dans le tunnel de la liberté, ne trouve rien d’autre à lui dire que « Figure-toi, je n’ai même pas déchiré mes collants ! » Sombre et grise, la scénographie de Fabien Teigné permet métamorphoses et projections, qui, sur un décor tournant sur lui-même, situent l’action dans divers cadres ou autorisent des simultanéités sans interrompre le développement du conte, donné dans sa continuité.

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser

Les jeunes interprètes - chanteurs et instrumentistes - forment une troupe homogène et convaincante, tant ils jouent tous avec conviction. Malgré son fort accent italien qui détonne en français pour un personnage allemand, la soprano italienne Francesca Sorteni est une Cendrillon fougueuse et généreuse qui touche et séduit, d’autant que sa voix est ronde et assurée. La mezzo-soprano belge Coline Dutilleul est une marâtre à la fois revêche, opiniâtre et troublante, la soprano espagnole Rocio Pérez et la soprano française Gaëlle Alix rivalisent de charme avec leur demi-sœur tout en s’avérant odieuses sans pour autant surcharger le trait. 

Ermano Wolf-Ferrari (1876-1948), Cendrillon. Camille Tresmontant (le Prince), Francesca Sorteni (Cendrillon). Photo : (c) Alain Kaiser

Côté hommes, le ténor français Camille Tresmontant est un prince un peu allumé à la voix sûre et bien timbrée, tandis que ses comparses (le baryton mexicain Emmanuel Franco, le baryton-basse polonais Jaroslaw Kitala et la basse suisse Nathanaël Tavernier) forment une joviale équipe. Dans la fosse, Vincent Monteil dirige avec allant ses jeunes instrumentistes du Conservatoire de Strasbourg et de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg-Hear qui constituent l’Ensemble orchestral de l’Académie supérieure de musique et du conservatoire.

Bruno Serrou

La production est donnée le 18 décembre à Colmar, puis reprise à Strasbourg (Cité de la Musique et de la Danse) du 9 au 17 janvier, et à Mulhouse (La Sinne) du 29 au 31 janvier. www.operanationaldurhin.eu

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