samedi 26 septembre 2015

Avec "Giordano Bruno", son premier opéra, Francesco Filidei atteste d’une entière maîtrise du théâtre lyrique

Strasbourg, Musica 2015, Théâtre de Hautepierre, samedi 19 septembre 2015

Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno) et Guilhem Terrail (Clément VIII). Photo : (c) T&M+

« Finito ogni gesto pour flûte, clarinette, cor, violon, violoncelle et percussion de l’Italien Francesco Filidei est [l’œuvre] la plus théâtrale, avec gestes instrumentaux et grands effets dramatiques, et un traitement particulier dicté aux interprètes (corniste et flûtistes jouant aussi du tuyau, appeaux, crécelles pour tous, ballons éclatés pour le percussionniste, etc.) » écrivais-je au soir d’un concert en l’abbaye de Royaumont mi-septembre 2010 après avoir découvert ce compositeur italien vivant en France. Deux ans plus tard, je lui consacrais une page entière dans le quotidien La Croix (4 janvier 2012) lui prédisant le plus bel avenir de créateur. Comme je le pressentais alors (voir ce blog http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/01/portrait-de-francesco-filidei.html), Francesco Filidei est bel et bien aujourd’hui l’un des compositeurs majeurs de sa génération. Avec son premier opéra, Giordano Bruno découvert voilà tout juste une semaine à Strasbourg dans le cadre du Festival Musica, il atteste d’une inspiration, d’un lyrisme, d’un savoir-faire impressionnant.

Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno) affronte les quatre éléments. Photo : (c) T&M+

Car, avec Giordano Bruno de Francesco Filidei (né en 1973), voilà enfin un opéra qui chante, se fait protéiforme, d’une magistrale efficacité dramatique. Une œuvre qui ne lâche pas un instant le public. Nous sommes ici incontestablement en présence d’un maître de l’opéra en devenir, un futur Péter Eötvös ou Philippe Boesmans. Mais, contrairement au second, le compositeur organiste italien vivant à Paris, ex-pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, évite le collage pur et simple d’éléments extérieurs à sa propre inspiration, même s’il emprunte ici ouvertement à la musique Renaissance, particulièrement au madrigal. Avec un orchestre de chambre riche en percussion et en sonorités flottantes, un chœur de douze voix solistes et quatre chanteurs, Filidei s’avère brillant coloriste, à l’instar d’un Monteverdi ou, plus encore, d’un Gesualdo, pour mieux rappeler l’ancrage de son héros en son temps et en souligner son intemporalité, tant la modernité de Giordano Bruno (1548-1600), éternel contestataire-jouisseur-apostât en rébellion ouverte contre l’intolérance religieuse, est prégnante.

Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Photo : (c) T&M+

« Une musique comme la mienne ne peut naître que dans un contexte chrétien », me disait Filidei en 2012. Et de fait, son Giordano Bruno se présente telle une passion. Opéra en deux parties et en douze scènes fondées chacune sur une note pivot de la gamme chromatique (partant de fa # pour y retourner), l’acte unique de quatre vingt quinze minutes composé sur un livret en italien de Stefano Busellato se déroule en deux lieux distincts : Venise, où le dominicain philosophe est dénoncé à l’Inquisition par son employeur, Giovanni Mocenigo, et Rome, où se déroule un procès de huit ans jusqu’à la condamnation et le bûcher au Campo de’ Fiori ou se trouve depuis 1889 la statue de bronze du moine hérétique à deux pas du palais de la Chancellerie qui abrite les services juridiques et administratifs du Vatican. 

Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno). Photo : (c) T&M+

Dans Giordano Bruno, le chœur de douze voix solistes représente le peuple qui soutient ou condamne le philosophe. Trois autres rôles solistes font face à Bruno (baryton), deux inquisiteurs (ténor, basse) et le pape Clément VIII (contre-ténor). Au sein de cette brillante partition, trois scènes sont plus particulièrement saisissantes, la virulente joute verbale entre Bruno et le second Inquisiteur où les mots sont lancés comme des balles de ping-pong sur une volée vocale et instrumentale sur le mode répétitif à l’impact saisissant ; le Carnaval, qui fait penser à la scène du Veau d’Or du Moïse et Aron de Schönberg ; le bûcher. Pour cette première française de Giordano Bruno dont la création a été donnée le 12 septembre à Porto, le héros de la soirée a été Lionel Peintre. Remarquablement entouré par Jeff Martin (premier inquisiteur), Ivan Ludlow (second inquisiteur) et Guilhem Terrail (Clément VIII), à qui il faut associer les douze voix solistes, le baryton français réalise une performance stupéfiante. Surplombée par énorme un demi-globe, la mise en scène d’Antoine Gindt est mue par une direction d’acteur qui instille à chacun des quinze personnages une consistance dramatique prégnante. Derrière le désormais classique voile de tulle cher à Gindt, dirigé avec un sens aigu du contraste et de l’évocation par le chef allemand Peter Rundel, le Remix Ensemble Casa da Musica de Porto est coloré et virtuose.

Bruno Serrou

Giordano Bruno sera repris à Milan le 7 novembre, au Théâtre de Gennevilliers du 14 au 21 avril 2016 et au Théâtre de Caen le 26 avril 2016.

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