samedi 18 juillet 2015

Le Festival Messiaen célèbre François-Bernard Mâche et ses « petits-enfants » musiciens

Festival Messiaen au Pays de La Meije, La Grave, église, mercredi 15 et jeudi 16 juillet 2015

L'église de La Grave et La Meije. Photo : (c) Bruno Serrou 

Invité d’honneur de l’édition 2015 du Festival Messiaen à l’occasion de ses quatre-vingts ans, François-Bernard Mâche (né en 1935) s’est vu gratifié d’un colloque international et d’être le premier compositeur à offrir un concert électroacoustique au pied de La Meije. En lieu et place des habituels instruments acoustiques, ce sont des haut-parleurs diligemment disséminés à travers le chœur de l’église qui ont accueilli un public venu en nombre poussé par la curiosité. Peu de spectateurs en effet sont familiarisés avec les concerts de haut-parleurs caractéristique de la diffusion des œuvres conçues au GRM (Groupe de Recherche Musicale) de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) dont Mâche est l’un des compositeurs les plus inventifs et originaux depuis la fondation de cette institution par Pierre Schaeffer en 1951.

François-Bernard Mâche (né en 1935) présente son concert acousmatique. Photo : 'c) Bruno Serrou

Acousmonium de La Grave

Je gardais personnellement un mauvais souvenir de ces concerts dits « acousmatiques », terme inventé par François Bayle, qui a dirigé le GRM de 1966 à 1997. Concerts donnés à Radio France, dont je devais faire les comptes rendus pour un journal d’information musicale alors bimensuel. Je n’ai pas tenu un an, tant je m’ennuyais et ne voyais rien à en dire. Jusqu’au jour où François-Bernard Mâche se mit à la console pour y donner l’une de ses pièces et instaurer un dialogue fructueux avec une claveciniste. Cette œuvre reste le seul ilot de plaisir d’écoute au bout de cinq concerts entendus dans l’acousmonium du GRM installé sur le plateau du 104.

Le concert conçu pour La Grave s’est présenté en sept étapes constituées chacune par une œuvre électronique pure, « drivé » par un technicien du son planté devant un ordinateur portable tandis que le compositeur était face aux potentiomètres. Au sein de cet ensemble d’où l’humour n’a pas été exclu, trois œuvres de 2014, l’une ouvrant le cycle, une troisième le clôturant, chacune intitulée à la façon de clins d’œil La porte, celle d’entrée, et Porte close en fin de parcours, la deuxième étant plus développée, Curiose Geschichte, tandis que la page la plus consistante a été Tempora de 1988, malheureusement « jouée » avec le seul ordinateur alors qu’elle a été conçue pour un trio de synthétiseurs à clavier. Au total une heure de musique plus ou moins concrète et évocatrice mais toujours poétique et surtout émanant d’un authentique musicien, qui va jusqu’à suggérer la cigale sans que l’on distingue la moindre trace tangible. Chaque page a été présentée par Mâche en des termes choisis mais toujours clairs et précis, agrémentés d’un humour charmeur. Tant et si bien que le public a adhéré sans sourciller, et son écoute s’est avérée concentrée à en juger par les judicieuses questions qui ont été posées à l’issue du concert.

Le colloque Messiaen-Mâche : Orient-Occident. Photo : (c) Colin SAMUELS

Colloque Messiaen-Mâche : Orient-Occident

La matinée du 16 juillet était le cadre d’un colloque consacré à François-Bernard Mâche et ses relations avec les musiques et cultures du monde. Intellectuel pur jus, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, diplômé d’archéologie grecque, agrégé de lettres classiques, docteur en musicologie, passionné de cultures orientales, d’ornithologie, d’anthropologie et de plongée sous-marine, membre fondateur du Groupe de recherche musicale (GRM) de Pierre Schaeffer, producteur d’émissions sur France Musique et sur France Culture, ses goûts et son amour de la liberté l’ont conduit à mener de front plusieurs carrières. Farouchement indépendant, ce qui l’a conduit à se consacrer à l’enseignement scolaire puis universitaire enfin à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, spécialiste du langage, plus particulièrement des langues mortes ou en voie d’extinction, il a élaboré une théorie et une méthode personnelles de composition centrées sur les concepts de modèle et d’archétype, auxquelles il associe souvent la nature, les instruments acoustiques et l’électronique qui gouvernent l’essentiel de la centaine d’œuvres que compte aujourd’hui son catalogue. Cette matinée intitulée Orient-Occident, était placée sous la présidence d’Apollinaire Anakesa, violoniste, sinologue, responsable du Centre d’Archives des Documents Ethnographiques de la Guyane, musicologue, ethnomusicologue, professeur à l’Université de Guyane, il est l’auteur d’ouvrages sur Jean-Louis Florentz, Charles Chaynes, l’Afrique subsaharienne dans la musique savante occidentale au XXe siècle et Chansons traditionnelles des plaines et des bocages vendéens. Sa communication a porté sur François-Bernard Mâche et Olivier Messiaen, l’Afrique comme ressourcement. Quatre autres communications ont été exposées durant ce colloque. La première a été prononcée par Gérard Denizeau, professeur à Paris IV, historien d’art, musicologue et écrivain, spécialiste des correspondances entre les arts, auteur de nombreuses publications, romans, poèmes, articles et ouvrages sur les beaux-arts et la musique. Sa communication a porté sur François-Bernard Mâche et la tentation de l’exotisme. Daniel Durney, qui a enseigné à l’Université de Bourgogne (Dijon), auteur de textes sur Georges Aperghis et d’un Hommage à François-Bernard Mâche s’est exprimé sur les relations culturelles en général et musicales en particulier entre la France et le Japon, qui remontent aux années 1860. Etats-Unien pré-doctorant à l’Université Libre de Bruxelles, auteur de plusieurs articles sur Olivier Messiaen, Christopher Murray a présenté une éclairante étude des deux Iles de feu contenues dans les Quatre études de rythmes pour piano composées en 1949-1950. Retour à François-Bernard Mâche avec la dernière communication formulée par Anne-Sophie Barthel-Calvet, professeur de musicologie à l’Université de Lorraine (Metz), spécialiste d’Iannis Xenakis et de François-Bernard, qui fut l’ami du compositeur d’origine grecque et au fauteuil de qui il a succédé à l’Académie des Beaux-Arts. Son intervention était intitulée Mâche et l’Orient. Reste à espérer que ces communications, parfois interrompues en raison du temps imparti à chacun assez réduit, feront l’objet d’une publication, ne serait-ce que sur le site Internet du Festival Messiaen au Pays de La Meije.

Concert d’élèves du troisième cycle du Conservatoire de Paris

Les six élèves du CNSMD de Paris et Laurent Durupt. Photo : (c) Colin SAMUELS

Donné en l’église de La Grave, le concert de l’après-midi s’est inscrit dans la ligne de l’accord passé dans la perspective de l’édition 2012 dont la thématique était « la classe Messiaen » entre le Festival Messiaen et le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour que les élèves de la première institution française de pédagogie musicale participent activement au festival. C’est la raison pour laquelle la manifestation est inscrite depuis trois ans dans le calendrier des festivals d’été dans la deuxième décade de juillet au lieu de la troisième pendant les quatorze premières éditions. En l’église de La Grave, six élèves (Jean-Etienne Sotty, accordéon, Justine Leroux, piano, Eun-Joo Lee et Malika Yessetova, violons, Thien-Bao Pham-Vu, alto, et Aurélie Allexandra, violoncelle) de la classe de troisième cycle « Répertoire contemporain et création » que dirige Hae-Sun Kang ont présenté un programme riche et exigeant, autant pour l’interprétation que pour l’écoute, tant les œuvres sont denses, virtuoses, inventives. Malika Yessetova a ouvert le concert avec Anthèmes I pour violon seul de Pierre Boulez. Il s’agit d’une courte pièce de neuf minutes environ fruit d’une commande du Concours Yehudi Menuhin 1991, que le compositeur a dédiée au directeur d’Universal Edition de Vienne, Alfred Schnee. En 1994, Boulez élargira considérablement les proportions de cette œuvre dans une version pour violon et électronique live qu’il intitulera Anthèmes II. Anthèmes I doit sa structure à aux souvenirs d'enfance de son auteur alors qu’il assistait aux offices du Carême, au cours desquels étaient chantés les versets des Lamentations de Jérémie, alternant expositions en hébreux et versets en latin. Se conformant à ce schéma, Boulez crée deux mondes sonores distincts, les énumérations en hébreux devenant de longs sons harmoniques statiques ou filés, et les versets latins formant contraste par leur tour vif et délié. Malika Yessetova en a donné une interprétation un peu contrainte et manquant de lumière, mais le son est plein et le jeu sans tâche. Le clic sec de départ sur la corde n’a pas été assez marqué, contrairement à celui de fin, deux marques qui se retrouveront dans Anthèmes II. 

Justine Leroux, piano, Eun-Joo Lee et Malika Yessetova, violons, Jean-Etienne Sotty, accordéon, Thien-Bao Pham-Vu, alto, et Aurélie Allexandra, violoncelle. Photo : (c) Colin SAMUELS

Conçu en 1991, Silenzio pour violon, violoncelle et accordéon de Sofia Gubaidulina tient de la veine de son Offertorium pour violon et orchestre. Il s’agit donc de l’une des pièces les plus significatives de la compositrice russe, ses trois mouvements alternant vif-lent-vif s’avérant parmi les morceaux les plus inventifs de Gubaidulina. Eun-Joo Lee, Aurélie Allexandre et Jean-Etienne Sorry en ont donné l’essence, soulignant la fusion des instruments qui conduit à ce que l’auditeur confonde l’origine du son émis. Autre œuvre de Pierre Boulez écrite pour un concours et qu’il déploiera en élargissant effectif et durée, Incises pour piano. Composé en 1994 pour le Concours Umberto Micheli de Milan, complété en 2001, Incises marque le retour de Boulez au piano, trente-sept ans après la Troisième Sonate. En 1996/1998, il en tirera sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussionnistes. L’œuvre joue avec les contrastes de textures et de gestes, avec des accords de tempos semblables interrompus par de violents arcs mélodiques ou des interjections chorales clairsemées sans rythme perceptible. Justine Leroux en a donné une version aux résonances larges et rutilantes bien dans l’esprit de la flamboyance de l’écriture boulézienne.

Allain Gaussin (né en 1943). Photo : (c) Colin SAMUELS

La Bossa nova pour accordéon solo de Frank Bedrossian, brillamment exécutée par Jean-Etienne Sotty, nécessite une forte concentration de l’auditeur pour identifier une bossa nova, mais les rythmes et les couleurs en sont, indubitablement. Bedrossian exploite avec art toutes les aptitudes de l’instrument soliste dont il tire des sonorités de braise. Dédié à Harry Halbreich, Chakra pour quatuor à cordes a été écrit en 1984 par Allain Gaussin. Cette œuvre en trois parties qui se fonde sur les sept chakras indiens du corps humain (deux dans le bas ventre, un au thorax (le cœur), le reste dans la tête), est mue par une forte énergie, qui s’exprime par quantité de glissandi. Le quatuor à cordes constitué par Eun-Joo Lee et Malika Yessetova (violons), Bao Pham-Vu (alto) et Aurélie Allexandre (violoncelle) en ont donné une lecture enthousiaste mais sèche et contrainte qui n’a pas permis d’apprécier tous les tenants et aboutissants de l’œuvre.

Création de Vertical Speed de Laurent Durupt

Laurent Durupt (né en 1978) présente sa création. Photo : (c) Colin SAMUELS

Mais le moment attendu de ce concert était la commande du Festival Messiaen pour cette édition 2015 passée au pianiste compositeur Laurent Durupt (né en 1978), ex-pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Vertical Speed pour piano, accordéon et quatuor à cordes est une œuvre foisonnante, à la fois inventive et émouvante. Elle est en effet placée sous un double choc émotionnel. Le premier est la catastrophe aérienne de l’Airbus A330-200 Rio de Janeiro-Paris qui s’abîma en mer le 1er juin 2009, et dont les derniers mots envoyés par l’ordinateur de bord donnent le titre à l’œuvre, Cabin Vertical Speed. Le second est celui de la mort soudaine de la compositrice Miujung Woo, camarade de Laurent Durupt dans la classe d’Allain Gaussin dont ils ont tous deux été les élèves au CNSMDP, morte à 38 ans pendant qu’il terminait sa partition. Autre hommage de Durupt à travers ce sextuor, celui à Pierre Boulez pour ses 90 ans. L’informatique et le temps réel sont de l’univers naturel de cet élève de Frédéric Durieux, Allain Gaussin et Philippe Leroux. Cela se sent, dans cette œuvre de plus de vingt minutes pourtant exclusivement écrite pour instruments acoustiques, à l’exception d’un capodastre électronique posé sur le la du violoncelle, qui, utilisé assez longuement comme un faux bourdon, a suscité à mes oreilles par la puissance et la durée de son exposition un effet d’acouphène à peine supportable. Grave, profonde, douloureuse, portée par une affliction intérieure, l’œuvre contient un superbe solo d’accordéon, et, plus loin, un étonnant alliage d’un piano aux tournures minimaliste dans l’esprit d’une Steve Reich et de cordes extrêmement mobiles et d’une expression de plus en plus tendue jusqu’à l’explosion de l’émotion qui finit par submerger l’auditeur tant l’effroi qu’elle suscite est bouleverse. Cette tension dramatique hallucinante et la puissance de la créativité de son auteur font espérer l’émergence d’un grand compositeur.

François-Bernard Mâche (né en 1935) entouré par le Quaruor Béla. Photo : (c) Bruno Serrou

Création du Quatuor à cordes n° 2 de Frédéric Pattar par le Quatuor Béla

L’ultime concert auquel j’ai assisté durant mon séjour à La Grave a été donné par le Quatuor Béla en l’église du petit village des Hautes-Alpes cadre du plus grand festival estival de musique contemporaine. Au programme, Eridan op. 57 que François-Bernard Mâche a composé en 1986. A l’instar de l’œuvre de Laurent Durupt donnée en création trois heures plus tôt au même endroit, l’on trouve dans Eridan écrit pour instruments acoustiques, l’influence de l’électronique. Comme le suggère le titre tiré du nom d’un fleuve mythique, l’œuvre livre la vie dudit fleuve dans tous ses états, de sa source à son estuaire, avec tous les accidents et toutes les pauses qu’ils traversent dans l’intervalle. Le premier violon introduit l’œuvre d’un mouvement vif et sec de l’archet sur une seule note, le second violon se posant bientôt au-dessus, puis l’alto d’un même geste agité, enfin rejoint par le violoncelle, tandis que les violons « partent en voyage » dans l’aigu suggérant la course d’une rivière. L’exploitation de l’archet est faite dans sa diversité, n’hésitant pas à l’étouffement, tandis que le violoncelle use de pizz. Bartók. La matière se raréfie après un mouvement lent descendant, jusqu’à des pizzicati qui marquent une remontée vers le haut des registres allant crescendo, archets à la corde, puis des fusées bondissent de chaque instrument tour à tour, avant que le fleuve retrouve son cours folle, et s’interrompt soudain… 

Frédéric Pattar (né en 1969). Photo : DR

Seconde création de la journée, mais en l’absence de son auteur, Frédéric Pattar, qui n’a pu se rendre à l’invitation du festival, son commanditaire. La création de Frédéric Pattar, singulière, riche et exigeante, tant elle est fine, colorée, élancée, tendue, rythmiquement et harmoniquement complexe, est à la fois d’une rare difficulté d’exécution et extrêmement signifiante. Ce qui lui donne un tour dramatique et lyrique incroyablement prégnant. Né à Dijon en 1969, élève de Gilbert Amy au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, études qu’il a complétées par un cursus de composition et d’informatique de l’Ircam en 1999, lauréat de la Fondation Boucourechliev en 2005, en résidence au DAAD Künstlerprogramm de Berlin en 2010, marqué par le matérialisme poétique de Gaston Bachelard, Frédéric Pattar se préoccupe principalement d’articulation entre musique, texte et représentation visuelle. Dans ses œuvres, les flux rythmiques déferlent en vagues continues et nourrissent la toile harmonique, créant ainsi des perspectives sonores souvent inouïes. L’on retrouve toutes ces caractéristiques dans le Quatuor à cordes n° 2 dont il vient de confier la création au Quatuor Béla, qui s’est joué de toutes les difficultés de l’œuvre nouvelle avec une dextérité impressionnante. La partition est construite en un mouvement unique subdivisée en quatre parties, et chaque instrument est traité en soliste. L’œuvre est ouverte par le premier violon jouant sur la chanterelle sur la nuance pianissimo, tandis que les autres instruments émettent le son du vent, avant de se faire de plus en plus présents, émettant de véritables fusées de sons. Le quatuor est tout en dentelles, en légèreté, les ourlets étant finement couturés. Les pizzicati et les piqués d’archets sont finement rythmés, l’œuvre entière trahissant la sensibilité à fleur de peau du compositeur. 

Concert du Quatuor Béla en l'église de La Grave. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Quatuor Béla a joué cette partition tout en délicatesse et en élégance, comme il le fera ensuite avec le Quatuor à cordes n° 2 op. 36 que Benjamin Britten (1913-1976) a composé en 1945 sur lequel ils ont conclu leur programme.


Bruno Serrou

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