vendredi 3 octobre 2014

Le Palazzetto Bru Zane a transformé Venise en capitale mondiale du romantisme musical français

Venise (Italie), Palazzetto Bru Zane et Scuola Grande San Giovanni Evangelista, samedi 27 et dimanche 28 septembre 2014

Photo : (c) Bruno Serrou

Lancé en janvier 2008 par Madame Nicole Bru, docteur en pharmacie ex-PDG du Groupe UPSA et présidente de la Fondation Bru qu’elle a créé en Suisse en 2013, le Centre de musique romantique française a ouvert ses portes en 2009 dans l’ancien casino Zane, annexe du palazzo Zane érigé en 1695-1697 au cœur de Venise expressément pour la musique, à la demande de Marino Zane par les architectes Antonio Gaspari et Domenico Rossi dans le quartier de San Stin proche de la basilique dei Frari pour la famille Zane. 

Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou

Ce beau bâtiment baroque est désormais dénommé Palazzetto Bru Zane (1). Après réhabilitation et restauration, les huit cents mètres carrés de ce lieu chargé d’histoire distribués en trois niveaux a retrouvé sa vocation première en devenant le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française. Au milieu de l’édifice, une grande salle qui se déploie sur deux étages ouvrant sur un somptueux plafond voûté orné d’une représentation d’Hercule accompagné de la Gloire et de la Vertu et de coquilles peintes tandis que les angles sont occupés par des divinités de l’Olympe et que le mur du grand escalier qui y conduit est paré de fresques.

Palazzetto Bru Zane. Le grand escalier. Photo : (c) Bruno Serrou

Animé par une équipe de onze permanents dirigée par Florence Alibert, directeur général, et Alexandre Dratwicki, directeur artistique, le Palazzetto est à la fois un centre de recherche, d’expérimentation et de diffusion attaché à la musique française des années 1780 à 1920, qu’il s’agisse d’œuvres de compositeurs méconnus ou de partitions négligées de compositeurs célèbres. « Par sa superficie aux modestes dimensions, la grande salle de concert du palais vénitien s’avère idéale pour une programmation expérimentale, se félicite Alexandre Dratwicki. C’est donc là que s’exprime la partie la plus originale de l’activité de diffusion du Centre, la plus risquée aussi puisque les choix peuvent s’avérer plus ou moins incertains. » Grâce à cette pièce en effet et à sa petite centaine de places, les partitions redécouvertes peuvent sonner non pas dans la tête de leurs lecteurs ou de son inventeur mais de façon concrète en étant jouées par des musiciens dans les conditions du concert, public ou privé. 

Palazetto Bru Zane. Le jardin. Photo : (c) Bruno Serrou

Afin de valoriser ses recherches et les œuvres découvertes les plus convaincantes, le Palazzetto Bru Zane les diffuse par le biais d’ouvrages musicologiques, de coéditions de disques, de coproductions de concerts et spectacles, notamment avec le Festival Berlioz de La Côte-Saint-André et l’Opéra-Comique de Paris, l’organisation de colloques et de tournées internationales. Dans la continuité de ses festivals, à Venise et à Paris, le Centre de musique romantique française s’engage toujours davantage dans la production afin de maîtriser les projets qu’il initie, à la fois sur les plans scientifique, artistique, technique et financier.

Affiche du festival Romantisme entre guerre et paix sur le mur d'entrée du Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour sa quatrième édition, le festival d’automne du Palazzetto Bru Zane (2) s’attache jusqu’au 11 décembre de cette année au « Romantisme entre guerre et paix » avec une série de dix concerts. En effet, la période à laquelle le Centre de musique romantique française voue son activité a été le cadre de la Révolution française et de nombreux conflits européens, de la bataille de Valmy et des guerres napoléoniennes jusqu’à la Première Guerre mondiale, en passant par celles de la Restauration, les Trois Glorieuses, la Révolution de 1848, les guerres de Napoléon III, de l’Italie jusqu’à la Crimée, les conquêtes coloniales, la Guerre de 1870, la Commune de Paris…

Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou

Ainsi, après avoir coproduit l’ode-symphonie Christophe Colomb ou la découverte du Nouveau Monde de Félicien David présentée en août dernier au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/francois-xavier-roth-et-les-siecles.html), le Palazzetto Bru Zane présente dans ses propres murs vénitiens et Scuola Grande San Giovanni Evangelista fondée au XIVe siècle qui le jouxte dans le quartier San Polo, une riche programmation festivalière autour de cette thématique de guerre et paix confiée à des artistes avec qui le Centre entretient des relations privilégiées, jeunes musiciens et artistes confirmés, dans des programmes originaux constitués d’œuvres rares, certaines étant oubliées depuis leur création voire inconnues parce qu’inaccessibles et, pour certaines, inédites.

Palazzetto Bru Zane, salle de concert. Photo : (c) Bruno Serrou

Le concert d’ouverture du festival a été confié par le célèbre Quatuor Mosaïques qui réunit entre autres le violoniste hongrois Erich Höbarth, membre fondateur du Quatuor Vegh, et le violoncelliste gambiste chef d’orchestre français Christophe Coin, directeur-fondateur de l’Ensemble baroque de Limoges. Première pièce de ce programme allant crescendo, le Quatuor à cordes n° 2 en sol majeur de Rodolphe Kreutzer (1766-1831), compositeur (il est l’auteur d’une quarantaine d’opéras), professeur et premier violon solo du Théâtre-Italien puis de l’Opéra de Paris, où il fut aussi chef d’orchestre puis directeur, à qui Beethoven a dédié sa Sonate « à Kreutzer » qui allait inspirer le titre d'un roman de Léon Tolstoï qui allait inspirer à son tour le Quatuor à cordes n° 1 de Leoš Janáček… Publié à Leipzig en 1790, ce deuxième des « six quatuors concertants » de Kreutzer est une œuvre aux courtes proportions en deux mouvements sans réelle portée, pas même côté charme tant ces pages traînent en longueur et n’apporte rien de neuf à un genre pourtant encore en plein essor à l’époque. 

Palazzetto Bru Zane, plafond de la salle de concert. Photo : (c) Bruno Serrou

La deuxième pièce est signée du violoniste compositeur pédagogue Pierre Baillot (1771-1842), disciple de Viotti, Reicha et Cherubini, et professeur entre autres de Habeneck et Ingres. Son Quatuor op. 34 n° 1 de 1805 est une partition cyclique en quatre mouvements qui permet au quatuor d’archets de chanter à loisir, ce que le Quatuor Mosaïque a fait en toute liberté. Mais l’œuvre la plus intéressante aura été la dernière, le Grand Quintette pour deux violons, alto et deux violoncelles que Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853) a dédié à la fin des années 1820 à son ami Pierre Baillot. Prédominant sur l’ensemble d’archets, le premier violoncelle donne un élan humain et généreux à l’œuvre entière par sa chaleureuse expressivité, tandis que le premier violon s’impose par sa virtuose musicalité, plus particulièrement dans le finale. 

Palazzetto Bru Zane, Salle de concert, le Quatuor Mosaïques (Erich Hölbarth et Andrea Bischof (violons), Anita Mitterer (alto), Christophe Coin (violoncelle)) et Cristina Vidoni (violoncelle). Photo : (c) Palazzetto Bru Zane / Michele Crosera

L’interprétation engagée et expressive, les sonorités moelleuse du Quatuor Mosaïques qui, enrichi de la violoncelliste italienne Cristina Vidoni au second violoncelle, a admirablement servi cette partition inconnue qui mériterait de s’imposer au répertoire.

Chapelle de la Scuola Grande San Giovanni Evangelista. Photo : (c) Bruno Serrou

Le second concert du week-end d’ouverture du Festival Romantisme entre Guerre et Paix du Palazzetto Bru Zane s’est déroulé dimanche après-midi dans le cadre somptueux de l’église Renaissance de la Scuola Grande San Giovanni Evangelista. Devant un public plus nombreux que la veille au soir en raison d’une jauge plus grande (deux cents cinquante places au lieu d’une centaine), le programme a été entièrement conçu par ses cinq interprètes autour de la thématique guerrière, allant au-delà du concert puisque le concept se situait entre récital et spectacle. Cette idée est née de la rencontre en 2011 dans le cadre du Palazzetto Bru Zane de la mezzo-soprano Isabelle Druet et des quatre musiciens du Quatuor Giardini, le pianiste David Violi, du violoniste Pascal Monlong, de l’altiste Caroline Donin et de la violoncelliste Pauline Buet, ce qui en fait l’un des rares quatuor avec piano constitué. Cet ensemble instrumental, qui a choisi de se consacrer autant aux œuvres consacrées du quatuor pour piano et cordes, telles celles de Mozart, Schumann, Brahms, Dvořák, Fauré, et à un répertoire méconnu de compositeurs délaissés comme Félicien David, Théodore Dubois, Marie Jaëll ou Mel Bonis, et la cantatrice entretiennent des relations privilégiées avec le Centre de musique romantique française qui les soutient à la fois dans leur quête de partitions et dans l’élaboration de programmes, ainsi que dans la réalisation de tournées. C’est le cas cette année avec le spectacle présenté dimanche intitulé « Au pays où se fait la guerre » produit par le Palazzetto Bru Zane mais qui a été créé en juillet dernier au Festival de Saintes et sera repris jusqu’en février prochain, à Rome puis en tournée en France (3). 

Scuola Grande San Giovanni Evangeslista. Plafond de la chapelle. Photo : (c) Bruno Serrou

Divisé en quatre parties à la façon d’une symphonie, avec deux vivo (La partanza et Al fronte) suivis de deux lento (le tragique La morte et le serein In Paradiso), le spectacle se présente sous la forme d’un monodrame de soixante-quinze minutes, la chanteuse revêtant successivement plusieurs costumes, de la va-t-en-guerre à la femme en deuil. Chaque mouvement se subdivise à son tour en quatre parties, soit un total de seize numéros constitués de partitions originales pour voix et quatuor avec piano ou pour quatuor seul et d’arrangements de pages plus ou moins célèbres de douze compositeurs français. Les découvertes les plus captivantes sont les œuvres signées par des femmes : le finale du Quatuor avec piano n° 1 op. 69 de Mel Bonis (1858-1937), compositrice qui mériterait une attention soutenue de la part des musiciens-interprètes, la douloureuse mélodie Exil de Cécile Chaminade (1857-1944) sur un poème de René Niverd et la charmante Elégie de Nadia Boulanger (1887-1979) sur des vers d’Albert Samain. Aux côtés de chefs-d’œuvre incontestés de Gabriel Fauré (Quatuor avec piano opp. 15 et 45), Henri Duparc (Au pays où se fait la guerre et Elégie), Claude Debussy (Recueillement extrait des Cinq Poèmes de Charles Baudelaire), et de festifs Gaetano Donizetti (la Fille du régiment) et Jacques Offenbach (la Grande Duchesse de Gerolstein et la Vie parisienne), ce spectacle révèle des pages peu courues comme l’étonnant Andante du Quatuor avec piano de Reynaldo Hahn (1874-1947), le touchant les Larmes de Benjamin Godard (1849-1895) sur un poème de Paul Harel, et les moins significatifs En Paradis extrait des Chansons de Marjolie néanmoins non dénué de charme, et le premier des Petits Rêves d’enfants sans grand intérêt, deux pages de Théodore Dubois (1837-1914). 

Scuola Grande San Giovani Evangelista, Isabelle Druet et le Quatuor Giardini (David Violi (piano), Pascal Monlong (violon), Caroline Donin (alto), Pauline Buet (violoncelle)). Photo : (c) Palazzetto Bru Zane / Michele Crosera

Voix fruitée et ferme, d’une présence scénique conquérante mais sans excès, Isabelle Druet interprète les mélodies avec goût et une expression naturelle enrichie par la brillante musicalité du Quatuor Giardini (4), qui dialogue et concerte avec une homogénéité de couleurs et de ton qui est l’apanage des seuls ensembles constitués.  

Bruno Serrou

1) Palazzetto Bru Zane. Centre de musique romantique française. San Polo 2368, 30125 Venezia – Italia. Tél : +39 041.52.11.005. www.bru-zane.com

2) Le Palazzetto Bru Zane organise un second festival de neuf concerts au printemps prochain, du 11 avril au 21 mai 2015, consacré au compositeur George Onslow (1784-1853)

3) Rome (Villa Medici, 15/10), Festival de Laon (Hôtel de Ville, 6/11), Guebwiller (Dominicains, 7/11), Château d’Hardelot (Music and Cup of Tea, 9/11), Paris (Hôtel des Invalides, 14/11), Metz (Arsenal, 15/11), Poitiers (Auditorium, 14/12), Aix-en-Provence (Grand Théâtre, 20/01/15), Entraigues-sur-la-Sorgue (La Courroie, 22/01), Arles (Le Méjan, 25/01), Sinfonia en Périgord (Périgueux, 5/02)


4) A paraître en novembre le premier CD du Quatuor Giardini consacré à Gabriel Fauré (Quatuor avec piano n° 1 op. 15) et Mel Bonis (Quatuor avec piano n° 1 op. 69).  1CD Evidence EVCD0004

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