lundi 14 avril 2014

Bruno Mantovani a dirigé une création remarquable de Philippe Leroux en clôture de la première saison Turbulences de l’Ensemble Intercontemporain

Paris, Cité de la Musique, dimanche 13 avril 2014

Bruno Mantovani. Photo : DR

Né sur une idée de Matthias Pintscher à son arrivée à la tête de l’Ensemble Intercontemporain, et de la Cité de la Musique, Turbulences aura marqué dès sa première saison par son côté festif et par la richesse de sa programmation. Ses trois week-ends répartis d’octobre à avril ont été organisés autour de trois thématiques, Chemins de traverses, Nouvelles directions et Air libre, programmées par autant de compositeurs, Pascal Dusapin, Matthias Pintscher et Bruno Mantovani. Les concerts aux formats conventionnels des vendredis soir et dimanches matinée encadraient de longs rendez-vous festifs proposés le samedi de 17h30 à minuit.

Dirigé par Bruno Mantovani venu en voisin, l’ultime concert du cycle 2013-2014 présenté dimanche a alterné œuvres solistes et d’ensembles de deux compositeurs de la même génération, deux créateurs référence de la musique du second XXe siècle forgés à l’aune du sérialisme intégral et de Darmstadt mais qui, dans leur maturités, sont devenus plus lyriques et libres dans leur mode d’expression : Luciano Berio (1925-2003) et Pierre Boulez (né en 1925). Représentés par deux œuvres chacun, ces dernières ont encadré une partition en création d’un confrère qui aurait pu être leur fils, Philippe Leroux (né en 1959). Le tout constituant un programme illustrant le concept de dérive.

Philippe Leroux (né en 1959). Photo : (c) Pierre Raimbault

Compositeur rare, Philippe Leroux compte parmi les plus significatifs de la génération des années cinquante. « Je me souviens du jour où il est venu se présenter à moi, au conservatoire, rappelait Ivo Malec en 2006. C’était un très beau garçon, plein de cheveux bouclés. Une apparition très belle et étrange. Il est arrivé comme un ange, et il m’a parlé comme il le fait encore, doucement. Il faut toujours tendre l’oreille, avec lui. » Comme il est dépeint par son professeur, Philippe Leroux est un artiste discret et lucide, qui allie rigueur technique et passion pour la transmission, autant pour le public que pour les musiciens, notamment dans le cadre de son enseignement à l’IRCAM, puis à l’Université McGill de Montréal. Créateur au talent exceptionnel, il s’est tourné vers la composition dès ses 11 ans, avant de s’imposer aujourd’hui comme l’un des créateurs majeurs de sa génération par la puissance de son inspiration, l’exigence de son écriture, la profondeur, la délicatesse et l’expressivité de sa musique. Commande de l’Ensemble Intercontemporain en vue de sa création dans le cadre de Turbulences, écrit pour 28 musiciens (flûte/flûte piccolo, flûte/flûte basse, hautbois, hautbois/cor anglais, clarinette en si bémol, clarinette en si bémol/clarinette en mi bémol/clarinette basse, clarinette en si bémol/clarinette contrebasse, basson, basson/contrebasson, 2 cors, trompette/trompette piccolo, trompette, 2 trombones, 3 percussionnistes, piano, harpe, 3 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse), Total SOlo allie les particularités d’une pièce solo à celles d’une œuvre pour ensemble, son auteur y explorant les relations entre l’individuel et le collectif travaillées dans une forme composite. Les parties sont étroitement combinées, laissant percer tout autant l’indépendance et la fusion des voix. Ainsi, en perpétuel mouvement, d’une écriture serrée rehaussée par un large ambitus, cette page de vingt minutes est à la fois colorée, sensuelle, captivante, virtuose et volubile. Les alliages de timbres et la vigueur qui émane de l’écriture de Leroux font de cette partition une œuvre de tout premier plan que l’on a hâte de réécouter pour en goûter l’infinie diversité.

Sébastien Vichard. Photo : (c) Ircam

En ouverture de programme, Sébastien Vichard a donné une interprétation puissante d’Incises que Pierre Boulez a composé en 1994 à la demande de Maurizio Pollini, qui lui avait commandé pièce pour l’épreuve imposée du concours de piano à son nom, que Boulez paracheva en 2001. Cette partition d’une durée totale de 11 minutes avait dans l’intervalle servi de réservoir en 1996-1998 à une œuvre dans laquelle Boulez déploie son riche matériau entre trois pianos, trois harpes et trois percussionnistes d’une durée d’une quarantaine de minutes qu’il allait naturellement intituler sur Incises

Solistes de l'Ensemble Intercontemporains et Bruno Mantovani après sur Incises de Pierre Boulez. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain

En l’absence remarquée du compositeur, et même si ses membres ont pour la plupart changé, singulièrement les deux harpistes supplémentaires, l’Ensemble Intercontemporain porte cette œuvre dans ses gènes. Si bien que, malgré la direction plus lâche de Bruno Mantovani, moins claire, précise et articulée que celle de Pierre Boulez, sur Incises a bénéficié d’une interprétation rigoureuse, mais d’où ont été exclus la fluidité des enchainements, la transparence des textures, le fruité des couleurs, l’étincelante sensualité des timbres, l’infinie résonance des sons exaltée par l’oreille infaillible du compositeur qui, en matière de résonance, est le seul véritable héritier de Claude Debussy.

Didier Pateau. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain

A contrario des pages de Boulez, qui ont été présentées dans l’ordre croissant des effectifs d’œuvres puisant à la même source, les deux partitions de Luciano Berio retenues par Mantovani sont allées dans le sens de la raréfaction. La première pièce proposée a en effet été le développement d’une page pour instrument seul, Chemin IV pour hautbois et onze cordes qui, en 1975, amplifiait la quête sonore et harmonique de la Sequenza VII pour hautbois de 1969 dont le premier forme un « commentaire » de la seconde, de l’aveu même de Berio. 

Philippe Grauvogel. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain

Les deux hautboïstes de l’Ensemble Intercontemporain se sont partagés la partie soliste, Didier Pateau Chemin IV et Philippe Grauvogel Sequenza VII, tous deux s’illustrant brillamment dans des interprétations engagées et d’une suprême musicalité qui dit long sur l’habileté des instrumentistes d’aujourd’hui qui jouent cette musique avec une aisance stupéfiante.


Bruno Serrou

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