vendredi 21 mars 2014

Robert Carsen et Paul Agnew présentent à l’Opéra-Comique une Platée de Rameau fashion victim

Paris, Opéra-Comique, jeudi 20 mars 2014

Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. (Au centre) Marcel Beekman (Platée), Edwin Crossley-Mercer. Photo : (c) Monika Rittershaus, DR

Platée est avec les Indes galantes, conçues dix ans plus tôt, l’ouvrage le plus populaire de Rameau.  Lors de sa création à La Grande Ecurie de Versailles le 31 mars 1745 à l’occasion du mariage du Dauphin et de l’Infante d’Espagne, l’opéra-ballet Platée a fait l’effet d’une révolution de palais. Outre le fait que les auteurs, Jean-Philippe Rameau pour la musique et Adrien-Joseph Le Valois d’Orville pour le livret tiré de la comédie Platée ou Junon jalouse de Jacques Autreau inspirée des Boétiques du géographe grec Pausanias (v.115-v.180), raillaient une vieille nymphe campée par un homme devant une jeune mariée que la nature avait peu favorisée. L'on y voyait pour la première fois un ouvrage jouant délibérément la carte du burlesque, alors même que la tragédie lyrique était encore le modèle obligé du théâtre musical cinquante-huit ans après la mort de Jean-Baptiste Lully. Car Platée est en fait un immense pastiche du théâtre lyrique français, l’opéra se moquant ici de lui-même, l’apogée étant atteint dans un réjouissant air de La Folie, qui aligne tous les poncifs du genre. L’amour, dans ses différents états, y est également raillé, puisqu’il s’agit du sujet favori de l’opéra.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)

Quinze ans après l’hilarante production de l’Opéra de Paris, l’Opéra-Comique a choisi de proposer la sienne au public parisien. La première de cette nouvelle Platée, qui a été présentée hier, s’est déroulée au terme d’une journée d’action des intermittents du spectacle, qui manifestaient non loin de là, sur le parvis de l’Opéra Garnier. L’on aurait de ce fait pu craindre quelques perturbations devant Favart durant cette soirée quelque peu huppée donnée dans le cadre du deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Or, lesdits intermittents se sont limités à la lecture devant la fosse d’orchestre d’un rappel de leur inaliénable nécessité dans une production comme celle à laquelle allait assister le public, qui a en partie sifflé la délégation, tandis qu’une majorité a recouvert les huées par leur soutien manifeste. Puis on est passé à la représentation, en présence entre autres de William Christie, à qui la nouvelle production doit son existence, mais qui, pour des raisons de santé, a dû laisser la baguette à son disciple Paul Agnew, qui a souvent chanté Platée.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Marcel Beekman (Platée), Simone Kermes (la Folie). Photo : (c) Monika Rittershaus, DR

Régie par la Folie, cette histoire de grenouille qui se prend pour une nymphe irrésistible au point de vouloir séduire Jupiter lui-même, suscite une course à la vanité digne d’une fable de La Fontaine, tant beauté et laideur sont affaires de relativité. Signant une musique particulièrement figurative, Rameau n’a jamais été aussi inventif que dans cet ouvrage, qui porte en germes le romantisme, l’impressionnisme et l’expressionnisme. La partition de cet opéra-ballet est foisonnante, avec ses nombreux intermèdes dansés qui suscitent une musique inventive. Mais à trop vouloir démontrer, Rameau réfrène l’action qui en devient rébarbative.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Edwin Crossley-Mercer (Jupiter). Photo : (c) Monika Rittershaus, DR

Qui dit baroque dit imagination débridée des dramaturges. Ce qui est admis en ce domaine par le public lyricomane est étonnamment souvent décrié ailleurs. En 1999, puis en 2002, l’Opéra de Paris confiait à Marc Minkowski et Laurent Pelly une Platée qui a fait date, avec Paul Agnew dans le rôle-titre. Ce dernier est cette fois dans la fosse, à la tête des Arts florissants de William Christie. Loin de la truculence et du naturalisme de Pelly, qui avait bravement fait sien l’univers des fables de Jean de La Fontaine, Carsen a opté pour le microcosme chic de la haute couture et de ses défilés, avec miroirs clinquants, apparat snob et frivolité creuse régentée par un Jupiter qui a emprunté les traits de Karl Lagerfeld portant dans ses bras sa chatte siamoise blanche répondant au prénom Choupette. Des sacs griffés Coco Chanel sont continuellement prodigués aux choristes au sein d’une action qui se déploie dans un décor glacial aux murs-miroirs, qui renvoient sans doute au public sa propre image - idée qu’avait déjà exploitée Pelly dans cette même œuvre -, effet qui ne m’est pas apparu du fauteuil de balcon de côté que j’occupais mais que mes confrères mieux placés ont sans doute pu percevoir, pourvu de chaises en plexiglas alignées façon défilés, tables rondes recouvertes de nappes immaculées surmontées de vases de fleurs blanches, le tout éclairé de lumières froides réglées par Robert Carsen. Les costumes bigarrés et un écran de télévision sur lequel défilent des mannequins de la dernière collection Chanel épandent quelques couleurs à la scénographie glacée de Gideon Davey, tandis que Nicolas Paul signe d’interminables ballets sagement provocants.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée. Simone Kermes (la Folie) assiste à la fin du défilé de mode du couturier Junel, avec la robe de mariée. Photo : (c) Monika Rittershaus, DR

Moins étincelante que celle de Pelly, mais aussi moins aguerrie, la distribution dont bénéficie Carsen reste homogène, bien que la prononciation du français eut mérité d’être plus travaillée, surtout de la part de Simone Kermes, Folie manquant d’abattage mais à la voix solide et aux aigus triomphants. Edwin Crossley-Mercer campe un Jupiter revenu de tout, tandis que Marcel Beekman est une Platée déterminée et inusable au point que l’on est guère touché par les railleries dont elle est victime, et la voix n’a pas l’élégance et l’agilité de celle de Paul Agnew dans ce même rôle. Cyril Auvity (Thepsis, Mercure), Marc Mauillon (Momus, Cithéron), Emmanuelle de Negri (Amour, Clarine) et Joao Fernandes (Satyre, Momuss) ne déméritent pas, tandis qu’Emilie Renard est une Junon plus effacée. Sous la direction ardente et onirique de Paul Agnew, les Arts florissants sont valeureux, même si l’on eut aimé davantage de coloration et moins de dureté.

Bruno Serrou

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