jeudi 6 mars 2014

Pour son monodrame "Te craindre en ton absence" sur un livret de Marie NDiaye, Hèctor Parra signe une partition d’une puissante efficacité dramatique

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, mardi 4 mars 2014

Hèctor Parra (né en 1976), Te craindre en ton absence. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

Homme discret, raffiné et délicat, esprit ouvert et rigoureux, passionné d’arts plastiques, Hèctor Parra compte parmi les compositeurs les plus fins de sa génération. Né à Barcelone le 17 avril 1976, il a étudié la composition, le piano et la direction de chœur au Conservatoire supérieur de sa ville natale, avant de suivre le Cursus de composition et d’informatique musicale de l’IRCAM puis des master classes à Royaumont, au Centre Acanthes et à la Haute école de musique de Genève auprès de Brian Ferneyhough, Jonathan Harvey et Michael Jarrell. Il a également obtenu un DEA en Sciences et technologies des arts à l’Université Paris VIII sous la direction de Horacio Vaggione. Il est aujourd’hui professeur de composition du Cursus de l'IRCAM.

Hèctor Parra (né en 1976). Photo : (c) Ensemble Intercontemporain, DR

Homme de culture accompli, Hèctor Parra puise son inspiration dans des univers artistiques et scientifiques qui sont autant d’éléments constitutifs de sa musique. Ainsi, l’influence des arts plastiques qu’il a pratiqués de façon suivie et sa fascination pour la peinture, plus particulièrement pour l’œuvre de Cézanne dont il a reproduit les textures en timbres imprègnent sa propre création, à l’instar de la physique et de la biologie évolutive, comme l’atteste notamment son opéra Hypermusic Prologue écrit sur un livret de la physicienne Lisa Randall, créé en 2009 dans le cadre du festival Agora, Stress Tensor et Mineral Life. Exigeante, complexe, radicalement personnelle, cette musique n’en touche pas moins l’âme et le cœur, s’avérant volubile et pleine de surprises. Si le timbre est au centre de ses recherches qui se matérialise dans des édifices sonores souvent saturés et grouillants d’énergie, le discours est toujours rigoureusement édifié, dans une relation au nombre et une pensée structuraliste qui organise et morcelle la grande forme.

Hèctor Parra (né en 1976), Te craindre en ton absence. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain, "le regard de James", DR

Par sa forme et par sa durée (1h20), Te craindre en ton absence d’Hèctor Parra pourrait constituer une seconde partie de Cassandre de Michael Jarrell, œuvre écrite sur un texte de Christa Wolf créée voilà tout juste vingt ans à Paris, Théâtre du Châtelet, par Marthe Keller et l’Ensemble Intercontemporain dirigé par David Robertson, qui intégrait aussi la technologie IRCAM. L’instrumentarium est néanmoins réduit à douze instrumentistes sans percussion (flûte/flûte basse, hautbois, clarinette/clarinette basse, basson/contrebasson, cor, trompette, trombone, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) au lieu de vingt pour Cassandre. Intégrant ou non l’électronique « live », la musique de Te craindre en ton absence se fond avec naturel au beau texte de la romancière dramaturge scénariste Marie NDiaye (Prix Femina 2001 pour Rosie Carpe et Prix Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes) (2) et s’avère d’une efficacité expressive singulière, libérant une énergie incandescente et un onirisme ardent, l’orchestration, fluide et richement colorée, demeurant toujours intelligible sur le plan des textures comme de l’euphonie. La partition ne fait en aucun cas redondance avec le texte, en disant davantage encore sur la douleur de l’absence de l’être cher qui s’est suicidé, d’une mère décédée, sur la peur panique, exprimant le tout de façon intime, les sons vibrant en résonance jusqu’à tréfonds de la chair de l’auditeur.

Hèctor Parra (né en 1976), Te craindre en ton absence. Astrid Bas (récitante). Photo : (c) Ensemble Intercontemporain, "le regard de James", DR

Se revendiquant comédienne et danseuse, Astrid Bas, qui a enregistré Cassandre de Jarrell avec l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Susanna Mälkki (1), reste étonnamment raide tout au long du spectacle, autant côté récit que côté théâtre, comme empêtrée dans une direction d’acteur du metteur en scène Georges Lavaudant, homme de théâtre par excellence dont elle est proche, enserrée dans le fil fictif du micro HF à travers lequel l’actrice s’exprime la bouche à quelques centimètres. Le dispositif scénique de Jean-Pierre Vergier est pour le moins minimaliste. Assise face au public sur un tronc d’arbre foudroyé couché derrière le chef d’orchestre, la comédienne se déplace lentement vers les spectateurs micro à la main sur un tapis de plumes d’oie disposé sur une sorte de goudron en polymère de plastique, puis recule vers un mur du plateau à jardin contre lequel elle s’assoit avant de se relever pour aller vers le mur à cour puis de retourner vers le tronc pour conclure le spectacle. Le récit est déclamé sur un ton monocorde et impersonnel d’une voix amplifiée qui apparaît d’autant plus artificielle que le traitement informatique réalisé par l’IRCAM se fait naturel et sans artifice. Placés au fond du plateau, dirigés avec allant par Julien Leroy, les douze musiciens de l’Ensemble Intercontemporain se sont emparés de la partition de Parra avec panache, mettant en relief sans faiblir les couleurs brûlantes de la partition du compositeur catalan, donnant à lui seul la douloureuse intensité dramatique de l’œuvre entière.  

Bruno Serrou

1) 1 CD Kairos KAI0012912

2) Hèctor Parra et Marie NDiaye ont également collaboré ensemble sur un opéra, Das geopferte Leben (La vie sacrifiée) dont la création est annoncée pour mai prochain dans le cadre de la Biennale de Munich. 

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