lundi 3 mars 2014

Nabucco de Verdi porté par l’Orchestre de la Suisse romande et le Chœur du Grand Théâtre de Genève

Genève (Suisse), Grand Théâtre, vendredi 28 février 2014

Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR

Quelques semaines après les festivités du bicentenaire Giuseppe Verdi, le Grand Théâtre de Genève présente une production de Nabucco venue d’Allemagne mais retravaillée pour l’occasion.

Giuseppe Verdi (1813-1901)Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR

Troisième opéra de Verdi, Nabucco est l’un des ouvrages lyriques les plus populaires dans le monde. L’œuvre faillit pourtant ne jamais voir le jour. En effet, en panne d’inspiration, écrasé par les coups du destin -, le compositeur lombard venait de perdre à quelques mois d’intervalle ses deux enfants et sa femme -, Giuseppe Verdi est au bord du gouffre lorsqu’il se voit confier par son imprésario le livret d’un opéra titré Nabuchodonosor qu’avait refusé de mettre en musique son confrère allemand Otto Nicolaï. Sous le titre Nabucco, ce sera son premier triomphe.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR

Créé le 9 mars 1842 à la Scala de Milan où il est repris cinquante-sept fois en moins de trois mois avec un succès considérable, tiré du Livre de Daniel de l’Ancien Testament, Nabucco connaît dans les deux années qui suivent une cinquantaine de productions différentes en Italie, avant de se propager rapidement à travers le monde. « Ma carrière a vraiment commencé avec Nabucco », conviendra Verdi quelques années plus tard. Ayant pris la ferme résolution de ne plus jamais composer après le fiasco de l’opéra Un giorno di regno deux ans plus tôt, Verdi, sous le choc de la lecture des vers de Temistocle Solera Va, pensiero, sull’ali dorate (Va, pensée, sur tes ailes dorées) qui « formaient presque une paraphrase de la Bible, dont la lecture m’était familière », revient sur sa décision et décide de se remettre au travail. Inspirée du Psaume CXXXVII, cette cantilène, sombre et élégiaque chantée par les Hébreux prisonniers à Babylone qui débute sur un long unisson du chœur à mi-voix, devient très vite l’un des passages les plus universels de la musique occidentale. Elle faillit même devenir l’hymne de l’Unité italienne qui se libérait alors du joug autrichien. Va Pensiero a été́ repris par un public en larmes à Rome en 2011 quand le chef Riccardo Muti avait dénoncé́ les lois de Berlusconi. Le climat général de Nabucco est cataclysmique et imposante, d’une redoutable efficacité psychologique, tandis que la partition préfigure l’art entier du compositeur, de Macbeth jusqu’à Otello.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR

C’est ce vers quoi tend la direction de John Fiore, le chef new-yorkais ancre avec à-propos la partition dans la généalogie verdienne, allégeant la rythmique, faisant chanter l’orchestre tout en veillant à ne jamais couvrir les voix et lui instillant un impact dramatique conquérant. L’Orchestre de la Suisse romande répond à ses sollicitations avec dynamisme et onctuosité, tandis que le Chœur du Grand Théâtre brille, ses timbres se fondant avec ductilité dans ceux des instrumentistes pour brosser un Va, pensiero remarquable, du pianissimo le plus aérien au fortissimo le plus cinglant. A l’instar de Pier Luigi Pizzi et Iannis Kokkos, deux scénographes devenus metteurs en scène, et malgré la présence d’une collaboratrice à la mise en scène, Andrea K. Schlehwein, Roland Aeschlimann signe une direction d’acteur excessivement statique à la gestique engoncée dans une production plus esthétisante que théâtrale conçue en 2001 pour l’Opéra de Francfort et entièrement repensée pour Genève, concluant l’action sur le double suicide des filles de Nabuchodonosor, l’enfant esclave Abigaille bel et bien prévue par Verdi, et la légitime Fenena, qui devrait normalement convoler en justes noces hors scène avec son promis Ismaël. A l'avant-scène, un curieux rocher accroché à une énorme poulie pour le moins envahissante est présente du début à la fin du spectacle, tandis que le plateau est successivement occupé par un mur, celui des lamentations et du temple détruit par les Babyloniens, puis par un immense escalier en forme de pyramide, tandis que l'Etoile de David enserre les gorges des Hébreux. 

Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR

La distribution genevoise est dominée par la mezzo-soprano franco-marocaine Ahlima Mhamdi, touchante Fenena, et la soprano hongroise Csilla Boross, Abigaille hallucinée à la voix d’airain mais détimbrant plus ou moins. Quoiqu’usée, celle du baryton italien Lucio Gallo, Nabucco géant aux pieds d’argile, reste séduisante, tandis que le ténor italo-américain Leonardo Capalbo un Ismaël séduisant. Mais la basse italienne Roberto Scandiuzzi, Zaccaria en 1995 dans ce même Grand Théâtre de Genève, n’a plus vraiment les moyens du rôle, et la basse arménienne Knachik Matevosyan déçoit en Grand Prêtre.


Bruno Serrou

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