lundi 3 février 2014

Marc Minkowski, prince de Salzbourg

Salzbourg, Mozartwoche, Haus für Mozart, Stiftung Mozarteum Grosse Saal, jeudi 23 et vendredi 24 janvier 2014

Christoph Willibald Ritter von Gluck (1714-1787), Orfeo ed Euridice. Bejun Mehta (Orfeo), Uli Kirsch (la Mort), Camilla Tilling (Euridice), Ana Quintans (Amour). Photo : (c) Matthias Baus, DR

Des villes-festivals, Salzbourg est la capitale. Pas une saison sans. Le succès de la manifestation estivale née en 1924 de l’initiative de Max Reinhardt, Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss, a donné des ailes à la cité-archevêché, qui surfe sur la vague du triomphe post-mortem du « divin Mozart ». Ainsi se succèdent un festival d’automne, un festival de Pâques un autre de Pentecôte...

Marc Minkowski et Matthias Schulz. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

Pour ce qui concerne la saison d’hiver, une manifestation concentrée sur une semaine, la Mozartwoche (Semaine Mozart), est née en 1956, année du bicentenaire de la naissance du plus célèbre des Salzbourgeois. Mais, à la différence des autres rendez-vous festivaliers, celui-ci est placé sous l’égide du Mozarteum de Salzbourg créée en 1841 sur la volonté de la veuve de Mozart, Constance. Aujourd’hui placée sous la direction de Matthias Schulz, les missions de la fondation sont la recherche, la collecte et la sauvegarde des archives Mozart, ainsi que la diffusion (1), la transmission de la tradition mozartienne par son le biais de son orchestre et, surtout, son université fréquentée aujourd’hui par cinq mille étudiants venant du monde entier.

Mozarteum de Salzbourg. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

C’est donc sous la tutelle du Mozarteum que la Semaine Mozart a été lancée et confiée en 2013 à un chef d’orchestre français, Marc Minkowski, dont le mandat vient d’être prolongé jusqu’en 2017. « Centrée sur Mozart et son temps, dit Minkowski, notre Semaine se place dans la tradition salzbourgeoise en invitant de grands solistes, de grands chefs ainsi que l’Orchestre Philharmonique de vienne, phalange particulièrement attachée au renom de Salzbourg, éléments indispensables pour attirer le public à Salzbourg en hiver. Mais nous tenons aussi à accueillir de jeunes artistes, comme Marianne Crebassa, qui a fait l’unanimité l’an dernier dans Lucio Silla de Mozart. Le public l’a adorée, et sa prestation lui a valu un engagement au prochain festival d’été dans la création d’un opéra de Marc-André Dalbavie, Charlotte Salomon, sur un livret de Barbara Honigmann. En 2015, elle sera ici au côté d’un jeune ténor français exceptionnel, Stanislas de Barbeyrac, dans Davide Penitente de Mozart que je dirigerai entouré des chevaux de Bartabas, qui mettra l’œuvre en scène dans le Manège des rochers. »

Salzbourg, Haus für Mozart, la troupe de l'Orfeo ed Euridice de Gluck. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

Réputé comme chef baroque et classique d’orchestres d’instruments anciens, Minkowski est chez lui, à Salzbourg. Tout le monde le connaît, et il aime à discuter avec ceux qui l’approchent, où qu’il se trouve. Au Mozarteum, il se plaît à programmer des œuvres jouées sur les instruments de Mozart, qu’il confie à de grands interprètes. Ce qui plaît au public huppé qui suit toutes les manifestations salzbourgeoises, vient de Munich et de Vienne mais aussi d'Italie, d’Angleterre, de France.

Salzbourg. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

C’est dans la superbe salle Haus für Mozart de l’ancien palais du Festival, centre d’activité de la Semaine Mozart, que s’est ouverte l’édition 2014, qui aura compté trente et un concerts. Au programme, un opéra non pas de Mozart mais de son contemporain et compatriote le chevalier Gluck, Orfeo ed Euridice. C’est avec cette production qu’ont été lancées les festivités internationales du tricentenaire de la naissance de Gluck (1714-1787). Minkowski a choisi la version originelle en italien créée au Burgtheater de Vienne le 5 octobre 1762 sur un livret de Ranieri de’ Calzabigi. A la tête de ses Musiciens du Louvre-Grenoble jouant sur instruments d’époque, enrichis de membres de l’Orchestre du Mozarteum, il a confié le rôle d’Orphée à un contre-ténor. Et quel contre-ténor : l’éblouissant Bejun Mehta, qui, de sa voix ensoleillée, malléable, puissante et dramatique, a magnifié cette tragédie qui a été le cadre de la première collaboration de Minkowski et Yvan A. Alexandre, journaliste qui signant pour l’occasion sa quatrième mise en scène après Rodelinda en 2007, Hippolyte et Aricie en 2009 et Le Cid en 2010. 

Christoph Willibald Ritter von Gluck (1714-1787), Orfeo ed Euridice. Bejun Mehta (Orfeo). Photo : (c) Matthias Baus, DR

Alexandre s’est assuré la participation du scénographe d’Olivier Py, Pierre-André Weitz, qui a réalisé pour l’occasion un décor simple et efficace, remarquablement mis en relief par les lumières de Bertrand Killy, permettant le déploiement des divers plans de l’action avec naturel : les alvéoles noires de chaque côté de la scène, la robe de bal blanche qui enserre au début les deux protagonistes amoureux avant de se déchirer pour laisser percer le sang affleurant au flanc d’Orphée, tandis qu’Euridice choit inanimée avant d’être déposée sur une longue desserte noire, Orphée arrachera Eurydice au royaume des Ombres sur une projection de silhouettes portée sur un gigantesque vélin placé sur le proscenium, le harpiste concluant seul la tragédie dans un rai de lumière cramoisie... Il résulte du tout un spectacle élégant et équilibré, qui confirme combien Minkowski a d’affinité avec Gluck, entouré d’une distribution sans faille, l’élégante et svelte Euridice de Camilla Tilling au corps de ballerine, l’Amour angélique et brûlant d’Ana Kirsch, dont la prestation a été enluminée par le somptueux Chœur Bach de Salzbourg, tous portés par la direction ardente et tranchée de Minkowski.

Salzbourg, Haus für Mozart. Photo : (c) Bruno Serrou, DR

Côté concerts, celui offert dans la matinée par András Schiff dirigeant du piano la Cappella Andrea Barca constitué d’instrumentistes des grands orchestres autrichiens, dans le Concerto n° 15 en si bémol majeur pour piano et orchestre KV. 450 de Mozart joué avec chaleur par le pianiste chef d’orchestre hongrois sur un Bechstein aux sonorités feutrées enjolivées par l’acoustique veloutée de la Grande Salle de la Fondation du Mozarteum. En soirée, René Jacobs, le Freiburger Barockorchester et le RIAS Kammerchor enchantait le nombreux public de la Haus für Mozart avec une remarquable interprétation de l’oratorio de Carl Philipp Emanuel Bach, le « Bach de Hambourg », Die Auferstehung und Himmelfahrt Jesu (La Résurrection et l’Ascension de Jésus) Wq 240 - H 777 créé le dimanche de Pâques 1774, révisé en 1778 et 1780, mais donné dans l’arrangement de Mozart datant sans doute de 1788. Sous la direction sensible et poétique de Jacobs, l’œuvre     a imposé sa spiritualité et ses beautés, l’ensemble orchestral brillant par sa précision et ses sonorités fruitées, à l’instar du Chœur de Chambre du RIAS de Berlin, d’une homogénéité et d’une onctuosité extraordinaire, et de solides solistes, particulièrement le remarquable baryton hongrois Michael Nagy.

Bruno Serrou

1) Le Mozarteum de Salzbourg lance une collection de CD de ses archives sonores avec Sándor Vegh, Wilhelm Backhaus, Bernhard Paumgartner, le violon et le pianoforte de Mozart (4CD Belvedere distribution Harmonia Mundi)

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