mardi 4 février 2014

Ingo Metzmacher et Dieter Dorn poursuivent à Genève leur Ring de Wagner avec un épique Siegfried

Genève, Grand Théâtre, jeudi 30 janvier 2014

Richard Wagner (1813-1883), Siegfried, Acte III. John Daszak (Siegfried), Petra Lang (Brünnhilde). Photo : (c) Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

Près d’un an après le prologue (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/avec-un-das-rheingold-onirique-ingo.html), et deux mois après la première journée (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/11/ingo-metzmacher-et-dieter-dorn-donnent.html), le Grand Théâtre de Genève présente ce mois-ci la deuxième journée du Ring de Richard Wagner, Siegfried dans la nouvelle production d’Ingo Metzmacher et Dieter Dorn. A l’instar des deux premiers volets, le troisième débute avant que l’ouvrage ne commence, avec les Nornes qui dévident le fil de la destinée tandis que Wotan hante l’espace, lance à la main, devant les immenses appendices du dragon Fafner dont certains évoquent les arbres de la forêt profonde qui protège l’antre du monstre et le refuge du nain Mime installé au premier acte dans une même perspective.

Richard Wagner (1813-1883), Siegfried, Acte I. Tomas Tomasson (le Voyageur). Photo : (c) Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

Dans Siegfried, Dieter Dorn et son scénographe Jürgen Rose peuvent laisser libre cours à leur talent et à leur imaginaire, en associant l’esprit commedia dell’arte qui s’était clairement exprimé dans Das Rheingold, au fantastique et à l’onirique, avec l’ours, les oiseaux de la forêt, et à l’épopée. L’action se développe dans sa continuité, Wotan, en deus ex machina, commandant le déploiement du décor au premier acte, tandis que le fil de la destinée des Nornes restera au sol jusqu’à la fin de l'opéra. Dieter Dorn exploite la totalité de l’espace circonscrit par le cadre de scène peint en noir, tandis que les dessous du plateau délimitent la caverne de Mime, tandis que les tentacules du dragon deviennent les arbres d’une forêt vivante, troncs et branches cachant plus ou moins leurs manipulateurs, tandis que d’autres animent des oiseaux portés à bout de perches, l’Oiseau de la forêt au plumage rouge étant quant à lui manœuvré par la canttrice vêtue de collant et cagoule noirs, la lumineuse Regula Mühlemann. 

Richard Wagner (1813-1883), Siegfried, Acte I. Tomas Tomasson (le Voyageur), John Daszak (Siegfried), Andreas Conrad (Mime). Photo : (c) Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

Au début de ce même deuxième acte, l’on ne peut s’empêcher de penser à quelques Ring mémoriaux des années 1976-1980 réalisés par Patrice Chéreau heureusement sauvegardés par le DVD, avec Alberich et Wotan errant puis s’affrontent dans la forêt, dans les parages de l’antre de Fafner en attendant l’arrivée de Siegfried et du nain, alors qu'au troisième acte Erda s’enroule autour de la lance de Wotan. Autre référence, plus inattendue celle-là, le Voyage dans la lune de Méliès au moment de l’apparition du visage de Fafner qui adopte la forme d’une pleine lune. Le troisième acte s’ouvre sur un espace nu, au centre duquel Wotan réveille Erda, un espace délimité par des cloisons devant lesquelles le maître des dieux fera mine de chercher à retenir son petit-fils qui entend partir à la conquête du rocher où repose Brünnhilde, après qu’il eut franchi la barre de feu symbolisée par un rideau couleur flammes disposé en arc. Une fois le voile franchi, l’on retrouve le lieu désert du troisième acte de Die Walküre au centre duquel est planté le rocher de Brünnhilde enluminé par un soleil rayonnant. De belles images au service d’une direction d’acteurs au cordeau fruit d’une conception intègre et ingénieuse de la deuxième journée du Ring.

Richard Wagner (1813-1883), Siegfried, Acte II. John Lundgren (Alberich), Tomas Tomasson (le Voyageur). Photo : (c) Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

Plus tendue et dramatique que dans Die Walküre, la conception d’Ingo Metzmacher, fluide et aérée, est en adéquation avec celle de Dieter Dorn. Evitant la grandiloquence mais dirigeant sans traîner mû par une énergie conquérante, le chef allemand donne à la partition de Wagner une dynamique générale alerte et brûlante. Ce qui a pour corolaire la mise à nu de défaillances des pupitres des vents de l’Orchestre de la Suisse romande, plus particulièrement des cuivres dont la prestation s’avère cependant moins perturbante que dans Die Walküre. Allégeant néanmoins les textures de son orchestre, le chef allemand permet aux chanteurs de s’exprimer sans forcer, les grandes voix ne faisant guère florès sur le plateau.

Richard Wagner (1813-1883), Siegfried, Acte II. John Lundgren (Alberich), Tomas Tomasson (le Voyageur). Photo : (c) Carole Parodi/Grand Théâtre de Genève

A l’exception d’Andreas Conrad, Mime naturellement pervers, vocalement et physiquement adapté aux mesures du rôle, de John Lundgren, qui campe un Alberich solide et autoritaire, du Wanderer de Tomas Tomasson a la voix claire et chaleureuse qui instille une réelle jeunesse au personnage, mais son aigu finit par flancher au troisième acte, et, surtout, Steve Humes, qui domine une distribution tout compte fait plutôt homogène, campant un Fafner aussi puissant qu’émouvant, si bien que l’on regrette qu’il soit si peu présent. En Brünnhilde, Petra Lang a le timbre et la voix tout aussi désunis que dans Die Walküre, ce qui ne l’empêche pas de toucher dans les ultimes minutes de l’opéra, tandis que l’on a plaisir à retrouver l’Erda de Maria Radner au timbre de bronze, bien que la voix bouge un peu trop. En Siegfried, le ténor britannique John Daszak, qui fait à Genève une prise de rôle, n’a rien d’héroïque dans la voix, mais sa ligne de chant est impeccable, bien que la voix soit décolorée et la diction fluctuante. Il faut néanmoins se féliciter de pouvoir l’entendre de bout en bout sans flancher. Malgré ses défauts, ce Siegfried passionne de bout en bout et suscite l’impatience de la découverte de l’ultime volet de la Tétralogie, prévue en avril prochain.

Bruno Serrou


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