mercredi 20 novembre 2013

Aujourd’hui Musiques de Perpignan et la fusion du son, de l’image, du théâtre, de la danse et de la poésie

Perpignan, Théâtre de l’Archipel, vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 novembre 2013

Roland Auzet et Fabrice Melquiot, Aucun homme n'est une île. Oscar (à gauche) et Julien Romelard (Jacques). Photo : DR

Les festivals ne fleurissent pas qu’en été, ceux de musique contemporaine préférant l’automne. Après Musica à Strasbourg en septembre et le Festival d’Automne à Paris, depuis ce même mois de septembre et jusqu’en décembre, deux autres essaiment le pourtour méditerranéen en novembre, les Manca de Nice et Aujourd’hui Musiques de Perpignan. La vingt-deuxième édition du festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan, manifestation dont la direction artistique est assurée depuis deux ans par Jackie Surjus-Collet, s’est ouverte vendredi pour une semaine de découvertes, d’audace et d’innovation musicale sous toutes les formes, du concert au spectacle multimédia en passant par la performance, le théâtre musical, les installations, la danse et la médiation culturelle. 

Le Théâtre de l'Archipel de Perpignan. Photo : (c) Bruno Serrou

Créé en 1992 par un compositeur, Aujourd’hui Musiques a depuis deux ans pour centre d’activité le Théâtre de l’Archipel à Perpignan, bâtiment pourvu de deux salles à l’acoustique excellente dessiné par Jean Nouvel sous forme de poulpe et dirigé depuis son ouverture par Domènec Reixach et par son adjointe Jackie Surjus-Collet. Le succès de l’action du Conservatoire depuis les années 1990 a convaincu les édiles du bien-fondé d’une action culturelle d’envergure, au point de les conduire à ériger le Théâtre de l’Archipel, foyer du festival depuis 2011. « Quoi de mieux, interroge Jackie Surjus-Collet, programmatrice d’Aujourd’hui Musiques, qu’un lieu de spectacle vivant pour lutter contre les conservatismes ? Soutenu par les collectivités et lié au Théâtre, le festival voit son existence pérennisée. » Ce qui caractérise cette manifestations est leur programmation exigeante et large, et la diversité du public qui la fréquente. La pédagogie est au centre de l’activité durant l’année. Aujourd’hui Musiques développe un travail suivi en termes de médiation culturelle, de rencontre entre les œuvres et le public, ouvrant ateliers de pratique, répétitions publiques commentées, rencontres avec artistes et compositeurs, partenariat avec le conservatoire, etc. Le festival pratique en outre une politique de bas prix, en dépit de budgets serrés.

Steve Reich, Drumming. Jeu de baguettes utilisé par l'Ensemble Links. Photo : DR

L’édition 2013 s’est ouverte vendredi sur une soirée entièrement consacrée au pape du minimalisme, l’Etats-Unien Steve Reich. Une seule de ses œuvres était au programme. Un œuvre fondatrice il est vrai, puisqu’il s’agissait de Drumming, pour voix, flûte et percussion, que Reich considère comme l’une de ses partitions les plus marquantes. Il aura fallu un an, en 1970-1971, à Steve Reich pour venir à bout de cette partition-charnière qui synthétise la période radicale du compositeur et annonce ses œuvres futures. Le profil général de Drumming appartient encore à la série des processus graduels faits de métamorphoses progressives d’une situation musicale initiale dont l’auditeur peut suivre la progression. Prévu pour une durée oscillant entre cinquante-cinq et soixante-quinze minutes, Drumming est fondé sur un unique motif rythmico-mélodique présenté au début par un bongo solo qui se propage par le biais du jeu intensif des déphasages et des substitutions. Les quatre mouvements font respectivement appel à quatre paires de bongos accordés, trois marimbas, colorés par deux voix de femmes, trois glockenspiels rehaussés d’un piccolo et d’un sifflement, l’effectif au complet n’intervenant que dans le finale. 

Steve Reich (né en 1936). Photo : DR

Sous la direction de l’excellent percussionniste Rémi Durupt, qui a opté pour la version courte, l’Ensemble LINKS, qui réunit musiciens, interprètes et compositeurs, et artistes audiovisuels, en a donné une lecture précise et colorée, pour une saisissant réalisation musicale, tandis que la vidéo, qui met les interprètes en avant, focalise l’attention du public sur le regard aux dépends de l’ouïe, qui perd ainsi de sa perception auditive des décalages rythmiques et des alliages de timbres.

Josef Nadj, ATEM le souffle. Josef Nadj (à gauche), Anne-Sophie Lancelin. Photo : DR

Spectacle alliant théâtre, danse et musique, ATEM (le souffle) a été imaginé par le chorégraphe serbe Josef Nadj pour lui-même et son interprète favorite, la danseuse lilloise Anne-Sophie Lancelin, qui signe ici la chorégraphie, sur une musique conçue par Alain Mahé assisté de Pascal Seixas. Dans un espace réduit format boîte rectangulaire faiblement éclairé, un couple évolue de façon plutôt obscure, les figures donnant de plus en plus dans l’érotisme, au sein d’une dramaturgie assez absconse offrant néanmoins de belles images, bien que certaines versent dans le gore. Les quatre-vingt minutes du ballet-théâtre tendent à s’éterniser, la musique, qui donne principalement dans les sons graves où le timbre de ce qui pourrait être un violoncelle prédomine, créant un entrelacs grondant dans des abysses d’une nature engourdie, embrassant en un même mouvement forêts et fonds marins.

Roland Auzet et Fabrice Melquiot, Aucun homme n'est une îleJulien Romelard (Jacques), Oscar (à droite). Photo : DR

Plus ludique et onirique, subtile et magique, le spectacle imaginé par le compositeur-percussionniste Roland Auzet, qui en signe la mise en scène et la musique sur un argument de Fabrice Melquiot, Aucun homme n’est une île est une œuvre associant théâtre, musique et arts numérique en une fusion porteuse d’une poésie bouleversante, mettant en regard un être virtuel et un adolescent de 13 ans plongé dans le monde numérique, qui l’a happé pour l’absorber dans l’écran d’un ordinateur, un véritable geek complètement déconnecté de la réalité. Le texte de Fabrice Melquiot aborde avec force, humour et lyrisme la relation entre l’homme et la machine, conviant en un véritable face-à-face l’enfant Jacques, admirablement campé par Julien Romelard, et la virtualité d’Oscar, créé par Catherine Ikam et Louis Feri, qui interagissent par la magie de la remarquable réalisation électronique d’Olivier Pasquet, qui anime en temps réel le visage d’Oscar, qui semble bel et bien émaner d’un écran d’ordinateur dans une féerique scénographie d’Arié van Egmond remarquablement éclairée par Bernard Revel. Parfaitement intégrée à la globalité de l’œuvre, la musique de Roland Auzet participe à l’onirisme du propos, véritable songe évoluant du rêve au cauchemar et qui devrait sinon guérir du moins conduire à réfléchir sur l’enfermement que peut susciter l’abus jusqu’à l’overdose de l’outil informatique et du jeu vidéo. Ce qu’a attesté d’ailleurs la discussion qui a suivi le spectacle réunissant les protagonistes du spectacle et le public de l’Archipel, tous âges mêlés.

Bruno Serrou

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