vendredi 21 juin 2013

Fin de saison éclatante de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical, Paavo Järvi, qui recevaient Frank-Peter Zimmermann, grandiose

Paris, Salle Pleyel, jeudi 20 juin 2013

Orchestre de Paris, salle Pleyel. Photo : (c) Orchdestre de Paris, DR

Pour sa dernière apparition devant le public de la Salle Pleyel de la saison qui s’achève, à la veille de son ultime prestation Pyramide du Louvres, et avant de prendre ses quartiers d’été à Aix-en-Provence pour une Elektra de Richard Strauss qui s’annonce somptueuse, l’Orchestre de Paris a réuni dans un même programme trois des grands symphonistes du XXe siècle, Gustav Mahler, Jean Sibelius et Dimitri Chostakovitch. Néanmoins, pour rester dans les règles du concert d’orchestre, Paavo Järvi, faute de poème symphonique et de concerto mahlériens, a retenu un extrait de la grande Suite de Lemminkaïnen du Finlandais, un concerto du Russe, avant de conclure sur une symphonie de l’aîné.

Paavo Järvi. Pjoto : DR

A l’écoute du célèbre Cygne de Tuonela, le mouvement lent de la Suite de Lemminkaïnen op. 22 de Jean Sibelius (1865-1957), l’on n’a pu que ressentir quelque frustration de ne pas avoir le bonheur d’écouter les quatre légendes, tant l’Orchestre de Paris a exalté de ses sonorités fruitées et de son nuancier infini les beautés évanescentes de cette méditation intemporelle sur la mort, particulièrement les cordes, aux textures feutrées et lumineuses que les vents, pourtant en nombre, ne font que colorer, particulièrement un merveilleux solo de cor anglais d’une prenante mélancolie (remarquable Gildas Prado), et les cuivres aux sonorités sombres amplifiées par les sourdes résonnances des timbales, tandis que se détache le violoncelle solo aux mornes colorations.

Frank Peter Zimmermann. Photo : DR

Plus rêche et acide que ces pages de Sibelius, le Concerto de pour violon et orchestre n° 1 en la mineur op. 77/99 de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) n’en a pas moins impressionné, permettant tout autant à l’Orchestre de Paris de briller et de démontrer son aptitude à s’adapter aux caractères et aux styles les plus divers et tranchés. Composée en 1947-1948, conçu en quatre mouvements aux titres évocateurs (Nocturne, Scherzo, Passacaille, Burlesque), cette partition, la plus longues des œuvres concertantes de Chostakovitch, ne devait être créé que sept ans après son achèvement, le 29 octobre 1955, par David Oïstrakh, son commanditaire, et l’Orchestre Philharmonique de Leningrad dirigés par Evgueni Mravinski. Dans l’intervalle, Chostakovitch, visé par la vindicte du censeur Andreï Jdanov, avait dû mettre ce concerto dans un tiroir pour répondre à des commandes instantes émanant du gouvernement soviétique. Dans cette œuvre très personnelle, seul le mouvement initial chante, les trois autres étant plus saccadés et tortueux, à commencer par le Scherzo que David Oïstrakh disait « maléfique, démoniaque et épineux. L’ample Passacaille a l’ambiguïté d’une méditation au tour pompeux qui se conclut sur une imposante cadence débouchant sur une joyeuse fête populaire d’un entrain irrésistible qui reprend indistinctement le thème de la passacaille. La partie soliste, d’une virtuosité époustouflante voire suffocante tel une course vers l’abîme, a été idéalement tenue par Frank Peter Zimmermann, qui joue cette œuvre avec une aisance incroyable, tandis que l’Orchestre de Paris l’enveloppe de ses timbres triomphants sans jamais le couvrir. Après une telle interprétation, l’on ne pouvait que penser que le violoniste allemand nous laisserait sur cette impression inouïe, mais il céda à l’insistance du public, qui lui réclamait un bis, qu’il puisa bien évidemment chez Bach… 

Gustav Mahler (1860-1911). Photo : DR

La Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan » de Gustav Mahler (1860-1911) concluait la soirée - seule cette œuvre est reprise ce 21 juin au Louvre. Dans cette partition d’une extrême virtuosité, l’Orchestre de Paris a brillé de tous ses feux, assurant avec maestria la fluidité d’un discours complexe à mettre en place tant les structures sont alambiquées, faisant à la fois ressortir les lignes de force, l’architecture, l’unité à travers la multiplicité, la diversité des plans apparaissant évidente, tout en soulignant l’hétérogénéité de l’inspiration, à la fois populaire, foraine, militaire, noble et grave, les brutalités, les saillies, la nostalgie. Unité et altérité dans la conduite de l’œuvre, la rythmique, le phrasé, les respirations étant parfaitement en place, Paavo Järvi a en outre évité le pathos et les effets trop appuyés, rendant l’œuvre d’une profonde et altière humanité magnifiée par le chant vivifiant de la nature, le chant des oiseaux, l’amour, les angoisses, le tragique et la sérénité, tout en veillant à l’équilibre des masses, les voix restant toujours claires et les sonorités jamais saturées. Energique, étincelante, sollicitant à satiété contrastes et couleurs, alternant grandeur, douleur, passion, onirisme, la vision du chef estonien est celle d’un grand mahlérien, qui a réussi en deux saisons à transcender l’Orchestre de Paris, qui,  sous sa direction, a atteint le niveau international le plus élevé, encrant de plain-pied Paris parmi les grandes capitales symphoniques.

Bruno Serrou


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