jeudi 29 novembre 2012

James Conlon, le Chœur et l’Orchestre de Paris dans un Requiem de Dvořák d’une humanité pénétrante



Paris, Salle Pleyel, mercredi 28 novembre 2012

James Conlon. Photo : DR


La Symphonie du « Nouveau Monde » et, à un moindre degré, le Quatuor à cordes « Américain », sont dans la création d’Antonín Dvořák (1841-1904) deux arbres imposants qui cachent une forêt foisonnante. Symphonies, poèmes symphoniques, musique de chambre en tout genre, pièces diverses pour piano, mélodies, oratorios et opéras abondent, tous plus admirables les uns que les autres. Une part non négligeable du catalogue du compositeur tchèque est consacrée à la musique d’inspiration religieuse. Fervent catholique, soprano dans la maîtrise paroissiale de son village natal, Dvořák côtoya la musique religieuse dès l’enfance, avant de devenir organiste de l’église Saint-Aldebert de Prague. Il signa sa première messe alors qu’il était étudiant au conservatoire, puis renonça un temps au genre en raison du jugement sévère de son maître. Il n’y retourna qu’à la fin des années 1870. C’est à cette époque qu’est né le Stabat Mater op. 58, œuvre immense composée sur le coup de la mort des trois aînés de ses quatre enfants qui propulsa son nom sur le devant de la scène internationale. Puis ce furent le Psaume 149 op. 79, et Sainte Ludmila op. 71. La Messe en ré majeur op. 86 précède le Requiem en si bémol mineur op. 89 que l’Orchestre de Paris a programmé cette semaine pour la seconde fois de son histoire, onze ans après que Vladimir Fedoseyev l’eût dirigé…

Antonín Dvořák (1841-1904)

C’est à la demande du Festival triennal de Birmingham où fut donnée la première de son Stabat Mater en 1885 que Dvořák compose son Requiem. Il termine l’ébauche de l’œuvre le 18 juillet 1890, six mois après l’avoir commencée, et achève la partition en octobre, un an avant d’en diriger lui-même la création le 9 octobre 1891 à la tête du Chœur et de l’Orchestre du Festival de Birmingham. A l’instar des Requiem de Berlioz (1837) et de Verdi (1868-1874), celui de Dvořák est de vaste dimension, l’exécution de ses treize numéros distribués en deux sections demandant plus d’une heure trente. Celles-ci sont disposées avec une certaine liberté, Dvořák insérant notamment entre le Sanctus et l’Agnus Dei un lyrique Pie Jesu fondé sur le même texte que celui qui conclut le Dies Irae. Les séquences se présentent ainsi : Section I : 1. Introitus : Requiem aeternam 2. Graduale: Requiem aeternam 3. Sequentia : Dies irae - Tuba Mirum - Quid sum miser - Recordare, Jesu pie - Confutatis maledictis - Lacrimosa. Section II : 4. Offertorium : Domine Jesu ChristeHostias 5. Sanctus - Pie Jesu 6. Agnus Dei. Pourtant, le propos est plus humaniste et onirique que tragique et majestueux, dans l’esprit du Requiem allemand de son mentor Johannes Brahms (1868). 

Cette œuvre austère d’où émerge de rares moments de ce chaud lyrisme qui coule d’abondance dans les veines de Dvořák est écrite pour quatre solistes (soprano, contralto, ténor, basse), chœur mixte et orchestre avec flûte piccolo (1), deux flûtes, deux hautbois, cor anglais, deux clarinettes, clarinette basse, deux bassons, contrebasson, quatre cors, quatre trompettes (deux seulement hier), trois trombones, tuba basse, timbales, tam-tam, cloches-tubes, harpe, orgue et cordes (18-16-14-11-9). Les instruments sont surtout exploités dans leur registre grave, tandis que se détachent cor anglais, clarinette basse, contrebasson et les cors, les troisième et quatrième souvent utilisés avec sourdine. Dès les premières mesures s’impose un thème de cinq notes qui hantera tel un leitmotiv l’œuvre entière « comme un fantôme sinistre et malveillant » (Claire Delamarche) jusqu’à la coda finale où se désagrègent les divers motifs tels des spectres. Le Requiem se termine sur ce leitmotiv sombre et menaçant qui laisse l’âme de l’auditeur suspendue dans un climat d’angoisse qui dit combien le compositeur était loin d’être réconcilié avec la mort… 

Le Choeur et l'Orchestre de Paris. Photo : Orchestre de Paris, DR


Dirigeant par cœur, James Conlon, que l’on retrouvait à Paris avec plaisir, lui-même fervent catholique à l’instar du compositeur, a donné du Requiem de Dvořák une interprétation brûlante, d’une humanité et d’une générosité pénétrantes, faisant chanter l’Orchestre de Paris avec la sensualité tendrement nostalgique caractéristique au compositeur, se fondant dans la partition pour en exalter les couleurs, jouissant à plein de la flexibilité de la phalange parisienne qui s’est imposée hier par ses sonorités rutilantes. Le Chœur de l’Orchestre de Paris a participé avec panache à la réussite de cette extraordinaire exécution, s’avérant flexible, précis, coloré et homogène, après avoir rapidement pris ses marques faisant ainsi vite oublier les décalages dans ses deux premières interventions. Le quatuor vocal était en parfaite harmonie avec la vision du chef et la prestation de l’orchestre et du chœur, avec un duo féminin dont les timbres se sont avérés en parfaite corrélation, la soprano polonaise Aga Mikolaj et la mezzo-soprano russe Ekaterina Semenchuk au grave de bronze, complété par le solide ténor russe Sergey Semishkur et l’impressionnant basse allemand Georg Zeppenfeld. Une soirée à marquer d’une pierre blanche…

Bruno Serrou

1) Après un malaise de la titulaire survenu dans la minute qui a suivi le début du concert, la musicienne devant être portée hors du plateau par un régisseur, l’exécution du Requiem de Dvořák s’est faite mercredi sans flûte piccolo. Le chef et l’orchestre ont en effet continué sans manifester de trouble apparent, conformément à la tradition des artistes qui veut que, quoiqu’il advienne, « le spectacle continue »

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