vendredi 4 mai 2012

Gustavo Dudamel aux manettes des Berliner Philharmoniker : Beethoven contraint ; Strauss en technicolor


Paris, Salle Pleyel, jeudi 3 mai 2012 
 Photo : DR
Gustavo Dudamel aurait-il choisi en Paris une sorte de résidence secondaire ?... Après l’Orchestre Philharmonique de Radio France en avril, il était de retour hier Salle Pleyel avec la première phalange mondiale, les Berliner Philharmoniker. Le jeune directeur musical de Los Angeles Philharmonic Orchestra est à trente ans la coqueluche des mélomanes du mon entier. Le public parisien se bouscule à chacun de ses concerts, attiré par une aura digne de feu Leonard Bernstein. Tandis que le directeur musical de l’orchestre berlinois est à Los Angeles pour un programme Ligeti, Wagner, Mahler, Bruckner à la tête de l’orchestre étatsunien don Dudamel est le patron, Simon Rattle a échangé son pupitre en son absence à son confrère vénézuélien le temps d’une série de concerts, dont celui de Paris. Le programme du plus jeune est moins téméraire et fourni que celui de l’aîné, ce qui étonne de la part d’un artiste chez qui on attend la prise de risque, un grain de folie que l’on eut pourtant pu déceler dès les premiers accords de chacune des deux partitions programmées, tout aussi populaires les uns que les autres.
Or, c’est précisément ce qui manque à Gustavo Dudamel dans la Cinquième Symphonie de Beethoven avec laquelle il a ouvert le concert d’hier. Peut-être paralysé par le défit qui lui était lancé de se retrouver devant le vaisseau amiral de la musique symphonique internationale dans l’une de ses œuvres emblématiques – c’est avec cette Symphonie n° 5 en ut mineur op. 67 de Beethoven que l’Orchestre Philharmonique de Berlin enregistra son tout premier disque, en 1913, sous la direction du chef aux gants blancs, Arthur Nikisch, son directeur musical d’alors. Tant et si bien que l’Allegro con brio initial a manqué d’éclat, de force, de fureur, au point de pousser les deux cors à manquer souvent de précision dans leurs attaques. Dudamel s’est en fait libéré de ses appréhensions, gagnant enfin en assurance, dans le troisième mouvement, un scherzo qui n’en porte pas le nom, au moment précis où les cordes graves ont attaqué le fugato du trio. Le chef et l’orchestre ont dès lors retrouvé leurs fondamentaux, les Berlinois sonnant comme un seul homme doué d’une vision polymorphe et retrouvant instinctivement le son forgé pendant quarante-quatre ans par Herbert von Karajan, feu son « chef à vie », le Vénézuélien donnant une impulsion vive et vigoureuse jusqu’aux derniers accords de l’Allegro conclusif.
Deux ans et demi après une exceptionnelle Symphonie alpestre avec son Orchestre Simon Bolivar formé de jeunes musiciens vénézuéliens dans cette même Salle Pleyel, Gustavo Dudamel a confirmé hier ses affinités avec la musique de Richard Strauss en proposant un extraordinaire Also sprach Zarathustra op. 30 (Ainsi parlait Zarathoustra). Tirant excellemment parti d’un Orchestre Philharmonique de Berlin qui se nourrit depuis toujours de la création du compositeur bavarois – Hans von Bülow, chef permanent des Berliner Philharmoniker de 1887 à 1893 et mentor de Strauss, lui confia son orchestre dès 1887 avant qu’il en devienne à son tour chef permanent de 1893 à 1895 et de le diriger régulièrement jusqu’en 1948 –, Dudamel a dégagé les lignes forces de ce vaste poème symphonique, œuvre parmi les plus célèbres de son auteur, cela dès la grandiose introduction symbolisant l’Univers dominé par l’orgue et les trois trompettes, ces dernières d’une beauté, d’une puissance et d’une assurance éblouissantes chez les Berlinois. Le chef et l’orchestre ont tenu en haleine la salle entière trente cinq minutes durant, rivalisant de virtuosité et d’onirisme, exaltant une polyphonie foisonnante et une orchestration somptueuse de leurs sonorités de braise, la précision de leurs attaques, la fluidité de leurs textures. C’est le souffle coupé que le public a écouté les dernières mesures du Chant du voyageur dans la nuit qui parachève l’œuvre pianissimo.
Poussé par le public, Gustavo Dudamel n’a pu échapper au bis, alors qu’il aurait dû en rester à l’immense interrogation laissée par le finale de Zarathoustra, d’autant plus que les pages retenues, le dernier tableau du ballet Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel, n’ont rien eu de féerique, du point de vue musical, et n’a rien ajouté au plaisir d’écouter les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, que nous aurons tout le loisir de goûter la saison prochaine, la Salle Pleyel ayant mis cette fantastique phalange en résidence.
Bruno Serrou

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