lundi 2 avril 2012

Deux ouvrages rares vus à l’Opéra de Wrocław, « Chopin » d’Orefice et « Król Roger » de Szymanowski


Wrocław, Opera Wrocławska, mardi 27 et mercredi 28 mars 2012
C'est dans le cadre d'un voyage entrepris à l'initiative de la Salle Pleyel dans la perspective d'un cycle Karol Szymanowski qui commencera en mai prochain et se poursuivra jusqu'en octobre que l'Opéra de Wrocław a accueilli la presse française la semaine dernière. Quatrième ville de Pologne, fondée au Xe siècle, intégrée au Saint-Empire romain germanique sous le nom de Breslau, d’abord à la Bohême au XIVe siècle puis à l’Autriche au XVIe, conquise par la Prusse au XVIIIe, revenue enfin à la Pologne en 1945, Wrocław est en plein renouveau. Cela dans la perspective de 2016, année où la capitale de la Basse-Silésie sera Capitale européenne de la Culture. Ses habitants ont eu la main heureuse en se choisissant pour maire un homme épris de culture en général et de musique en particulier. Ainsi, parallèlement à la rénovation du patrimoine et à la réfection des réseaux de communication qui en font désormais l’une des plus belles villes de Pologne, Wrocław se dote en ce moment d’infrastructures musicales conséquantes avec l’érection d’un vaste complexe musical appelé NFM (pour National Forum of Music), en fait une grande Philharmonie fusionnant en une seule entité la Philharmonie de Wrocław et le Festival international Wratislavia Cantans, et qui sera le siège de la Philharmonie Witold Lutosławski, qui organise de nombreux festivals et regroupe plusieurs formations, l’Orchestre de la Philharmonie de Wrocław, l’Orchestre baroque de Wrocław, l’Orchestre de chambre Leopoldinum de Wrocław, etc. Face à cet édifice conçu par l’architecte polonais Stefan Kuryłowicz pour une enveloppe de plus de 100.000.000 d’euros et qui comptera quatre salles, la plus grande disposant d’une jauge de 1800 places, avec toit amovible, prévue plus de 750 concerts et manifestations diverses par an, l’Opéra Wrocławska, bâtiment pouvant accueillir chaque soir 1600 mélomanes inauguré en 1872 après destruction du précédent par un incendie. L'ensemble constituera ainsi dans deux ans l’un des pôles musicaux les plus importants d’Europe.
L’Opéra Wrocławska commence par être connu dans le monde grâce à une politique particulièrement active d’édition de disques et de DVD des spectacles qu’il produit. Ainsi, les deux opéras de Szymanowski Hagith et Król Roger parus en DVD, ou, dernièrement en CD, la Joanna d’Arc de Verdi et Chopin de Giacomo Orefice, ont reçu quelque écho dans la presse. Les visées internationales de l’institution lyrique de Wrocław sont confirmées par les programmes bilingues (polonais et anglais) vendus dans la salle. C’est sous la direction précise, rigoureuse et sûre de sa directrice générale et artistique depuis 1995, Ewa Michnik, que les deux ouvrages vus et entendus en deux jours à Wrocław ont été donnés par une troupe de chanteurs permanente comme il en existait voilà une quarantaine d’années à Paris et dans les capitales occidentales, au sein de laquelle se produisent un certain nombre d’artistes invités. Ainsi, le premier soir, seul le rôle-titre était tenu par un chanteur invité, le ténor polonais Zdzislaw Madej – qui remplaçait lui-même son confrère nord-américain Steven Harrison (1) – d’un ouvrage vériste sans consistance mais dont la seule originalité est de puiser dans un réservoir sans fin fort connu et apprécié conçu par le compositeur dont il synthétise la vie, Frédéric Chopin. Chopin est un opéra italien de deux heures en quatre actes créé en 1901 par Giacomo Orefice (1865-1922), dont le principal titre de gloire est d’avoir eu Nino Rota pour élève au Conservatoire de Milan. Cet ouvrage au lourd pathos qui fait fonctionner à fond le système lacrymal du spectateur revient de façon fantaisiste sur un certain nombre d’événements de la vie de Chopin, particulièrement ses amours avec George Sand, curieusement prénommée Flora, sur une partition qui enchâsse la musique pour piano du compositeur polonais en des arie plus ou moins larmoyantes et orchestrées, certaines mazurkas et polonaises étant exposées soit à l’orchestre, soit à la voix, soit au piano de fosse (un piano droit, à l’Opéra de Wrocław), soit aux trois en même temps. L’action s’ouvre et se conclut sur la mort de Chopin qui, entouré de son ami Elio et de sa sœur Stella, voit défiler des réminiscences de sa propre vie, depuis son enfance en Pologne jusqu’à sa mort à Paris en passant par un salon parisien et le séjour à Majorque. La distribution est homogène, malgré un Chopin à la voix peu séduisante et une Flora/Sand (Anna Lichorowicz) au vibrato trop large et qui en fait des tonnes dans son costume masculin. Le rôle du moine, tenu par Rodosław Zykowski, n’est pas sans rappeler Fra Melitone de la Force du destin de Verdi. Jacek Jaskuła (Elio) et Aleksandra Kubas (Stella) complètent le cast avec autorité. La mise en scène de Laco Adamik est d’une platitude toute archaïque, sans direction d’acteur, cumulant les poncifs et les postures dans des décors sans âge de Barbara Kedzierska. 
Plus significative, l’œuvre à l’affiche le lendemain soir, puisqu’il s’agissait d’une représentation du chef-d’œuvre lyrique de Karol Szymanowski, Król Roger (le Roi Roger). Cet immense compositeur, né en 1882 à Tymochivka, village russe aujourd’hui en Ukraine, mort en 1937 à Lausanne, est, après Frédéric Chopin (1810-1849) et avant Witold Lutosławski (1913-1994), l’un des grands compositeurs polonais de l’histoire de la musique. Si l’ouvrage a dû attendre juin 2009 pour entrer au répertoire de l’Opéra de Paris dans une production signée Krzysztof Warlikowski qui aura suscité quelque remous, il est aujourd’hui l’un des plus joué en Pologne, même s’il l’est largement moins que l’opéra emblématique des Polonais, Halka (1846-1858) de Stanisław Moniuszko (1819-1872), sans doute le plus polonais des compositeurs. Opéra en trois actes créé au Théâtre Wielki de Varsovie le 19 juin 1926, Król Roger, composé à la suite des voyages que son auteur a entrepris en Sicile et en Afrique du Nord, conte l’histoire d’un berger-prophète qui, dans la Sicile du XIIIe siècle, parcourt le pays et convertit le peuple au culte d’un dieu païen. Le roi Roger et son épouse Roxane, sont successivement séduits par ce personnage pré-pasolinien qui, à l’instar de l’ange du film Théorème, sème le trouble autour de lui et remet en question les certitudes les plus solidement ancrées dans les esprits. Le couple royal le suit dans sa célébration des sens, jusqu’à ce que le Roi parvienne à recouvrer l’équilibre en contemplant la lumière du soleil. Si cette œuvre de nature hiératique est réputée difficile à mettre en scène, elle n’en est pas moins apparue à Wrocław parfaitement théâtrale, ce qui semblerait signifier que seuls les Polonais savent saisir l’essence de la partition, d’une force pénétrante, qui doit certes à Scriabine, Stravinsky, Debussy et Richard Strauss, mais qui s’avère fondamentalement szymanowskienne, avec son orchestration scintillante et suave, ses élans charnels, ses couleurs vives et chatoyantes, son chant profond et douloureux. Dans une scénographie façon Ikea signée Boris Kudlicka à dominante bleu-sombre, la mise en scène de Mariusz Trelinski sert l’ouvrage, en faisant une véritable œuvre dramatique, avec une direction d’acteur efficace, ce que confirme la prestation des deux chanteurs communs à Chopin et au Roi Roger, le ténor Rafał Majzner, solide Edrisi, et, surtout, Anna Lichorowicz, qui campe une Roxane séduisante et vocalement parfaite. Aux deux artistes invités sont revenus les rôles principaux, l’excellent ténor Rafał Bartminsky en Berger et le puissant baryton Mariusz Godlewski en Roi Roger. Sous la direction idoine d’Ewa Michnik, l’Orchestre de l’Opéra de Wrocław a fait un sans faute, chantant littéralement dans son jardin.
Ce spectacle aura constitué un prologue fort prometteur au cycle Karol Szymanowski qu’entreprend la Salle Pleyel dès les 1er et 2 mai prochains (2) avec le London Symphony Orchestra dirigé par Péter Eötvös, qui remplace Pierre Boulez, que des raisons médicales retiennent pour quelques semaines encore éloigné de l’estrade.
Bruno Serrou 

1) Steven Harrison est le Chopin de l’enregistrement réalisé à Wrocław en 2010 (2CD DUX 0775/0776)
2) 1/05 : Szymanowski, Concerto pour violon n° 1 (+ Debussy : Nocturnes ; Scriabine : Symphonie n° 4, Poème de l’Extase) – 2/05 : Szymanowski : Symphonie n° 3 « Chant de la Nuit » (+ Bartók : Musique pour cordes, percussion et célesta, Concerto pour violon n° 2)


Photos : (c) Bruno Serrou

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