jeudi 22 décembre 2011

La rencontre de Pierre Boulez et Bertrand Chamayou

Salle Pleyel, mercredi 21 décembre 2011

 Pierre Boulez dans les années 1960 - Photo : DR

La première des trois séries de concerts de Noël prévus par l'Orchestre de Paris avec Pierre Boulez jusqu'en 2013, laisse un arrière-goût de tristesse et de regret, et s'avère en fait fort perturbant. Du moins est-ce le ressenti d'hier soir à la sortie de la Salle Pleyel. L'on a beau se dire qu'il en est ainsi de la vie qui s'écoule inexorablement, qu'il en est ainsi pour chacun de nous, ce qui devrait être une évidence est difficile à accepter. Surtout lorsqu'il s'agit  d'un artiste incomparable, considéré comme un maître en matière de création musicale. En effet, voilà quarante-huit ans que Pierre Boulez,  compositeur chef d'orchestre, accompagne la vie du signataire de ces lignes. Son plus lointain souvenir remonte à la première de Wozzeck à l'Opéra de Paris en 1963. Du haut de son mètre trente, apprenti pianiste de l'Ecole Marguerite Long, il était fasciné par la puissance du drame de Berg et la tension de la direction de Boulez, qui allait devenir son premier référent musical. Il a ensuite dévoré ses écrits, et il a voulu devenir à son instar un "révolté-réfléchi" pour donner quand il le faut des coups de pied dans la fourmilière, et, surtout, ne jamais céder à la flatterie...

Or, hier soir, je me suis senti profondément seul et égaré au milieu de cette foule venue célébrer sans retenue Pierre Boulez qu'elle n'écoutait plus vraiment diriger pour mieux le sacraliser, faisant abstraction de toute notion d'objectivité. Certes, l'interprétation des œuvres choisies que le compositeur chef d'orchestre affectionne reste au plus haut degré d'exigence, et ce que sa direction perd en précision elle le gagne en expression et en profondeur, à l'instar de la magnifique Elégie du Concerto pour orchestre (1943) de Bartók qui n'est jamais apparue aussi proche de l'opéra le Château de Barbe-Bleue (1911). Mais cela ne m'a pas consolé, et, accablé, j'ai choisi de quitter rapidement Pleyel.
Certes, au même âge, un autre immense artiste, Pierre Monteux (1875-1964), acceptait sa nomination de Chef à vie de l'Orchestre Symphonique de Londres, mais il n'était pas compositeur, tandis que, à force de diriger, Pierre Boulez prend le risque d'épuiser ses forces créatrices et de laisser inachevés nombre de projets qui lui tiennent pourtant à cœur, que nous sommes très nombreux à attendre et à espérer et qu'il doit à la postérité.
Le concert donné hier Salle Pleyel avec l'Orchestre de Paris a permis de retrouver un Pierre Boulez physiquement en forme mais dirigeant désormais avec de petits gestes  lents tellement moins précis qu'auparavant qu'ils ne pétrissent plus la pâte sonore (il suffisait voilà encore un an ou deux de regarder ses mains pour savoir comment un instrument ou un tutti allait être joué et sonner une fraction de seconde avant qu'il retentisse, ce qui n'était plus le cas hier), le dos légèrement voûté et les bras sans vigueur. Heureusement, Bertrand Chamayou, qui a un peu abusé de la pédale droite, a donné dynamisme et jeunesse au Concerto n° 2 pour piano et orchestre de Bartók, tandis que son toucher aérien donnait l'impression que ses doigts étaient ceux d'un illusionniste. D'évidence, Pierre Boulez s'est pris d'affection pour son cadet de cinquante-six ans (ils sont tous les deux nés en mars, le premier un 26, le second un 23), érigeant à celui qu'il entendit pour la première fois en avril 2010 avec ce même Orchestre de Paris dirigé par Michel Tabachnik dans la virtuose Burleske de Richard Strauss, une enveloppe sonore de grande beauté, particulièrement aux bois et aux cuivres, malgré d'infimes décalages. L'œuvre concertante succédait à une grande partition pour cordes seules que Boulez chérit sous ses diverses formes bien qu'elle ne soit pas des plus significatives de son auteur malgré sa notoriété, la Nuit transfigurée (1899) d'Arnold Schönberg dans sa version de 1943 où les cordes de l'Orchestre de Paris se sont avérées un brin ternes, surtout les premiers violons, altos, violoncelles et contrebasses se faisant onctueux et charnels. Réussi en revanche à été le Concerto pour orchestre de Bartók, bois et cuivres rivalisant de virtuosité et Boulez chantant dans son jardin. 
En fait, le plus douloureux de cette soirée restera l'impression de condescendance dégagée par l'attitude de musiciens, d'officiels et d'une partie du public,  plus particulièrement de certains fidèles de Pierre Boulez qui lui doivent assurément beaucoup un peu trop révérencieux et aux sourires guindés comme s'ils avaient affaire à un homme amoindri, ce que Pierre Boulez n'est absolument pas. Conscient de ces attentions cérémonieuses, comment fait-il pour les supporter ?... 
Bruno Serrou

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